Le couple, comme une source inépuisable de matière à théâtre... Déjà dans sa pièce précédente Bodlanmou pa loin (Bientôt, l’amour…), Franck Salin racontait l’histoire volcanique de Gérard et Léna et distillait ce qui fonde la relation entre un homme et une femme censés s’aimer.
Bis repetita pour l’auteur et metteur en scène avec sa nouvelle production Zantray pour trois dates en représentation à Paris. Mais rien que dans le titre, il y a comme l’impression qu’il est allé plus loin encore dans cette exploration. Et cela se confirme sur scène avec, entre les lignes d’une comédie grinçante, l’apparition de moments dramatiques qui donne une dimension crue à ce qui n’aurait pu être qu’une comédie de plus à la sauce créole.
Entre rires et larmes
Cette fois, ils s’appellent José et Marie-Paule. C’est cette dernière que l’on découvre en premier, vêtue d’une robe rouge vif (rouge sang ?) sur le bord de scène juste avant que ne s’ouvre le rideau sur un décor sobre (un lit, une table, une chaise) et sur un homme vêtu d’un pyjama.
Il commence à parler, seul sur la scène, et on comprend qu’il s’adresse à une femme, à sa femme, la bouche pleine de reproches et de récriminations à son égard.
C’est que José est mécontent : Marie-Paule, à laquelle il est marié et avec qui il a eu deux enfants, remettrait en cause, par ses actions et ses paroles, son rôle de chef de famille ! Et ça, José, ça le rend fou. Au figuré et peut-être au sens propre… Subtilement d’abord, tout en monologue avec José puis en dialogues quand Marie-Paule apparait sur scène, Franck Salin met en place cette danse qui prend les deux personnages qui, au fil des ans, ont vu disparaître l’amour au profit d’une haine larvée.
Un texte ciselé
En écoutant sur scène Irène Bicep et Christian Julien donner le texte de Franck Salin mais aussi en le lisant, on ne peut que relever le travail d’orfèvre de l’auteur. Il y a un amour et un plaisir à manier la langue créole, à reprendre les expressions qui illustrent et disent, à l’image près, le sentiment. Qu’il s’agisse de l’amour, la haine, la joie, le doute, la peur, la colère, la séduction ou la révolte… Les mots, le créole de Franck Salin, exhument parfois des expressions ou des proverbes peu usités et touchent juste. Et génèrent cette distance tantôt nécessaire, tantôt dérangeante entre comédie et drame.
Car ni l’un ni l’autre ne manquent dans cette pièce, mêlés même dans les moments plus durs évoqués dans Zantray, moments touchant à la violence dont nos sociétés antillaises ou ultramarines - et toutes les sociétés - ne sont malheureusement pas exemptes. Rire pour ne pas pleurer. Et faire entendre peut-être plus de choses ainsi…
Une excellente partition
Christian Julien et Irène Bicep portent cette dualité des sentiments dans leur jeu. Sur scène, les deux acteurs défendent parfaitement leurs rôles, tant par la justesse de leur jeu et la façon de rendre leurs personnages, que dans la manière de nous restituer ce créole (ndlr : un sur-titrage est disponible pour les non-créolophones). L’occasion aussi pour eux - et leurs personnages - de chanter et de glisser quelques pas de danse au cœur d’une joute verbale implacable entre José et Marie-Paule tout au long de la pièce.
À applaudir donc, Zantray qui se donne à Paris encore ce samedi 18 décembre au soir et demain dimanche 19 décembre. Avant, il faut l’espérer, une tournée dans les Outre-mer et ailleurs.
"Zantray" de Franck Salin qui signe aussi la mise en scène. Avec Irène Bicep "Layko" et Christian Julien. Ce samedi 18 décembre 20h30 et dimanche 19 décembre 14h30 à l’Auguste Théâtre à Paris.