Né au Sénégal et installé à Bordeaux depuis 1995, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, Karfa Diallo se démène sans relâche pour une meilleure connaissance de l’esclavage et de la colonisation. Dans sa ville d’adoption, il a joué un rôle déterminant pour une meilleure compréhension de son passé, organisant des visites guidées pour rendre compte de son histoire socioéconomique étroitement liée à l’esclavage. Sa détermination a payé. Depuis mai 2022, la ville de Bordeaux s’est associé au réseau "Mémoires et partages" dans le but d’instaurer une Mission de préfiguration d’un projet de Maison contre les esclavages. Dans ce but, Karfa Diallo organise une série d’auditions d’experts et d’universitaires, et des consultations citoyennes dont la première débute aujourd’hui.
Comment se déroulent les auditions et la consultation ?
Karfa Diallo : Nous auditionnons une trentaine de personnalités bordelaises d’abord puisque c’est un projet porté par la ville de Bordeaux et le réseau Mémoires et partages. Au niveau national ensuite comme le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, des personnalités également à Nantes et au Havre, ainsi qu’au niveau international. Les auditions sont en cours depuis le début du mois de décembre. Nous lançons aussi une consultation citoyenne, qui est une démarche assez inédite en France, car d’habitude très peu de citoyens sont associés à l’élaboration des politiques publiques comme telles. L’idée est de mettre en place un mécanisme de démocratie participative qui permette de faire remonter les aspirations des personnes intéressées par ces sujets. Cette consultation va se dérouler pour l’instant sur dix structures bordelaises du 28 janvier au 15 avril et qui vont mobiliser leurs réseaux et adhérents pour discuter avec nous. Un rapport sera ensuite remis au maire de Bordeaux le 10 mai 2023.
C’est après l’étude de ce rapport qu’une décision sera prise concernant la Maison contre les esclavages à Bordeaux ?
La mission qui nous a été confié par la ville de Bordeaux va nous permettre d’identifier la structure qui pourrait porter la Maison contre les esclavages. Structure associative ? Etablissement public ? Fondation ? La réflexion va porter aussi autour du lieu qui sera choisi avec une priorité à la ville de Bordeaux, les objectifs qui pourraient lui être assignés, les activités qui pourraient être organisées, les partenariats que l’on pourra mettre en place, et le budget de fonctionnement. A la remise du rapport la ville de Bordeaux se prononcera. Je précise que c’est une consultation et pas une concertation, c’est-à-dire qu’il y a un consensus politique important qui s’est fait sur la nécessité pour la ville de Bordeaux de dédier un lieu aux mémoires des esclavages et aux combats pour la liberté. La mairie est représentée dans la mission de préfiguration avec le directeur du Musée d’Aquitaine et un adjoint au maire qui travaillent avec nous. Nous avons aussi la métropole de Bordeaux et le département de la Gironde.
Quelle est votre vision pour cette maison ? Qu’est-ce que vous concevez ?
C’est d’abord une maison et pas un musée ou un mémorial. Nous pensons que les musées et les mémoriaux, si à un moment donné ils ont répondu aux exigences de leur époque, nous nous voulons sortir de la muséification et de la mémorialisation. Comme le dit Patrick Chamoiseau, nous souhaitons une structure d’hospitalité, un foyer où l’on peut se recueillir, se souvenir, échanger et apprendre. Les mémoires des esclavages sont des mémoires dynamiques. Cette mémoire doit être reliée à des problématiques contemporaines, la lutte contre le racisme et les discriminations, et le combat pour l’égalité. Nous voulons être dans une perspective globale, sortir de la vision européocentrée de l’histoire de l’esclavage qui peut paraître culpabilisante pour les Occidentaux, pour parler du phénomène de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ce futur lieu devrait pouvoir parler de toutes les formes d’esclavage du passé, qui ont concerné l’esclavage entre populations noires en Afrique subsaharienne, l’esclavage arabo-musulman, et bien évidemment l’esclavage occidental. L’objectif est de mieux connaître et relier ces formes particulières d’exploitation. On pourrait aussi évoquer voire réparer des formes de traumatismes d’esclavage d’aujourd’hui, comme l’exploitation des femmes dans la prostitution et les migrants.