Sommet "Un Océan" : Les zones dédiées à la pêche artisanale, "une avancée majeure" pour la Polynésie selon l'ONG Pew

Le président de la Polynésie française va s'exprimer ce vendredi à Brest au sommet "Un Océan". Il pourrait annoncer la création de zones exclusivement dédiées à la pêche artisanale autour des îles polynésiennes.

Placer l'océan au cœur des préoccupations : c'est l'ambition du sommet "Un océan" qui réunit scientifiques, ONG, politiques et entrepreneurs à Brest jusqu'au 11 février. Plusieurs dossiers concernant les Outre-mer devraient connaître un coup d’accélérateur. Grâce aux Outre-mer, la France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde, qui recouvre les eaux jusqu'à 200 milles nautiques au large de ses côtes. Jérôme Petit qui dirige le projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli en France, nous livre son analyse concernant le sommet "Un Océan".  

Outre-mer la 1ère : Est-ce que la France qui grâce aux Outre-mer possède la deuxième ZEE la plus grande au monde est un modèle en matière de protection de l’Océan ?

Jérôme Petit : La France est une grande nation océanique. Grâce aux Outre-mer, son domaine maritime est présent dans tous les océans de la planète, des tropiques jusqu’aux pôles. A ce titre, les eaux françaises hébergent une biodiversité marine d’une richesse inestimable. Depuis plus de 20 ans, la France a beaucoup œuvré pour la protection de sa ZEE, sous l’impulsion de l’Office Français pour la Biodiversité (OFB). En janvier 2021, la France a pris l’engagement de protéger 30% de son territoire marin avant la fin de cette année, dont un tiers (10%) sous un régime de haute protection. C’est un objectif ambitieux que la France promeut au niveau international à travers la Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples qu’elle a initiée et qui a été ralliée par plus de 80 pays. La France protège actuellement environ 23% de ses eaux et est en bonne voie pour atteindre son objectif de 30% cette année. C’est un signal très fort pour le reste du monde !

Cependant, au-delà de la quantité, la France n’est pas forcément un modèle en matière de qualité de sa protection. Beaucoup des aires marines protégées "à la française" permettent encore des activités industrielles, ce qui n’est pas compatible avec les standards de protection internationaux. Actuellement, seulement 1,6% des eaux françaises sont hautement protégées, c’est-à-dire exemptes d’activités extractives. On est encore loin de l’objectif de 10% et c’est un problème quand on sait que seule la haute protection entraine des bénéfices écologiques significatifs pour les écosystèmes, et donc pour les communautés qui en dépendent. Par ailleurs, la plupart des aires marines protégées françaises de protection forte sont concentrées dans des zones éloignées, comme aux Terres Australes où les pressions sont limitées, alors qu’elles devraient être réparties de manière cohérente dans tous les territoires français et en particulier dans les eaux continentales. La France doit donc encore faire beaucoup d’efforts pour renforcer le niveau de protection de ses aires marines protégées et mettre en place un réseau représentatif de chaque habitat marin.  

Jérôme Petit

 

 

Quel est la situation en Polynésie qui, grande comme l’Europe, représente à elle-seule la moitié de la ZEE française ?

Depuis les temps anciens, la Polynésie française a su protéger ses ressources marines exceptionnelles, dans la lignée du "rahui", le concept traditionnel de conservation. Depuis les années 90, le Pays a interdit les bateaux étrangers dans ses eaux et surtout la pêche à la senne, une technique extrêmement destructrice largement pratiquée dans le reste du Pacifique. Les eaux polynésiennes sont aussi le plus grand sanctuaire de mammifères marins et de requins au monde. En 2018, le pays a mis en place une grande aire marine gérée sur l’ensemble de sa ZEE, un outil innovant pour protéger ses ressources marines tout en permettant leur exploitation durable. Le plan de gestion de cette aire marine, présenté en 2020 contient des mesures ambitieuses, comme un moratoire sur l’exploitation minière dans toute la ZEE, des zones de pêche artisanale exclusives, la finalisation des dossiers UNESCO aux Marquises et aux Australes et la protection forte des monts sous-marins.

Cependant, comme l’a publié un rapport de la Cour des comptes cette semaine, la mise en œuvre de ces engagements se fait attendre et la coopération entre les services du Pays avec les associations locales est insuffisante. Un sondage que nous avons commissionné montre qu’environ 80 % des Polynésiens pensent que la ZEE de Polynésie française est insuffisamment protégée. Ainsi, bien que la Polynésie française s’inscrive dans une conduite vertueuse en matière de protection marine, certains projets de développement industriel font peur à la population locale, et des efforts supplémentaires de protection sont attendus par les associations.

A Brest, votre organisation Pew espère l’annonce de zones exclusivement dédiées à la pêche artisanale autour des îles de Polynésie française. Le président polynésien Edouard Fritch, attendu à Brest ce vendredi, pourrait présenter cette mesure. En quoi ce projet est-il une avancée pour la Polynésie ?

En effet, cette mesure fait partie des engagements du plan de gestion de l’aire marine gérée de Polynésie française. La Direction des Ressources Marines travaille depuis de nombreuses années sur ce dossier en concertation avec les pêcheurs et les associations. Il semble qu’un compromis ait été identifié et qu’il permettra une protection efficace des ressources côtières : la création d’une constellation d’aires marines protégées autour de chacune des 118 îles polynésiennes, dans lesquelles seule la pêche artisanale sera autorisée et où la pêche palangrière sera interdite. Ce serait une avancée majeure pour la protection des ressources marines polynésiennes.

En effet, les zones côtières concentrent la plus grande densité d’espèces marines qui sont attirées par les nutriments plus abondants aux abords des îles. Ce serait aussi une mesure très attendue par les pêcheurs artisanaux qui souffrent de la compétition déloyale avec les flottilles industrielles. Nous avons souvent entendu parler de problèmes de conflits d’usage. Par exemple, des pêcheurs côtiers qui coupent les lignes des pêcheurs industriels pêchant dans les mêmes zones. Cette mesure permettra de mettre fin à ces conflits au bénéfice de la pêche artisanale, des ressources marines et donc de l’ensemble de la filière pêche.

Edouard Fritch en juillet 2019 à Paris

 

Est-ce que ce n’est pas décevant par rapport aux projets de réserves marines pour lesquelles votre ONG Pew était très mobilisée dans les îles Australes et aux Marquises ?

Ce n’est pas du tout décevant, bien au contraire. Les zones de pêche artisanale exclusive étaient justement une mesure phare des projets de grandes aires marines protégées portés par les élus des Marquises et des Australes que nous avons soutenus. Cette mesure est donc un résultat significatif de tout ce travail de concertation mené sur le terrain depuis de nombreuses années et nous nous en réjouissons. Par ailleurs, dans un communiqué récent de la Présidence, il est précisé que le Président Fritch se rendra au One Ocean Summit à Brest pour "annoncer les nouvelles mesures qu’il entend mettre en place pour protéger la ZEE polynésienne". Il n’est donc pas exclu, qu’au-delà des zones de pêche artisanale, des zones de protection forte soient annoncées, notamment aux Australes. Ce serait un énorme succès pour les écosystèmes polynésiens, les populations locales et le monde de la conservation.  

 

Lors de ce sommet, le gouvernement devrait confirmer l'extension de la réserve naturelle nationale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sur un million de km2, dont une zone de protection forte de 250.000 km2. En quoi est-ce une avancée importante ?

En effet, l’extension de la réserve des TAAF sur l’ensemble de la ZEE de ces territoires est également un engagement très attendu du One Ocean Summit. La nouvelle zone de protection forte à Saint-Paul et Amsterdam en particulier deviendrait l’une des plus grandes réserves marines hautement protégées du monde. Cela permettrait une protection efficace de la biodiversité exceptionnelle de cette zone, comme l’Albatros d’Amsterdam, une espèce en danger critique d’extinction qui ne compte plus que 30 couples reproducteurs. Ces eaux hébergent également la plus grande population de manchots royaux au monde et la deuxième population d’éléphants de mer, des espèces très vulnérables aux effets du changement climatique.

Par ailleurs, cette extension dénote d’un vrai changement de philosophie de la France par rapport à la protection forte. Il y a encore quelques années, ce concept était un véritable tabou pour l’administration française, qui était opposée à toute forme de "mise sous cloche". Cette nouvelle grande zone hautement protégée aux TAAF montre que la France reconnait l’importance de la protection forte comme une mesure efficace de conservation des écosystèmes marins et se rapproche des standards internationaux en matière de protection.

Dans un article du Monde, vous, ainsi que le Président de la Fédération des associations de protection de l’environnement (FAPE), Winiki Sage, mettez en cause le projet de ferme aquacole lancé par des investisseurs chinois sur l’atoll de Hao, ex-base arrière de Mururoa. Pourquoi estimez-vous que ce projet est mauvais pour l’environnement ?

Concernant Hao, je ne peux que répéter ce que toutes les ONG environnementales polynésiennes, réunies dans la fédération locale FAPE, avancent depuis de nombreuses années : une étude d’impact exhaustive et transparente est nécessaire avant d’engager les travaux pour la ferme aquacole. Un projet d’une telle envergure n’a jamais été entrepris dans un lagon, l’un des écosystèmes les plus fragiles de la planète, donc il est indispensable de connaitre avec précision les conséquences potentielles de cet élevage pour la biodiversité et pour la population locale. Cela étant, le projet Hao n’est pas l’actualité du moment. Il est annoncé depuis plus de dix ans sans évolutions majeures et on commence à douter qu’il se fera un jour. L’actualité majeure de cette semaine, c’est que la Polynésie française pourrait annoncer des mesures ambitieuses pour la protection de sa ZEE.