Comme tant d’autres, le spectacle Antigone ma sœur conçu et mis en scène par Nelson-Rafaell Madel a souffert il y a trois ans d’une certaine pandémie tenace qui l’a empêché de trouver son public et de partir à sa rencontre. Et ç’aurait été dommage : cette Antigone-là et la galerie de personnages qui l’accompagnent (de ses parents Œdipe et Jocaste en passant par ses frères et sœur ou encore le roi Créon) dans cette version plutôt électrique, méritent le détour.
Depuis trois ans, le spectacle s’est donné sur quelques dates (notamment en Martinique et en Guadeloupe l’an dernier) mais son prochain séjour d’un mois dans la section OFF du Festival de théâtre d’Avignon en juillet devrait lui permettre d’être plus largement vu et - croisons les doigts - d’être davantage remarqué.
Antigone, belle et rebelle
C’est en travaillant sur une autre mise en scène (Au plus noir de la nuit d’André Brink) que le nom d’Antigone, citée par l’auteur, résonne particulièrement aux oreilles de Nelson-Rafaell Madel. Antigone la rebelle, "celle qui ne plie pas", celle qui ira jusqu’à se donner la mort représente une figure mythologique et mythique qui focalise tout son intérêt. Dès lors, rien de ce qui touche à Antigone n’échappera à l’attention du metteur en scène et comédien qui y trouve là matière à spectacle.
Antigone mixe
Antigone, sa famille (à la généalogie dense) et le drame qui la conduira au sacrifice ultime deviennent ainsi le cœur de la pièce qu’entreprend de monter Madel. Encore faut-il s'entendre sur le mot "pièce". Nelson-Rafaell Madel et sa distribution nous livrent ici une performance à la croisée du concert, du théâtre et du spectacle de cabaret : pour faire simple, qualifions-la de théâtre musical. Nelson-Rafaell Madel pour l’occasion créerait d’ailleurs plutôt un genre nouveau : une "tragédie musicale" qui ne serait toutefois pas dénuée d’humour…
Œdipe et Jocaste en première "party"
Au total, ils sont cinq en scène. Mais d’abord, le spectateur est convié à un concert où Œdipe (interprété par Nelson-Rafaell lui-même) interprète en duo avec DJ Jocaste un concert-show case où le comédien Nelson-Rafaell Madel montre qu’il a décidément plus d’une corde à son arc. Entre humour absurde et véritable tour de chant, c’est le drame d’Oedipe qu’il nous est donné d’entendre sur fond d’électro-pop un brin déjantée.
Puis le duo devient quatuor avec présentation des personnages, acteurs de ce concert, musiciens de ce drame dont Antigone sera tour à tour la magnifique puis triste héroïne. Et la comédienne guadeloupéennne Karine Pedurand d’y mettre toute la puissance et le trouble qu’il faut pour ancrer la vérité du personnage dans l’esprit du public - malgré l’originalité de la proposition qui pourrait dérouter…
Antigone remix
La comédienne guadeloupéenne insinue également subtilement de temps en temps dans son parler et résolument dans son corps et dans ses danses, un soupçon d’antillanité, de geste créole qui ne dénature nullement la figure mythologique d’Antigone. Bien au contraire et son metteur en scène y est sûrement aussi pour quelque chose : le mélange des genres (pop, rock, slam, rythmes plus chaloupés, un concert puis des parties dialoguées, davantage empreintes de théâtre classique…) fonctionne à merveille et rend l’ensemble du spectacle extrêmement réjouissant.
Spectacle total !
Le reste de la distribution est à l’avenant : tous oscillent subtilement entre tragique et comique, entre rires et larmes, entre amour et haine tant la frontière entre chaque item est ténue. Ça joue, déclame, chante, danse sans temps mort, pour peu que le public accepte cette forme hybride qui fonctionne de bout en bout, qui trouve indéniablement son rythme.
Notez au passage la partition (livret et musique) très réussie et vous obtenez un spectacle hautement recommandé. Vous ressortirez de cette Antigone ma sœur paradoxalement avec la trame de la tragédie en tête et des airs entêtants sur les lèvres.
« Antigone ma sœur », mise en scène de Nelson-Rafaell Madel (avec Karine Pédurand, Pierre Tanguy, Néry Catineau, Paul Nguyen, Nelson-Rafaell Madel).
Les 2 mai et 3 mai à La Barcarolle à Saint-Omer (62) ; les 5 et 6 mai au Théâtre de la Madeleine à Troyes (10) ; du 7 au 26 juillet au Théâtre « 11. » à Avignon.