Privé de festival d’Avignon pour cause de coronavirus, le Théâtre d’Outre-mer en Avignon a trouvé refuge du 3 au 26 juillet 2020 sur le web. Chaque jour, des pièces d'Outre-mer et d'ailleurs à voir sous une thématique différente.
Aujourd’hui : parole aux femmes en liberté.
Patrice Elie Dit Cosaque•
La sélection du TOMA de l'édition 2020 virtuelle, sur la thèmatique "paroles aux femmes", à voir ou à revoir :
Les monologues voilés ;
F(l)ammes ;
Afropéennes ;
Sacrifice.
Les monologues voilés - Texte et mise en scène d’Adelheid Roosen
Ce qui est remarquable dans ce spectacle et dans sa mise en scène, c’est la façon dont l’auteur et les quatre comédiennes retranscrivent toutes ces histoires ; elles sont à la fois semblables et différentes, chacune passant sans pudeur et sans artifice, du rire aux larmes. Et tout y passe : la religion, la pratique de la foi, la séduction, la drague, l’acte sexuel, la virginité, l’homosexualité, l’excision, le mariage forcé, le viol… Autant de sujets que ces monologues-là abordent sans tabou et qui tour à tour arrachent sourire, cri de colère ou larmes. C’est ce qui fait d’ailleurs tout le charme et l’intérêt de ces Monologues qui se disent sur les scènes depuis leur création en 2008.
Il faut d’ailleurs souligner la sobriété de la mise en scène qui laisse tout l’espace nécessaire pour que chaque mot issu de ces paroles puisse se faire entendre. Un canapé, quelques instruments de musique -car l’une des quatre comédiennes se double d’une musicienne remarquable- et le tour est joué ! Et nous voilà emportés dans ce voyage vers l’intime et vers des réalités que, si l’on est musulman, l’on ne veut pas toujours entendre et si on est pas musulman, qu’il est impressionnant et édifiant d’entendre et de connaître de cette façon…
Spectacle donc captivant, entrecoupé de quelques chants et de musique qui viennent donner à l’ensemble une force et une douceur… le tout porté par d’excellentes interprètes à l’incarnation drôle et bouleversante.
Ahmed Madani se pose des questions : qu’est-ce qui fait aujourd’hui l’identité française au cœur des banlieues qui ceignent les grandes villes ? Comment cerner parmi les enfants d’immigrés qui résident dans ces quartiers, la complexité de leurs sentiments et de leurs pensées vis-à-vis de la République ? En s’attachant singulièrement aux jeunes femmes -après avoir créé un spectacle où les garçons s’interrogeaient sur leur rapport au père-, Ahmed Madani ajoute alors une dimension de réflexion et d’introspection encore plus pertinente à son idée de départ.
A l’issue d’un vaste et long casting, mené donc auprès de dizaines de jeunes filles et femmes, le metteur en scène finit par sélectionner dix diamants bruts. Toutes venues avec leurs histoires de jeunes Françaises -à qui certains esprits obtus ne leur donneraient pas d’emblée le sceau "bleu blanc rouge"-, avec leurs émotions allant de la joie à la colère, avec leurs aspirations à montrer qu’elles sont là et bien là.
La mise en scène est maligne, laissant la possibilité à chacune des comédiennes de briller sous les projecteurs tour à tour, chacune abordant sa propre histoire : leur relation à la famille, à la mère ou au père, le rapport à la tradition et à la culture du pays d’origine, la relation aux autres, le regard porté sur elles et celui qu’elles portent sur le monde qui les entoure… Tout y passe : l’amour, le couple, le travail, l’école, la cité, la ville, la vie, quoi… Tout passe à la moulinette de leurs colères, de leurs joies, de leurs souffrances, et aussi et peut-être surtout, de leur humour corrosif. Si F(l)ammes amène son lot de réflexion sérieuse sur notre société, sur l’identité française, c’est aussi un spectacle drôle. Réjouissant. Jubilatoire.
Pas éludée, la question des Ultramarins vivant en banlieue et logés qu’ils le veuillent ou non à la même enseigne que les autres. L’une des dix jeunes filles l’annonce clairement et fièrement : en substance, "Je suis Guadeloupéenne. Alors oui, la Guadeloupe est française et depuis plus longtemps que certains Français mais quand on me voit dans la rue, avec ma peau noire, on pense que je ne le suis pas." Tout est dit !
Si vous ne le connaissez pas, découvrez ce spectacle F(l)ammes, c’est un incendie de bonheur(s).
La musique, omniprésente dans ce spectacle, colle bien avec l’ambiance du bar dans laquelle évoluent les sept personnages parmi lesquels ne figurent qu’un homme, un seul comédien. Qui d’ailleurs ne dit rien, n’a aucune réplique. Celles qui mènent la danse et qui se passent tour à tour le bâton de parole, ce sont elles. L’équilibre entre les six comédiennes est d’ailleurs l’une des réussites de ce spectacle. Chacune d’entre elles tire son épingle du jeu en arrivant tour à tour à nous émouvoir et souvent à nous faire rire… conséquence du bon casting effectué. Afropéennes ou le très intéressant miroir à multiples facettes de ces femmes qui, loin des terres de leurs origines, nous montrent à la fois l’image d’elles-mêmes, mais aussi le reflet que la société leur renvoie.
Tout ça c’est son quartier en Alsace. Un quartier où parfois faire les courses c’est voler, un quartier où crier, c’est une façon de parler comme une autre. Un quartier où les coups contre les femmes pleuvent plus souvent qu’à leur tour... On comprend mieux le sens du titre Sacrifice donné à ce spectacle - surtout avec l’adresse finale quand Nouara dédie quelques mots "à toutes celles pour qui le temps passe sans que rien ne se passe..."