"Accroche-toi chéri, tu n'es pas prêt." Soa de Muse, artiste de cabaret martiniquaise et drag queen de l'émission Drag Race France, a l'élégance de nous prévenir que la soirée va être folle. Voire fougueuse. Tous les samedis, le sous-sol d'un restaurant du 18ᵉ arrondissement parisien se transforme en cabaret queer et devient La Bouche. Ce soir-là, c'est la dernière de la saison. Soa est survoltée.
Dans une atmosphère très intimiste, les petites mains du cabaret s'activent à mettre la salle en place. Près de 70 personnes sont attendues. "Il va faire très chaud", nous prévient-on. D'abord parce que les artistes aiment jouer sur le côté sensuel et érotique propre au monde du cabaret. Mais aussi parce qu'aucune fenêtre ne permet d'aérer la pièce. Seul un ventilateur a été branché... pour brasser de l'air déjà chaud et humide. "La dernière fois, il y avait carrément des gouttes qui tombaient du plafond", se rappelle la Martiniquaise.
La découverte du monde du spectacle en Martinique
Imaginé par quatre artistes - dont Soa de Muse - et lancé pendant les périodes de restrictions sanitaires, La Bouche présente un mélange de chant, de danse, de drag et d'humour, le tout dans une ambiance très queer. "Je voulais que ce lieu soit dédié à la communauté LGBT", souffle Isabelle, la vieille dame qui gère le restaurant juste au-dessus et qui a gracieusement laissé son sous-sol au quatuor. "Ici, tu fais comme chez toi", dit Soa. "Mais c'est chez nous", précise-t-elle quand même de manière faussement agressive. "La Bouche, c'est notre petit bébé".
Soa de Muse a 33 ans et est née en banlieue parisienne, à Villepinte. Avec ses parents, elle rejoint la Martinique - d'où ils sont originaires - à 15 ans et y passe ses années lycée. Son goût pour la scène commence là-bas, aux Antilles. "Artistiquement, c'est là où je me suis dit que j'allais vraiment faire ça", raconte-t-elle. "Je suis revenue ici [dans l'Hexagone] à mes 20 ans pour faire des études. Enfin..." Soa pouffe et avoue que, si elle voulait revenir en région parisienne, c'était avant tout pour se lancer dans le monde du spectacle.
Je voulais juste faire de la scène. [Les études], c'était l'excuse pour faire plaisir à mes parents. Ils m'ont dit 'Tu retournes en métropole pour faire tes études'. J'ai fait 'hmm hmm'. Puis, quelques mois après, je me retrouvais à faire du striptease burlesque dans le 19ᵉ [arrondissement de Paris].
Soa de Muse
Striptease en créole
À La Bouche, "je chante, je danse, je m'effeuille, je parle au public, je dis des conneries", énumère celle qui se définit davantage comme une "créature de cabaret" plutôt qu'une "créature drag". "Mon rêve, c'est de faire le tour du monde avec mon cabaret, songe-t-elle. Mais surtout, ce serait d'arriver à en faire un aux Antilles ! Ça serait génial avec des musiciens antillais !"
À 20 heures, les portes du cabaret s'ouvrent. Le public, en majorité des hommes gays, ni très jeunes ni très vieux, s'installe dans l'espace exigu. Comme une maîtresse de cérémonie ou une présidente des États-Unis, Soa surgit sur scène et impose le silence. "Je déclare ouverte la dernière Bouche de la saison !". Sous les vivats, la femme commence le show. Accompagnée de deux accordéonistes, elle interprète (divinement) Hyacinthe, titre de Thomas Fersen qu'elle a chanté dans Drag Race France (diffusé sur France TV Slash).
Pendant que ses amis-artistes continuent le show, Soa file se changer. Pour son deuxième numéro, elle réapparait vêtue d'un string et d'une tunique émaillée, laissant apercevoir son corps. Fine dans ses gestes, sensuelle dans ses poses, la Martiniquaise se met à nue durant son lip sync (chant et danse en playback) d'une chanson en créole. Les hommes du public la dévorent du regard. La chaleur devient étouffante. Des gouttes tombent du plafond. La Bouche reviendra à la rentrée pour une nouvelle saison.