Sept membres de la CCAT, la cellule de coordination des actions de terrain, mouvement issu de l'Union Calédonienne, ont atterri ce lundi dans l'Hexagone pour être placés en détention provisoire dans le cadre d'une instruction en cours sur l'archipel. Les représentants indépendantistes, dont leur leader Christian Tein, avaient été déférés devant un juge des libertés et de la détention à Nouméa samedi. Ils sont suspectés d'avoir orchestré les violences et les barrages des dernières semaines. À l'issue d'une audience à huis clos, sept des onze personnes interpellées ont appris qu'elles étaient placées en détention provisoire, dans l'hexagone. Leur transfert s'est opéré tout de suite dans la nuit de samedi à dimanche. "La question du lieu n’a été évoquée qu’à la fin de l’audience et les personnes ont été conduites directement à l’aéroport." rappelle Odile Macchi, responsable du pôle Enquêtes de l'Observatoire international des Prisons, l'OIP. "Ça n’arrive jamais ce genre de choses, c’est ça qui est très fort, ce n’est pas arrivé depuis la guerre civile en Nouvelle-Calédonie. Donc ça réveille évidemment des souvenirs douloureux", explique de son côté la présidente de la Ligue des droits de l'Homme, Nathalie Tehio.
Un éloignement exceptionnel
"Ce sont des personnes qui sont présumées innocentes, elles n’ont pas été jugées et que de ce fait, le principe, c'est la liberté", estime Nathalie Tehio. L'avocate calédonienne installée en France est devenue il y a un mois à peine présidente de la Ligue des droits de l'Homme. Si elle avait toujours refusé de travailler sur des cas calédoniens, cette histoire la rattrape désormais. "On peut se poser la question de la nécessité de la détention provisoire s’agissant de personnes qui font des appels publics au calme", se questionne l'avocate à propos des militants. Christian Tein avait en effet appelé au calme quelques jours après le début des violences, survenues après l'adoption d'une loi visant à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, caduque depuis la dissolution de l'Assemblée nationale.
C'est à l'issue de 96 heures de garde à vue à Nouméa que leur déferrement devant le juge des libertés et de la détention a été demandé par le juge d'instruction, qui mène l'enquête. "S’ils sont restés longtemps en garde à vue, c’est parce que ça a été considéré comme de la criminalité organisée. Et dans ce cadre-là, il est possible de les garder plus longtemps", explique l'avocate. Des conditions d'instructions exceptionnelles, tout comme le profil de certains mis en cause.
Brenda Wanabo, chargée de communication de la CCAT transférée à la prison de Dijon, laisse en Nouvelle-Calédonie ses trois enfants, de quatre ans pour le plus jeune." Toutes les erreurs dans la gestion de la crise ont été commises de la part de l'institution judiciaire", estime son avocat Maitre Gruet, qui précise que sa cliente n'a jamais appelé à la violence. "C’est quand même une mesure extrême de les faire partir à plus de 17 000 km", juge Nathalie Tehio, rappelant que leurs avocats sont restés sur l'archipel et que pour l'heure l'instruction se poursuit à Nouméa. Une mesure d'éloignement qui "bafoue des droits fondamentaux et notamment le maintien des droits familiaux " estime Odile Macchi de l'OIP.
Une défense à distance
C'est donc à distance que la défense des militants devra s'organiser. L'enquête vise notamment des faits d'associations de malfaiteurs, vols avec armes en bande organisée, complicité dans l'instigation de meurtres ou tentatives de meurtres sur personnes dépositaire de l'autorité publique. Mais les chefs de mise en examen n'ont pas été précisés par le procureur.
"Dans quelles conditions peuvent-ils mener l’enquête ?, questionne Odile Macchi de l'Observatoire international des Prisons. Est-ce qu'il va y avoir des visios tout le temps ? Comment les personnes qui ont des avocats sur l’archipel vont-elles pouvoir maintenir le contact avec leurs avocats avec le décalage horaire ? Le coût des communications va être énorme, ça va être très difficile de maintenir le lien." Les membres de la défense des militants sont pour l'heure sans information de la suite des procédures. Parmi eux, dans l'hexagone, l'un des célèbres avocats du FLNKS, François Roux, a renfilé la robe pour apporter son soutien. "On est dans le flou pour le moment" explique-t-il. "Le juge d’instruction à Nouméa peut décider de venir passer un mois ici pour entendre les accusés. Il peut déléguer à des collègues ici", précise-t-il.
Dans ce contexte, difficile d'organiser une bonne défense pour Odile Macchi. "L’accès à la visio est très compliqué, ça dépend beaucoup des établissements. Ce ne sont pas du tout des conditions suffisantes pour garantir le droit à la défense, je ne vois pas du tout comment ça va se faire. Et pour garantir la confidentialité des échanges, ça va être compliqué aussi.", déplore la responsable du Pôle Enquêtes de l'OIP.
Les cas Tjibaou et Jorédie
Mulhouse, Riom, Dijon, les sept militants de la CCAT sont répartis dans différentes prisons de l'hexagone. "On constate qu’il n’y en a pas deux dans le même établissement, c’est une dispersion importante", présente Odile Macchi.
Des mesures d'éloignements qui détonnent avec les placements en détention provisoire ce mardi de Joël Tjibaou et Gilles Jorédie à la prison du Camp-Est en Nouvelle-Calédonie. Le fils de Jean-Marie Tjibaou avait demandé samedi le report de son audience devant le juge des libertés et de la détention. "Ce sont des figures, juge Nathalie Tehio, présidente de la ligue des droits de l'Homme. Les enfants de responsables politiques extrêmement important pour le mouvement indépendantiste, c’est probablement pour ça qu’il y a eu un peu plus de temps pris pour réfléchir à leur cas précisément." Une coïncidence plutôt logistique que politique, estime François Roux : "Les avions étaient déjà partis" juge l'avocat. "À part Ouvéa, je ne me souviens pas que des militants indépendantistes aient été transférés en France", précise-t-il.
Vers un dépaysement de l'enquête ?
La rumeur d'un dépaysement de l'instruction et donc du procès court également. "Donc un tribunal métropolitain qui va prendre en charge les investigations. Comme les chefs d’inculpation sont assez lourds, j’ai bien peur que l’enquête soit longue", explique Odile Macchi de l'OIP. "Un des problèmes, c’est le silence de l’administration et du ministère de la Justice. Il y a sûrement un plan prévu, mais on n’est pas informé." Contacté, le ministère de la Justice indique qu'il ne souhaite pas commenter une procédure en cours.
"Il y a un contexte politique qui fait que c’est compliqué de dire qu’on va regarder le dossier uniquement sur les infractions commises en supposant qu’elles soient commises, estime de son côté Nathalie Tehio. On ne peut pas faire abstraction du contexte politique, donc il n’y a qu’un règlement politique qui puisse résoudre l’équation en Nouvelle-Calédonie et ramener la Paix.", précise la présidente la Ligue des droits de l'Homme.