Théâtre e-TOMA : Paroles de femmes en liberté

Privé de festival d’Avignon pour cause de coronavirus, le Théâtre d’Outre-mer en Avignon a trouvé refuge du 3 au 26 juillet 2020 sur le web. Chaque jour, des pièces d'Outre-mer et d'ailleurs à voir sous une thématique différente.  
Aujourd’hui : parole aux femmes en liberté.


 
La sélection du TOMA de l'édition 2020 virtuelle, sur la thèmatique "paroles aux femmes", à voir ou à revoir : 
  • Les monologues voilés
  • F(l)ammes ;
  • Afropéennes ;
  • Sacrifice.

Les monologues voilés - Texte et mise en scène d’Adelheid Roosen


 Tout comme les monologues du vagin dont ces monologues voilés seraient un "spin-off", l’auteur de ce texte a choisi d’interviewer au préalable des femmes de confession musulmane vivant aux Pays-Bas et originaires aussi bien d’Arabie Saoudite, d’Égypte, d’Irak, d’Iran que de Turquie ou de Somalie. Et le préambule le dit bien : ces femmes se montrent plus effacées, plus timides à l’idée de se raconter et de raconter ce qu’elles sont dans leur intimité. Reste une même intention : permettre une libération, une libéralisation de la parole des femmes.

Ce qui est remarquable dans ce spectacle et dans sa mise en scène, c’est la façon dont l’auteur et les quatre comédiennes retranscrivent toutes ces histoires ; elles sont à la fois semblables et différentes, chacune passant sans pudeur et sans artifice, du rire aux larmes. Et tout y passe : la religion, la pratique de la foi, la séduction, la drague, l’acte sexuel, la virginité, l’homosexualité, l’excision, le mariage forcé, le viol… Autant de sujets que ces monologues-là abordent sans tabou et qui tour à tour arrachent sourire, cri de colère ou larmes. C’est ce qui fait d’ailleurs tout le charme et l’intérêt de ces Monologues qui se disent sur les scènes depuis leur création en 2008.

Il faut d’ailleurs souligner la sobriété de la mise en scène qui laisse tout l’espace nécessaire pour que chaque mot issu de ces paroles puisse se faire entendre. Un canapé, quelques instruments de musique -car l’une des quatre comédiennes se double d’une musicienne remarquable- et le tour est joué ! Et nous voilà emportés dans ce voyage vers l’intime et vers des réalités que, si l’on est musulman, l’on ne veut pas toujours entendre et si on est pas musulman, qu’il est impressionnant et édifiant d’entendre et de connaître de cette façon…

Spectacle donc captivant, entrecoupé de quelques chants et de musique qui viennent donner à l’ensemble une force et une douceur… le tout porté par d’excellentes interprètes à l’incarnation drôle et bouleversante.
 

F(l)ammes – texte et mise en scène d’Ahmad Amani

 
F(l)ammes, c’est un projet porté et mis en scène par Ahmed Madani. Un spectacle réjouissant comme le théâtre en a parfois le secret. 

Ahmed Madani se pose des questions : qu’est-ce qui fait aujourd’hui l’identité française au cœur des banlieues qui ceignent les grandes villes ? Comment cerner parmi les enfants d’immigrés qui résident dans ces quartiers, la complexité de leurs sentiments et de leurs pensées vis-à-vis de la République ? En s’attachant singulièrement aux jeunes femmes -après avoir créé un spectacle où les garçons s’interrogeaient sur leur rapport au père-, Ahmed Madani ajoute alors une dimension de réflexion et d’introspection encore plus pertinente à son idée de départ. 

A l’issue d’un vaste et long casting, mené donc auprès de dizaines de jeunes filles et  femmes, le metteur en scène finit par sélectionner dix diamants bruts. Toutes venues avec leurs histoires de jeunes Françaises -à qui certains esprits obtus ne leur donneraient pas d’emblée le sceau "bleu blanc rouge"-, avec leurs émotions allant de la joie à la colère, avec leurs aspirations à montrer qu’elles sont là et bien là.

La mise en scène est maligne, laissant la possibilité à chacune des comédiennes de briller sous les projecteurs tour à tour, chacune abordant sa propre histoire : leur relation à la famille, à la mère ou au père, le rapport à la tradition et à la culture du pays d’origine, la relation aux autres, le regard porté sur elles et celui qu’elles portent sur le monde qui les entoure… Tout y passe : l’amour, le couple, le travail, l’école, la cité, la ville, la vie, quoi… Tout passe à la moulinette de leurs colères, de leurs joies, de leurs souffrances, et aussi et peut-être surtout, de leur humour corrosif. Si F(l)ammes amène son lot de réflexion sérieuse sur notre société, sur l’identité française, c’est aussi un spectacle drôle. Réjouissant. Jubilatoire.

Pas éludée, la question des Ultramarins vivant en banlieue et logés qu’ils le veuillent ou non à la même enseigne que les autres. L’une des dix jeunes filles l’annonce clairement et fièrement : en substance, "Je suis Guadeloupéenne. Alors oui, la Guadeloupe est française et depuis plus longtemps que certains Français mais quand on me voit dans la rue, avec ma peau noire, on pense que je ne le suis pas." Tout est dit !
Si vous ne le connaissez pas, découvrez ce spectacle F(l)ammes, c’est un incendie de bonheur(s). 
 

Afropéennes – mise en scène d’Eva Doumbia

 
C’est une pièce sur le regard… Sur les points de vue selon l’endroit où l’on nait, selon l’endroit où l’on vit, selon l’endroit où l’on veut être… Le bar représenté sur scène est un prétexte… Il nous donne le lieu et l’occasion de croiser des femmes, des femmes noires mais c’est à la fois tout ce qui fait leur point commun et la grande différence entre elles. Elles sont noires mais n’ont pas eu les mêmes destins à la naissance en fonction de l’histoire de leurs aînés. Elles sont noires et vivent toutes en France mais n’y sont pas là ou arrivées là de la même façon. Chacune d’entre elle se retrouve à conter et raconter son histoire et celle de ceux qui les ont fait naître. Les textes de Léonara Miano sont à cette aune-là drôles et touchants : le spectre des relations à la femme noire y est large et balayé de façon à ce que tous les cas de figure soient évoqués : la femme noire et l’homme, la femme noire et sa mère, la femme noire ici et là-bas, l’image de la femme noire et les fantasmes qu’elle suscite… Et puis un passage à la fois très émouvant et implacable sur le père… sur la figure du père. L’homme noir dans toute sa splendeur et dans tous ce qu’il a de haïssable : absent, exigeant parfois violent… Une figure contre et avec laquelle il faut se construire... malgré tout. 

La musique, omniprésente dans ce spectacle, colle bien avec l’ambiance du bar dans laquelle évoluent les sept personnages parmi lesquels ne figurent qu’un homme, un seul comédien. Qui d’ailleurs ne dit rien, n’a aucune réplique. Celles qui mènent la danse et qui se passent tour à tour le bâton de parole, ce sont elles. L’équilibre entre les six comédiennes est d’ailleurs l’une des réussites de ce spectacle. Chacune d’entre elles tire son épingle du jeu en arrivant tour à tour à nous émouvoir et souvent à nous faire rire… conséquence du bon casting effectué. 
Afropéennes ou le très intéressant miroir à multiples facettes de ces femmes qui, loin des terres de leurs origines, nous montrent à la fois l’image d’elles-mêmes, mais aussi le reflet que la société leur renvoie.   
 

Sacrifices – mise en scène de Pierre Guillois


À première vue, l’ensemble prend des allures de seule en scène. De one-woman-show. Il faut dire que Nouara Naghouche y met tous les atours : la succession de personnages qu’elle incarne et qu’elle tient de bout en bout, cette façon de détourner en bons mots toutes les situations qu’elle décrit, ces clins d’œil qu’elle adresse au public quand elle les prend à témoin... Mais à y regarder de plus près, il n’y a rien au fond de drôle dans ce qu’elle nous raconte... et il est d’autant plus intéressant de réussir à nous arracher un sourire et un titre dans ces conditions... Nouara campe cette femme qui ne veut pas consommer un mariage auquel elle a été forcée, soyons plus juste : elle ne veut pas être consommée dans ce mariage forcé. Nouara est Zoubida 35 ans de mariage avec un homme qui, au-delà du manque de respect, est juste une ordure avec elle. Nouara est Marie-France qui tente à sa manière de venir en aide aux femmes qui en ont besoin ; Nouara est elle-même enfant, devient son frère, puis son père et sa mère dans une évocation de souvenirs d’enfance pas si rose... disons rose foncé ; Nouara est un jeune à la dérive, Nouara joue tous les rôles, les endossant parfaitement puisqu’elle est connaît parfaitement.. 

Tout ça c’est son quartier en Alsace. Un quartier où parfois faire les courses c’est voler, un quartier où crier, c’est une façon de parler comme une autre. Un quartier où les coups contre les femmes pleuvent plus souvent qu’à leur tour... On comprend mieux le sens du titre Sacrifice donné à ce spectacle - surtout avec l’adresse finale quand Nouara dédie quelques mots "à toutes celles pour qui le temps passe sans que rien ne se passe..."

Toutes ces pièces sont à voir du 3 au 26 juillet sur www.verbeincarne.fr