Titaua Peu : "Dans les années Flosse, la Polynésie tendait à être totalitaire" [#MaParole]

Romancière talentueuse, Titaua Peu est devenue la porte-parole des Polynésiens que l’on n’entend pas. Dans ces deux romans, Pina et Mutismes, elle raconte une Polynésie loin des clichés "vahinés et cocotiers". Mais qui est vraiment Titaua Peu ? Esquisse d’une personnalité dans #MaParole.

Elle est la plus jeune écrivaine polynésienne à avoir été publiée. En 2003, quand Mutismes est sorti, le roman a sacrément secoué le cocotier. Treize ans plus tard Pina était édité Au vent des îles et là encore Titaua Peu confirmait son talent d’empêcheuse de tourner en rond.

#1 Tahiti dans fard

Le visage qu’elle donne de la Polynésie questionne. Rien à voir avec les clichés "vahinés et cocotiers" trop longtemps servis par les Loti ou Gauguin qui avaient bien voulu voir ce qu’ils voulaient de la Polynésie, sans trop se soucier de la population. Avec Titaua Peu, Tahiti se dessine sans fard. Dans Pina, elle évoque les violences conjugales, l’inceste, la prostitution, le déracinement, l’homophobie, le radicalisme religieux, la misère sociale et affective mais aussi l’amour, la culture, la soif de connaissances et l’amitié. Titaua Peu a accepté de raconter son parcours dans #MaParole et c’est bien précieux.

Titaua Peu est née à Nouméa en 1975. Sa famille avait quitté Tahiti au moment du boom du nickel en Nouvelle-Calédonie. Des émigrés économiques. Dernière de la fratrie, Titaua Peu est restée deux ans en Nouvelle-Calédonie. Elle connait peu de choses sur cette période sauf ce que lui ont raconté ses parents. Elle sait que les événements en Nouvelle-Calédonie, le malaise social ont précipité le départ de la famille. Des années plus tard, Titaua Peu s’est rendue en Nouvelle-Calédonie quand elle était auteure. Elle a pu rencontrer des membres de sa famille et découvrir avec émerveillement son lieu de naissance.

#2 Lagarde et Michard 

Titaua Peu a grandi à Tahiti dans le quartier de la mission de Papeete. Elle a été à l’école chez les bonnes sœurs puis au collège privé La Mennais. Elle détestait ce collège et l’ambiance qui y régnait. Enfant, elle aimait suivre ses frères et sœurs, même si ceux-ci en avaient un peu marre de "la petite qui boudait". Elle aimait aussi lire. Elle a ainsi découvert Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë dont elle a apprécié le côté "romanesque". Mais surtout, elle a dévoré à l’âge de huit ans les six tomes du manuel de littérature Lagarde et Michard de son grand frère. Ce qui dénote d’une certaine précocité !

Au lycée Paul Gauguin de Papeete, dont elle souhaiterait qu’il change de nom, Titaua Peu a commencé à apprécier les études. Elle aimait la littérature avec passion et gardé un souvenir merveilleux de deux de ses professeures. Après le bac, la Tahitienne a décidé de partir étudier la philosophie à Paris. Elle s'est tout de suite plu à Paris, a goûté à la liberté, l'ouverture d'une capitale sur le monde. Un vrai bain de jouvence. Elle a vécu de loin la reprise des essais nucléaires en 1995. Un traumatisme.

De retour en Polynésie en 2002, Titaua Peu est revenue avec un fils et un livre presque achevé : Mutismes. Elle a mis un point final à ce récit à Tahiti et c’est sa sœur Sylvie qui a décidé de le proposer aux deux éditeurs locaux de l’époque. Titaua Peu ne pensait pas à se faire éditer. La grande sœur a été bien inspirée. Le roman est sorti en 2003 aux éditions Haero po. Il a fait l’effet d’une bombe. Titaua Peu décrivait une Polynésie crue avec son lot de misère, de violence conjugale et d’inégalités. L’héroïne y embrassait le combat de son compagnon Rori, un indépendantiste en guerre contre la reprise des essais nucléaires.

#3 Les années Flosse

A Papeete, Titaua Peu n’a pas très bien vécu les années Flosse. Elle se sentait surveillée. Elle évoque cette période dans #MaParole. D’abord secrétaire de rédaction à la Dépêche de Tahiti, elle a été embauchée à la communication de Faa’a. A Tahiti, Faa’a où se trouve l’aéroport n’est pas une commune comme les autres. C’est la ville la plus peuplée de l’île. Administrée depuis 1983 par les indépendantistes et en particulier par Oscar Temaru, le leader du Tavini Huiratira, Titaua Peu s'y est sentie bien.

Pendant une dizaine d’années, l’écrivaine n’a pas écrit, trop prise par son travail et sa vie quotidienne de maman de deux enfants. Elle était la plume des indépendantistes. Mais, son roman Pina se préparait dans sa tête. En 2016, il est finalement sorti, édité Au vent des îles. Un choc. Pina est un véritable coup de poing, un roman d’une force incroyable. Titaua Peu dresse une fresque à la fois violente, lugubre, révoltée et pleine espoir de la Polynésie actuelle.

En 2017, Pina a remporté le prix Eugène Dabit pour le meilleur roman populiste, devant Sorj Chalandon. Une fierté. Elle a apprécié d’être ainsi reconnue par ses pairs. Pina a été traduit en anglais et va d'ailleurs sortir en juillet 2022 aux Etats-Unis. Par ailleurs, en 2021, son éditeur Au vent des îles a réédité son premier roman Mutismes. Titaua Peu a été choisie pour initier la première résidence d’auteur à Tahaa et à Mangareva pendant deux mois. Elle va en profiter pour peaufiner l’écriture de son prochain récit. "Il s'agira d'un roman d'anticipation ou de science-fiction avec des personnages formidables qui montrera une autre facette de la Polynésie" précise l'auteure dans #MaParole

A la prise de son : Mathieu Benayoun.

Pour retrouver tous les épisodes de #MaParole, cliquez ici.  

♦♦ Titaua Peu en 5 dates ♦♦♦

►1975 

Naissance en Nouvelle-Calédonie


►Juillet 1994 

Obtention de son Baccalauréat littéraire au Lycée Paul Gauguin

►Avril 2002

Publication de Mutismes (éditions Haero Po-Réédition Au vent des îles en 2021)

►3 décembre 2016 

Publication de Pina (éditions Au vent des îles)


►29 novembre 2017 

Prix Eugène Dabit pour le meilleur roman populiste