Sœurs de Saint-Joseph de Cluny : souvenirs de missions en outre-mer

(De gauche à droite, en haut puis en bas :) Sœur Mickaël, la Réunionnaise Sœur Céline, Sœur Elisabeth et la Martiniquaise Sœur Denise.
Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny consacrent leur existence à l’éducation des jeunes et au soin des malades depuis la création de la congrégation au XIXe siècle. Tous les territoires d’outre-mer ont accueilli des communautés, à commencer par la Réunion, en 1817, il y a 200 ans.
Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny sont près de 3 000 aujourd’hui, réparties dans 57 pays. Parmi elles des retraitées qui ont passé leur vie en mission : elles sont 37 à vivre dans l’ancienne maison-mère, à Cluny, en Saône-et-Loire.
Leur temps se partage entre les moments de prière, la tenue du standard téléphonique, la visite aux religieuses malades, mais aussi la vaisselle, la lessive… Une vie en communauté, dans la continuité de leur existence dédiée aux autres.
Certaines d’entre elles ont accepté de plonger dans leur mémoire pour raconter leurs séjours en outre-mer, dans les trois océans.

Sœur Mickaël, 93 ans, directrice de l’orphelinat de Cayenne

Atteinte de la maladie d’Alzheimer, Sœur Mickaël garde pourtant des souvenirs vivaces de Cayenne, où elle est arrivée à la fin des années 40... Jusqu’aux chansons de l’époque. Cette Chti, née à Roubaix, est partie en Guyane immédiatement après son noviciat à Paris. "J’ai passé ma vie en mission. J’étais toute contente de partir, d’autant plus que c’était l’endroit où il y avait les bagnards ! Alors là je les ai vus hein, avec leurs costumes bariolés, parce qu’on les sortait de temps en temps… Ils passaient devant chez nous."
 
"Chez nous", c’était l’orphelinat de Cayenne, le Foyer de la Providence parti en fumée en septembre dernier. Les huit religieuses s’occupent de 120 enfants. "Des fois on ouvrait la porte le matin et on trouvait un bébé enveloppé dans du papier journal… Quelques fois il avait une ficelle et un prénom. C’était les plus grandes qui faisaient des broderies, pour les Européens qui passaient, pour que la structure puisse vivre. Mais du jour au lendemain on a eu une autre vie avec l’arrivée des aides sociales et les subventions journalières pour chaque enfant."

C’est Sœur Mickaël qui fera construire la maison de vacances en dur à Montabo, suite à un legs. Par la suite elle a développé sa propre méthode de lecture pour les tout-petits, concurrençant la "méthode globale". Après la Guyane, elle officiera au Gabon, en Guadeloupe et au Sénégal.

Sœur Céline, 88 ans, Réunionnaise

Sœur Céline
Sœur Céline a gardé ses inflexions créoles, même après près de 30 ans dans l’Hexagone. Marie-Inès Hoareau, de son nom de baptême, a toujours voulu devenir religieuse. A 21 ans elle quitte la Réunion pour faire son noviciat dans la Grande île. "J’ai aimé Madagascar, et les Malgaches étaient gentils. Ensuite je suis retournée à Saint-Denis (1957) et j’étais avec les petits parce qu’on n’avait pas besoin de diplôme lontan pour faire la classe. J’aimais bien les petits (rires) !"
 
A Sainte-Suzanne, Saint-Pierre et Saint-Paul, la religieuse enseigne et fait le cathéchisme. A Cilaos, elle s’occupe des pensionnaires, puis des sœurs âgées à la Montagne. "J’ai quitté la Réunion en 1989. Je suis venue à Paris pour m’occuper de l’aumônerie réunionnaise. Les Réunionnais qui venaient dans l’Hexagone ne savaient pas se débrouiller en arrivant, alors on allait les rejoindre à Orly, on leur montrait comment prendre le métro et puis on les aidait pour faire les démarches pour trouver un travail. Mais on ne faisait pas pour eux, on leur expliquait seulement !"
 
Tous les ans les sœurs étaient invitées au pèlerinage militaire où elles rencontraient les appelés réunionnais. L’occasion pour Sœur Céline de retrouver ceux à qui elle avait fait la classe : "Une fois j’en ai rencontré sept en même temps ! Sept garçons à qui j’avais fait le catéchisme ! L’un d’entre eux m’a reconnu tout de suite : "A ou mère Céline !". Et puis quand les Réunionnais voyagent ils passent me voir de temps en temps." Que lui ramènent-ils ? "Surtout du piment (rires) !" Le piment, pêché mignon de Sœur Céline, qui a accompagné les Réunionnais toute sa vie.

Sœur Denise, 82 ans, Martiniquaise

Sœur Denise
Bientôt trois ans que Sœur Denise est à Cluny. Cette Martiniquaise rieuse visite les religieuses malades, les personnes isolées et tient le standard téléphonique plusieurs heures par semaine. L’énergie ne l’a pas quittée, même si elle est officiellement "à la retraite" et a des soucis de santé. Née à Sainte-Thérèse, un quartier de Fort-de-France, elle s’est heurtée au refus de sa mère au moment d’entrer dans les ordres. Trois ans plus tard, à sa majorité, elle part pour l’île sœur faire sa première obédience. En Guadeloupe, la Martiniquaise aide les professeurs de maternelle, fait la catéchèse et organise des colonies de vacances. Des fonctions qu’elle retrouvera lors de ses séjours en Guyane et à la Réunion.
 
"Je me suis occupée des jeunes toute ma vie, se rappelle Sœur Denise. Ce que j’ai vécu avec eux c’était formidable, c’était très fort." Ingéniosité et système D, la religieuse a de la ressource pour financer les voyages qui ouvrent les horizons de la jeunesse d’outre-mer. "On faisait des activités avec les produits du pays ! En Guyane je leur apprenais à faire des lampes avec des calebasses… Une fois je leur ai dit d’aller voir leurs grands-parents pour collecter des recettes de cuisine, et en faire un carnet ! Ça m’a permis d’emmener au moins soixante personnes dans l’Hexagone pour un voyage culturel et spirituel. Puis deux fois à Belem. Et depuis la Réunion j’ai fait un groupe pour Maurice également."
Sœur Denise dans sa chambre et son précieux bocal de piment à table
Au contact de cette éternelle optimiste, plusieurs vocations sont nées. "Un jour on m’a dit : "chaque fois que Denise nous réunit, elle trouve toujours quelque chose de nouveau à nous dire ! Où prend-elle tout ça ?" Je ne donnais pas ma source (rires) ! "Qu’est-ce que Sœur Denise fait avec nos enfants ? Ils ne restent pas à la maison, ils partent toujours avec elle !" Je leur répondais : "Vous voulez savoir, et bien venez !".
 
Certains jeunes se sont mariés. "Ils me disent : "Tout ce que nous avons appris avec toi c’est ce que nous vivons dans notre foyer". Ce sont des familles qui prient et qui font prier leurs enfants. Ces jeunes d’outre-mer avaient soif… Soif de Dieu, et soif de grandir !" Avec son sourire et sa générosité, la Martiniquaise s’est invitée dans les cœurs et les foyers.

Sœur Elisabeth, 92 ans, dans les trois océans

Sœur Elisabeth
Née en Bourgogne, Sœur Elisabeth a effectué sa première mission à Cayenne, entre 1949 et 1962. Pendant huit ans, elle s’est occupée des enfants lépreux, leur faisant la classe et leur administrant leur traitement : "C’était des petits très pauvres, se souvient la religieuse. Une des sœurs était assistante sociale, elle essayait de les dépister parce que souvent ces enfants étaient abandonnés, cachés à cause de la maladie… Plus on les traitait tôt, plus vite ils retournaient dans une école habituelle. On leurs apprenait l’hygiène."
 
C’est dans cet établissement que Sœur Elisabeth fera la rencontre de Christiane Taubira. "Quand elle est arrivée elle devait avoir 4 ans. On l’a eu pendant deux ans dans mon souvenir. C’était une élève qui était très attachante, avec une forte personnalité… qu’elle a gardée (rires) ! On l’aimait beaucoup : elle avait un dynamisme ! Elle stimulait tous les autres ! La sœur qui lui faisait la classe disait : "Qu’est-ce qu’elle va devenir ! Elle a une telle personnalité !"".
Envoyée ensuite à la Réunion en tant que provinciale, ce qu’on pourrait qualifier de mère supérieure, Sœur Elisabeth est à l’origine de la création de la Maison des sœurs aînées, à La Montagne. Une petite révolution dans cette communauté de 66 religieuses. "Les sœurs envisageaient difficilement, même très âgées, de quitter l’école, de ne plus avoir le bruit des enfants. J’ai proposé de construire une maison de retraite où nous pourrions recevoir des personnes qui viendraient faire des retraites ! Nous avons fait un seul bâtiment pour tous en pensant aux cyclones."
 
En 1973, la Bourguignone part chapoter les communautés du Pacifique. Elle se souvient de la période des essais nucléaires : "A cette époque-là, les gens regardaient surtout ce qu’ils avaient eu : du travail. Ça les faisait vivre si vous voulez. Après sur les retombées, on pouvait avoir des interrogations mais on ne savait pas." L’école se fait en partenariat avec les prêtres, en discussion avec l’évêque de Tahiti.
 
En Nouvelle-Calédonie, la religieuse n’est pas allée dans beaucoup de tribus, "sauf celle de Saint-Louis. On ne peut pas dire que nous étions séparées de ce que vivaient les gens. D’autant plus qu’il y avait beaucoup de Wallisiens et nous étions très proches les uns des autres. Des Wallisiennes sont entrées dans la congrégation et je suis allée visiter les familles à Wallis. Je garde un excellent souvenir de ces échanges avec eux autour d’un repas, en toute simplicité. J’ai rencontré ces sœurs plusieurs fois par la suite, je fais un peu partie de leurs familles."
Dans le Pacifique, le contact avec les Polynésiens, Mélanésiens et Wallisiens a marqué Sœur Elisabeth : "Je remercie le Seigneur car j’ai eu beaucoup de joie et surtout j’ai rencontré beaucoup de délicatesse, de gentillesse. On pouvait vivre avec les gens, tout simplement."