Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny consacrent leur existence à l’éducation des jeunes et au soin des malades depuis la création de la congrégation au XIXe siècle. Tous les territoires d’outre-mer ont accueilli des communautés, à commencer par la Réunion, en 1817, il y a 200 ans.
Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny sont près de 3 000 aujourd’hui, réparties dans 57 pays. Parmi elles des retraitées qui ont passé leur vie en mission : elles sont 37 à vivre dans l’ancienne maison-mère, à Cluny, en Saône-et-Loire.
Leur temps se partage entre les moments de prière, la tenue du standard téléphonique, la visite aux religieuses malades, mais aussi la vaisselle, la lessive… Une vie en communauté, dans la continuité de leur existence dédiée aux autres.
Certaines d’entre elles ont accepté de plonger dans leur mémoire pour raconter leurs séjours en outre-mer, dans les trois océans.
Sœur Mickaël, 93 ans, directrice de l’orphelinat de Cayenne
"Chez nous", c’était l’orphelinat de Cayenne, le Foyer de la Providence parti en fumée en septembre dernier. Les huit religieuses s’occupent de 120 enfants. "Des fois on ouvrait la porte le matin et on trouvait un bébé enveloppé dans du papier journal… Quelques fois il avait une ficelle et un prénom. C’était les plus grandes qui faisaient des broderies, pour les Européens qui passaient, pour que la structure puisse vivre. Mais du jour au lendemain on a eu une autre vie avec l’arrivée des aides sociales et les subventions journalières pour chaque enfant."
C’est Sœur Mickaël qui fera construire la maison de vacances en dur à Montabo, suite à un legs. Par la suite elle a développé sa propre méthode de lecture pour les tout-petits, concurrençant la "méthode globale". Après la Guyane, elle officiera au Gabon, en Guadeloupe et au Sénégal.
A Sainte-Suzanne, Saint-Pierre et Saint-Paul, la religieuse enseigne et fait le cathéchisme. A Cilaos, elle s’occupe des pensionnaires, puis des sœurs âgées à la Montagne. "J’ai quitté la Réunion en 1989. Je suis venue à Paris pour m’occuper de l’aumônerie réunionnaise. Les Réunionnais qui venaient dans l’Hexagone ne savaient pas se débrouiller en arrivant, alors on allait les rejoindre à Orly, on leur montrait comment prendre le métro et puis on les aidait pour faire les démarches pour trouver un travail. Mais on ne faisait pas pour eux, on leur expliquait seulement !"
Tous les ans les sœurs étaient invitées au pèlerinage militaire où elles rencontraient les appelés réunionnais. L’occasion pour Sœur Céline de retrouver ceux à qui elle avait fait la classe : "Une fois j’en ai rencontré sept en même temps ! Sept garçons à qui j’avais fait le catéchisme ! L’un d’entre eux m’a reconnu tout de suite : "A ou mère Céline !". Et puis quand les Réunionnais voyagent ils passent me voir de temps en temps." Que lui ramènent-ils ? "Surtout du piment (rires) !" Le piment, pêché mignon de Sœur Céline, qui a accompagné les Réunionnais toute sa vie.
Certains jeunes se sont mariés. "Ils me disent : "Tout ce que nous avons appris avec toi c’est ce que nous vivons dans notre foyer". Ce sont des familles qui prient et qui font prier leurs enfants. Ces jeunes d’outre-mer avaient soif… Soif de Dieu, et soif de grandir !" Avec son sourire et sa générosité, la Martiniquaise s’est invitée dans les cœurs et les foyers.
C’est dans cet établissement que Sœur Elisabeth fera la rencontre de Christiane Taubira. "Quand elle est arrivée elle devait avoir 4 ans. On l’a eu pendant deux ans dans mon souvenir. C’était une élève qui était très attachante, avec une forte personnalité… qu’elle a gardée (rires) ! On l’aimait beaucoup : elle avait un dynamisme ! Elle stimulait tous les autres ! La sœur qui lui faisait la classe disait : "Qu’est-ce qu’elle va devenir ! Elle a une telle personnalité !"".
Envoyée ensuite à la Réunion en tant que provinciale, ce qu’on pourrait qualifier de mère supérieure, Sœur Elisabeth est à l’origine de la création de la Maison des sœurs aînées, à La Montagne. Une petite révolution dans cette communauté de 66 religieuses. "Les sœurs envisageaient difficilement, même très âgées, de quitter l’école, de ne plus avoir le bruit des enfants. J’ai proposé de construire une maison de retraite où nous pourrions recevoir des personnes qui viendraient faire des retraites ! Nous avons fait un seul bâtiment pour tous en pensant aux cyclones."
En 1973, la Bourguignone part chapoter les communautés du Pacifique. Elle se souvient de la période des essais nucléaires : "A cette époque-là, les gens regardaient surtout ce qu’ils avaient eu : du travail. Ça les faisait vivre si vous voulez. Après sur les retombées, on pouvait avoir des interrogations mais on ne savait pas." L’école se fait en partenariat avec les prêtres, en discussion avec l’évêque de Tahiti.
En Nouvelle-Calédonie, la religieuse n’est pas allée dans beaucoup de tribus, "sauf celle de Saint-Louis. On ne peut pas dire que nous étions séparées de ce que vivaient les gens. D’autant plus qu’il y avait beaucoup de Wallisiens et nous étions très proches les uns des autres. Des Wallisiennes sont entrées dans la congrégation et je suis allée visiter les familles à Wallis. Je garde un excellent souvenir de ces échanges avec eux autour d’un repas, en toute simplicité. J’ai rencontré ces sœurs plusieurs fois par la suite, je fais un peu partie de leurs familles."
Dans le Pacifique, le contact avec les Polynésiens, Mélanésiens et Wallisiens a marqué Sœur Elisabeth : "Je remercie le Seigneur car j’ai eu beaucoup de joie et surtout j’ai rencontré beaucoup de délicatesse, de gentillesse. On pouvait vivre avec les gens, tout simplement."