Où en est l’enquête sur Jovenel Moïse, le président haïtien assassiné il y a un an dans l’un des quartiers les plus sûrs de Port-au-Prince ? En état de mort cérébrale. Pourtant l’instruction avait commencé sur les chapeaux de roues. Quelques heures après l’assassinat, la police haïtienne avait arrêté une vingtaine d’individus dont 18 anciens militaires colombiens.
Un an après, les individus arrêtés sont toujours emprisonnés et l’enquête pointe dans deux directions : vers le Premier ministre, Ariel Henry et vers une société de sécurité basée à Miami, aux Etats-Unis. Nommé seulement deux jours avant l'assassinat, Ariel Henry est suspecté d'avoir eu des conversations téléphoniques avec l'un des principaux suspects quelques heures après l'attentat. Invité par le procureur à s'expliquer, il ne s'est pas présenté, qualifiant la démarche de "diversion". Il a ensuite limogé le magistrat et nommé un nouveau ministre de la Justice. A la mi-journée du jeudi 7 juillet 2022, plusieurs milliers de partisans du défunt président ont manifesté contre le Premier ministre qu'ils accusent d'être lié au complot meurtrier.
Des ressortissants américains également impliqués
La police judiciaire haïtienne a établi, dans son rapport d'enquête, que le complot contre le président avait été fomenté en Floride et les mercenaires colombiens recrutés par une société de sécurité basée à Miami. En janvier, deux premiers suspects ont été inculpés en Floride. Ainsi qu'un ressortissant colombien suspecté d'être l'un des cinq hommes armés qui sont entrés dans la chambre où a été tué le dirigeant. S'est ajoutée une nouvelle inculpation en juin, celle de l'ex-sénateur haïtien John Joël Joseph, pour complicité de meurtre.
Un quatrième membre présumé de l'attaque avait été arrêté à l'aéroport d'Istanbul en novembre, mais la justice turque a rejeté lundi la demande d'extradition formulée par Haïti et ordonné sa libération.
Les espoirs nés de l'avancée de la procédure judiciaire à Miami ont été douchés quand, en avril, un juge américain a décidé de classer secrètes certaines preuves et auditions. La mesure a été prise car figurent parmi les suspects deux anciens informateurs de l'agence anti-drogue américaine DEA et un ancien informateur du FBI. "Nous ne voyons pas d'un bon œil le fait que les Etats-Unis se donnent cette possibilité de protéger certaines informations", note une source judiciaire haïtienne. "Tout un pan de cette histoire restera inconnu".
Une justice en difficulté
Ce fait d'armes n'a, pour l'heure, été suivi que de très lentes procédures judiciaires en Haïti et aux Etats-Unis. La présidence haïtienne est depuis vacante, et aucune date n'est en vue pour un scrutin qui permettrait de nommer un successeur.
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken s'est dit préoccupé par "les progrès limités" de l'enquête et a regretté que les autorités haïtiennes n'aient pas instauré de "mesures de sécurité renforcées pour protéger le personnel judiciaire affecté à l'affaire".
Tristement réputée pour sa lenteur, la justice haïtienne est plus que jamais à la dérive dans la capitale : depuis un mois, les locaux du parquet de Port-au-Prince sont occupés par l'un des nombreux gangs qui multiplient les enlèvements crapuleux.