Théâtres d’Outre-mer en Avignon - "Le Mariage du diable ou l’Ivrogne corrigé", un opéra rhum

Une scène de la pièce "Le Mariage du Diable" au TOMA en Avignon.
Que l’on soit fin connaisseur ou néophyte, voilà avec "Le Mariage du diable ou l’Ivrogne corrigé" un excellent moyen de (ré)concilier l’opéra - l’art lyrique - avec la musique populaire des Antilles, sur fond de farce vaudevillesque et de carnaval antillais.
La magie des territoires ultramarins, de ces « petites » terres que l’on appelle en France les Outre-mer, c’est qu’il s’y passe de grandes choses… Et que décidément métissage est un bien beau mot quand il incite, invite aux mélanges de toute nature pour créer de nouvelles saveurs, de nouvelles couleurs ou de nouveaux genres. Cette fois-ci, avec « le Mariage du diable ou l’Ivrogne corrigé », c’est le mélange des genres musicaux qui donne lieu à un spectacle savoureux comme un bon rhum qui aurait vieilli dans un fût de chêne réservé jusque-là au mûrissement d’un très bon cognac.
 

Mélange des genres très réussi

En l’occurrence, « Le Mariage du Diable » est un opéra comique de Christoph Willibald Gluck, compositeur allemand du XVIIIe siècle, opéra s’inspirant d’une pièce de théâtre mêlant déjà, à l’époque, musique « classique », savante disait-on alors et airs populaires, incitant le public à reprendre en chœur ces airs connus de lui. Un principe remis au goût du jour par la compagnie Carib’opéra qui regroupe des artistes lyriques de l’Hexagone et d’Outre-mer, excellents musiciens et chanteurs mettant leurs talents en œuvre pour ce projet qui enthousiasme le public d’Avignon depuis vendredi. Ainsi avec eux, l’opéra se pare de couleurs de carnaval, mâtiné de musiques populaires de la Martinique allant d’airs connus signés Loulou Boislaville ou Francisco, jusqu’au très « zoukant » Maldonn’ de Zouk Machine !
 

L’histoire sonne comme une farce, comme une de ces comédies dont Molière ou Marivaux avaient le secret : Mathurin veut marier sa nièce Colette à son compagnon de beuverie Lucas ; Colette qui a déjà donné son cœur au jeune Cléon va monter avec lui tout un stratagème, aidée de sa tante Mathurine, femme de Mathurin, afin de faire échouer ce projet de mariage forcé. Le Diable de carnaval, les esprits, l’imagerie du quimbois, la magie noire des Antilles seront autant d’ingrédients permettant de retourner la situation et de faire triompher l’amour des plans avinés de l’oncle.


Musiques et voix en plein accord

Côté orchestre, ils sont quatre musiciens au diapason : un violon (Anastasia Laurent), un violoncelle (Clotilde Lacroix), des percussions (Marc Pujol), un piano (le pianiste Benjamin Laurent assure également la direction musicale très réussie de l’ensemble) ; côté théâtre, les cinq chanteurs (les sopranos Marie-Claude Bottius et Mylène Bourbeau ainsi que Joël O’Cangha, Alban Legos et Henry Bastien D’Elie) se doublent également d’excellents comédiens assurant de bout en bout les parts comiques liées à la farce et à l’opéra de Gluck, ce qui n’est pas une mince affaire. On se délecte du plaisir d’entendre sur la scène de la Chapelle du Verbe Incarné de la musique classique, de l’opéra (!) - souffrant la plupart du temps d’une image poussiéreuse, soi-disant réservée à une élite de connaisseurs - tout en riant des mésaventures de deux compères soûlards, abreuvés de rhum et parés pour le défilé/vidé de carnaval, tournés en ridicule de la plus désopilante des façons.
 

Et la mise en scène drôle et enlevée de Julie Timmerman n’est pas étrangère au succès de cette mixture : la scénographie, les costumes, les éléments de carnaval disséminés ça et là, mêlés à l’imagerie des pièces du XVIIIe contribuent, à l’instar du métissage musical lyique/airs populaires, à rendre l’ensemble cohérent de telle façon que l’œil et l’ouïe acceptent sans ambages cette proposition, étonnante sur le papier, et plus que convaincante à l’arrivée.
 

Ambiance "bò kay"

Tout est respecté : l’esprit de l’opéra initial du Gluck et les amateurs purs et durs de ce genre musical ne devraient y trouver rien à redire, et le décorum et l’ambiance bò kay (à la maison) et bon enfant si particulière à cette période carnavalesque de la Martinique. Les libertés prises sont au service du projet de développer et d’élargir l’engouement pour des musiques qui traditionnellement n’ont que trop peu de cours et de prise sous le soleil des Antilles, il faut bien l’avouer. Mais ce « Mariage du diable » devrait, souhaitons-le contribuer à changer la donne, à en croire tout moins l’accueil réservé par le public d’Avignon et le bouche à oreille qui devrait résonner jusqu’en mer des Caraïbes… Courez-y et très vite, vous n’avez – du moins dans le cadre du TOMA - que jusqu’à mercredi pour dire oui sans crainte à ce qui semble un « mariage des contraires » et assister à ce « Mariage du Diable » !

"Le Mariage du diable (ou l’Ivrogne corrigé)", jusqu’au 11 juillet à la Chapelle du Verbe Incarné, 12h05