"C'était l'effet d'une bombe, une claque." Assise dans son salon, sur la côte vendéenne, Marie-Christine se remémore l'annonce du décès d'Élodie, cette Réunionnaise qui a choisi en août dernier l'euthanasie pour soulager des douleurs devenues insupportables à la suite de la pose d'une prothèse recto-vaginale.
Sur le groupe Facebook qui rassemble des victimes souffrant de complications après la pose de bandelettes pour l'incontinence ou la descente d'organes, Marie-Christine a reçu un message d'un utilisateur qui cherchait à intégrer le groupe. "C'était une personne proche d'Élodie, précise la co-fondatrice du collectif. Elle nous a expliqué qu'Élodie est partie, et qu'elle cherchait des réponses à ses questions."
"On espérait un miracle"
Ce départ choisi, Élodie et Marie-Christine l'avaient déjà évoqué. "Il faut savoir que sur le groupe, on souffre tellement, qu'on y pense toutes à un moment ou à un autre, glisse l'ancienne infirmière. C'est horrible, c'est barbare. Faire souffrir des femmes comme ça, c'est lamentable." Sa voix se brise. Malgré cette discussion, Marie-Christine a balayé de son esprit ce choix envisagé par Élodie : "Je ne l'ai pas trop pris au sérieux parce qu'Élodie était très croyante, je me suis protégée derrière ça."
"On était croyant, on était croyant, oui", répète Thomas, le regard dans le vide, derrière son écran de téléphone. Avec leur fils et leur fille, Élodie et Thomas se retrouvaient régulièrement dans leur "coin prière". "On espérait un miracle", lâche son mari depuis La Réunion, où il vit avec ses deux enfants, désormais sans Élodie.
Pour tenir, la famille se raccrochait à chaque "petit signe". Comme cette opération aux États-Unis en mai 2021, avec un chirurgien réputé pour être capable d'enlever ces implants, initialement non conçus pour être extraits. "C'était le Covid, et on a eu les autorisations pour voyager presque la veille du départ, on s'est dit que c'était un signe du destin", retrace Thomas. Les Réunionnais veulent y croire, ils n'ont pas d'autres options : "C'était l'opération de la dernière chance."
Une première opération "banale"
Depuis 2019, Élodie vit une "agonie". "Son quotidien, c'était d'être allongée dans un lit, à attendre les heures de repas, à attendre que je l'aide à faire sa toilette", explique Thomas. Brûlures, raideurs, spasmes incontrôlables sont le quotidien d'Élodie, auparavant professeure des écoles. "Chaque mouvement et respiration déclenche des douleurs atroces", raconte-t-elle dans sa dernière déclaration. La cause de toutes ses souffrances, cette femme âgée de 40 ans lors de son euthanasie l'attribue directement à une intervention chirurgicale qu'elle a subie en novembre 2019.
"Au départ, l'opération était censée être une reprise suite à l'un des accouchements qu'elle a eus", précise Thomas. À La Réunion, les médecins ne proposent pas de solutions face à la gêne ressentie par Élodie. Le couple se tourne alors vers les professionnels de l'Hexagone. Lors de la consultation en région parisienne, le chirurgien évoque une opération "banale". "À aucun moment, il n'a parlé d'une pose de prothèse", s'insurge Thomas. Pourtant, Élodie se réveille avec une prothèse recto-vaginale implantée par voie basse. Une pratique désormais soumise à des restrictions. Contacté, le chirurgien concerné affirme ne pas avoir opéré Élodie.
C'est le début du calvaire. Pour comprendre et mettre fin à ses douleurs, Élodie demande plusieurs consultations post-opératoires, qui lui auraient été refusées. En 2020, elle parvient à se faire retirer la prothèse par le même chirurgien. Les douleurs, elles, sont toujours là. "À chaque opération, ça a empiré, décrit Thomas. Ça nous a seulement fait gagner du temps."
Une agonie physique et mentale
En quête de réponses, Élodie rejoint en janvier 2021 le groupe Facebook destiné aux victimes de complications à la suite de la pose de bandelettes pour cure d'incontinence ou de descente d'organes. "Elle est arrivée, elle s'est présentée et elle a dit : 'Je n'ai plus de prothèse', retrace Marie-Christine. On lui a dit : 'La première des choses à faire, c'est d'aller faire une échographie pour vérifier s'il n'y a vraiment plus d'implants'."
L'échographie est sans appel, du tissu est encore présent. Thomas et Élodie prennent quelques jours pour "accuser le coup" : "Le jour de l'opération, le médecin m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit qu'il avait tout retiré."
"C'est le parcours classique d'une femme qui rentre chez nous, explique Marie-Christine. Une femme qui n'a pas compris ce qu'elle a eu comme intervention, qui ne sait pas ce qu'elle a comme prothèse et qui ne sait pas comment récupérer son dossier médical."
Les femmes du collectif, qui rassemble désormais 800 membres, lui apprennent "tout". "C'était autant une agonie physique que mentale, appuie Thomas. Les mensonges auxquels on a dû faire face, et les délais de réponse de l'hôpital pour récupérer des informations, ce n'était juste pas possible."
"Elle a fait avancer la cause"
Malgré ses douleurs, Élodie travaille. Elle fait des recherches sur le sujet et partage ses connaissances avec les femmes du collectif. "Élodie a énormément fait avancer la cause, avance Marie-Christine, qui échangeait régulièrement avec elle par messages. Elle donnait des conseils aux femmes, elle les appelait et elle essayait de les dissuader de se faire opérer."
Administratrice du groupe Facebook pendant neuf mois, la Réunionnaise a organisé des échanges avec une députée et une journaliste pour médiatiser le sujet. Elle débordait également d'idées pour les banderoles et les slogans utilisés lors d'un rassemblement vindicatif à Toulouse.
Pour le 1ᵉʳ mai, qui est la journée mondiale de sensibilisation aux "mesh" (nom anglais pour désigner les bandelettes sous-urétrales et implants de renfort pelvien), Élodie a fait un montage vidéo. Elle avait demandé à chaque femme d'écrire sur une feuille leurs douleurs et de se prendre en photo avec.
Marie-Christine Siaudeau, co-fondatrice du collectif
C'est aussi un 1ᵉʳ mai qu'Élodie a été opérée aux États-Unis. Un autre "signe" pour le couple. Après l'intervention, Élodie se prend en photo de dos. "Elle montrait la liberté, elle montrait qu'elle avait été libérée de sa prothèse", se souvient Marie-Christine. "J'ai cru qu'il y allait avoir du mieux, que ça allait être derrière nous, tout ce cauchemar, espérait Thomas. Et puis non."
Des séquelles irréversibles
Malgré un retrait total de la prothèse par le chirurgien, les séquelles des autres interventions et de la prothèse qui avait "perforé son vagin" étaient "irréversibles". Après l'échec de tous les traitements et l'inefficacité des anti-douleurs, le couple prend la décision de se rendre en Belgique. "Elle a tout essayé", rajoute Thomas. L'euthanasie lui apparaît alors comme l'unique option pour mettre fin à ses souffrances.
"Plus le temps avançait, et plus elle avait de nouveaux symptômes, précise son conjoint. Sa grande peur, c'était de ne plus avoir ses facultés pour accepter le départ." En arrivant à l'aéroport, Élodie se met à avoir des convulsions. Thomas la serre dans ses bras, elle le regarde et lui dit : "Ce serait bête de rater l'avion." Derrière l'écran, les larmes du Réunionnais se mêlent à son rire : "Elle aimait rire, Élodie. Elle nous a dit : 'Vous ne pleurez pas.' Moi, qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai pleuré, et je pleure toujours."
Avant son départ, Élodie, elle, n'a pas pleuré. "Elle a raconté au chef de service en Belgique tout le supplice qu'elle a vécu, tout cela, sans verser une larme", ajoute Thomas, admiratif du courage de sa femme. Après quatre années de souffrances, son calvaire a pris fin.