Serge Bilé : "On ne peut pas passer sa vie à se dire victime d’un système qui nous a oubliés" #MaParole

Serge Bilé
Présentateur vedette de Martinique la 1ère pendant plus de 20 ans, auteur de 28 livres, compositeur de chansons et de comédies musicales, Serge Bilé revient dans #MaParole sur sa belle carrière et nous parle de ces ponts qu’il a essayé de tisser entre la Côte d’Ivoire, la Guyane, la Martinique et l’Hexagone.

En ce moment, Serge Bilé rêve de créer une comédie musicale sur la vie de Félix Houphouët-Boigny, l’ancien président de la Côte d’Ivoire. Le journaliste écrivain aime la compagnie des grands hommes comme Aimé Césaire avec qui il a tissé une belle relation. Il aime aussi sortir de l’oubli des figures noires rayées de l’histoire. Sa curiosité est insatiable. Il a écrit 28 essais sur des sujets très variés et ne manque pas de projets. Son dernier livre qui sort en ce moment s’intitule Aniaba, le mousquetaire noir de Notre-Dame.

1 Une enfance en Côte d’Ivoire

Dans son essai, Sur le dos des hippopotames, Serge Bilé raconte quelques bribes de son enfance en Côte d’Ivoire. Il se souvient notamment qu’on lui demandait de réparer des télévisions, car son père y travaillait. Vedette du petit écran, son père lui a donné envie de devenir journaliste. En Côte d’Ivoire, Serge Bilé se souvient aussi de la mode des yéyés dans les années 60. Lui-même y a succombé. Et quand il a appris plus tard que son père avait interviewé Johnny Halliday, il en a fait un livre au titre musclé Johnny Hallyday, Répète si t’as des couilles !.

À l’âge de 13 ans, Serge Bilé quitte son pays natal pour Poitiers. Son père avait décidé de l’envoyer étudier en France, dans la ville où Henri Konan Bédié, futur président de la Côte d'Ivoire de 1993 à 1999, était allé à l’université. Sans ses frères et sœurs, Serge Bilé se retrouve dans un collège de jésuites. "Le matin, il y avait la messe, avant le déjeuner, la prière et le soir, encore la prière", se souvient le journaliste. Les week-ends, il passe du bon temps chez les Pauleau, sa famille d’accueil chez qui il se sent bien. Le père est cheminot, il y a sept enfants à la maison et une ambiance conviviale.

Quand il n’étudie pas, il apprend la guitare et commence à en jouer de manière intensive dans le cadre de l’aumônerie, à tel point que l’évêque de Poitiers lui demande de lui donner des cours. "Il voulait que je devienne curé" s’amuse aujourd’hui Serge Bilé qui n’avait pas du tout la vocation. Après le baccalauréat, il commence des études d’allemand à l’université de Poitiers et passe de nombreux séjours en été dans une famille "très peace and love" du côté de Cologne. "Ça peut paraitre bizarre, surtout ici à Paris où, quand on parle d’Allemagne, on pense à la Seconde Guerre Mondiale, note Serge Bilé, mais j’apprécie la rigueur allemande". À 24 ans, après dix ans d’absence, il rentre enfin en Côte d’Ivoire et essaie de convaincre son père de lui financer ses études de journalisme. D’abord, il essuie un net refus, revient à la charge et finit par emporter le morceau.

Il commence ses études de journalisme à Lille et rencontre son premier grand ami martiniquais, Mathieu Meranville qu’il voit toujours régulièrement. Pigiste à Nord Eclair et correspondant pour un journal de Côte d'Ivoire, il se souvient de l’interview de Pelé décroché de haute lutte. Le footballeur brésilien participait en 1988 au jubilé de Michel Platini à Nancy. Serge Bilé a fait tout le trajet depuis Lille en auto-stop. Pour obtenir l’interview, il déclare à Pelé qu’il vient directement de Côte d'Ivoire. Le lendemain, après une nuit à tenter de dormir dans la voiture d'un copain, il se pointe à hôtel. Étonné et attendri, le roi Pelé l’invite à petit-déjeuner et accepte de répondre à ses questions.   

Serge Bilé journaliste , écrivain

2 Guyane et Martinique

Après quelques années à France 3 et RFO Paris, Serge Bilé revient en Côte d’Ivoire pour un mariage. Invité à la télévision, il dit tout le mal qu’il pense de l’arrestation des opposants au régime dont Laurent Gbagbo, futur président. À la sortie de l’émission, il est arrêté puis envoyé en prison. Il décide alors de collecter les témoignages de "ses copains prisonniers". Au bout d’un mois et demi, il est libéré grâce à l’intervention de Reporters sans frontières et publie toute la matière qu’il a collectée en prison. Après cette expérience, Serge Bilé n’a jamais souhaité travailler comme journaliste en Côte d'Ivoire.

En 1993, il s’envole pour la Guyane et présente le journal télévisé. Sur les conseils des journalistes de la rédaction, il part à la découverte de la commune d’Apatou à quelques heures en pirogue de Saint-Laurent du Maroni. Sur place, Serge Bilé fait la rencontre des bonis, des descendants d’esclaves marrons, des résistants qui, il y a plus de deux siècles, ont refusé l’esclavage. Il découvre alors que les bonis vivent et utilisent plein de mots qui lui rappellent la Côte d'Ivoire. Il décide alors de réaliser un documentaire sur les bonis et leur lien avec son pays natal.

En juillet 1994, Serge Bilé arrive en Martinique. Au début, certains téléspectateurs ne voient pas d’un bon œil qu’un Africain présente le journal, mais très vite, le journaliste se fait complétement adopter au point de devenir, quelques mois après son arrivée, le présentateur préféré des Martiniquais. Il tisse au fur et à mesure des années une relation de complicité avec Aimé Césaire qu’il admire pour "son intelligence, sa modestie et sa gentillesse".

Il se souvient avec infiniment de tristesse du crash de la West Caribbean dans lequel 152 Martiniquais ont perdu la vie. "Le pire moment de ma carrière professionnelle", dit-il. "La Martinique était en deuil". Il se rappelle aussi de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy en 2006 après la polémique sur l’article de loi sur le rôle positif de la colonisation. "L’interview s’était très mal passée, mais il s’est bien défendu", se souvient Serge Bilé.

En parallèle, il se met à écrire. En 2005, son premier essai Noirs dans les camps nazis est publié aux éditions du Serpent à plume. Trois historiens lui font un procès en incompétence auquel Serge Bilé répond point par point. "Pendant au moins dix ans, je ne voulais plus entendre parler du livre. Cette polémique m’a profondément blessé" précise-t-il. C’était terriblement injuste". "Heureusement, mon collègue et ami Claude Askolovitch m’a bien défendu dans cette histoire", se souvient-il.

Aimé Césaire était souvent entouré de journalistes de la presse martiniquais, dont Serge Bilé (à droite)

3 Un mousquetaire noir

Avec l’association Akwaba qu’il a créé, Serge Bilé noue des liens entre la Martinique et la Côte d'Ivoire. Il continue à composer et écrire des chansons pour Jocelyne Béroard ou Tanya Saint-Val. Il s’aventure même dans la comédie musicale et crée deux spectacles, l’un Soweto parle de la vie de Nelson Mandela, l’autre 1902 raconte l’éruption de la montagne pelée. "Mandela, il y a eu six représentations à l’Atrium en Martinique et trois Casino de Paris pleins", souligne Serge Bilé qui, s’il avait "les moyens financiers", continuerait "à en écrire d’autres".

Infatigable écrivain, Serge Bilé signe en 2005 La légende du sexe surdimensionné des Noirs, Quand les Noirs avaient des esclaves blancs paru en 2008, Les noirs, clichés et préjugés, ou encore Blanchissez-moi tous ces nègres sorti en 2010. Depuis qu’il a écrit ce dernier essai, il ne note pas vraiment de recul en matière de vente de produits pour le blanchissement aussi bien en Côte d’Ivoire qu’en Martinique. Il le déplore, mais il se souvient qu’une Ivoirienne lui a posté un message lui disant qu’elle renonçait à se blanchir la peau. Une victoire !

L’écrivain s’aventure aussi dans le domaine de la religion avec Le miracle oublié : chronique des apparitions de la Vierge Marie en Martinique, mais aussi Et si Dieu n'aimait pas les Noirs : enquête sur le racisme aujourd'hui au Vatican. Dans ce dernier ouvrage, il dénonce avec quelques années d’avance la prostitution forcée de certaines bonnes sœurs.

En 2011, il participe à l'écriture d'un ouvrage collectif intitulé Paroles d’esclavage. La démarche est très intéressante, car il s’agit de récits parfois très courts de descendants d’esclaves ou de maîtres qui retracent ce que leur disaient leurs aïeux au sujet de cette période d’esclavage en Martinique. Serge Bilé se souvient en particulier du récit d’un prêtre béké, Christian de Reynal. "Il pleurait de savoir que des hommes comme lui aient pu souffrir. C’est ce qui l’a décidé à devenir prêtre", raconte Serge Bilé.

À travers ses livres, il rend hommage à des personnalités totalement oubliées telles que Yasuké, le samouraï noir, ou encore Le seul passager noir du Titanic, paru en 2019. Il s’agit d’un ingénieur haïtien dénommé Joseph Laroche qui, fatigué du racisme en France, décide de rentrer avec sa famille en Haïti. 

J’ai fait 28 livres (…) car je ne veux pas être dans l’accusation, mais plutôt dans l’action (..). On ne peut pas passer sa vie à se dire victime d’un système qui nous a oubliés.

Serge Bilé 

Présentateur du journal télévisé de Martinique la 1ère pendant plus de 20 ans, de 1994 à 2019, Serge Bilé instaure avec des téléspectateurs une relation de confiance. Certains d’entre eux lui donnent souvent des indications pour un prochain livre. Pour Yasuke, c’est un lecteur fanatique d’arts martiaux qui signale à Serge Bilé l’existence de ce samouraï noir au Japon.

Dans son dernier livre Aniaba, le mousquetaire ivoirien de Notre-Dame, il sort des oubliettes de l’histoire ce prince de 15 ans envoyé en France comme "cadeau". Son livre raconte l'enfance à Assinie et le voyage en France de Louis-Jean Aniaba. Traité avec égards à son arrivée, il devient mousquetaire en Picardie puis est renvoyé chez lui dans la perspective d'être couronné et de servir les intérêts de ses nouveaux amis. Mais nul n’est prophète en son pays !

 

♦♦ Serge Bilé en 5 dates ♦♦♦

26 juin 1960

Naissance à Agboville

Juillet 1994

Premier JT à RFO Martinique

2005

Noirs dans les camps nazis (Serpent à plumes)

2010

Blanchissez-moi tous ces nègres (Pascal Galodé éditeurs)

2019

Le seul passager noir du Titanic (Kofiba éditions)