USA-Haïti : des expulsions controversées annulées à cause du coronavirus

Les drapeaux d'Haïti et des États-Unis (image d'illustration)
Washington n’a toujours pas donné ses raisons. Mais plusieurs Haïtiens, dont cinq malades de la Covid-19, n’ont pas été expulsés. Ils devaient pourtant atterrir lundi à Port-au-Prince, en provenance de San Antonio, Texas. Seuls une cinquantaine des 100 passagers prévus sont arrivés.
Une première toujours inexpliquée. Peut-être un geste de conciliation de Washington face à la polémique sur les expulsions en période de Covid-19 ? L’administration américaine a retiré plusieurs personnes, dont cinq Haïtiens malades du coronavirus, de la liste des passagers qui devaient être expulsés par un vol San Antonio - Port-au-Prince. Une cinquantaine de passagers, seulement, sur les 100 prévus sont arrivés dans la capitale haïtienne. Parmi eux 14 criminels.
 

L’ICE très critiqué

En tout cas, ces vols affrétés par l’ICE (les services d’immigration et des douanes) pour expulser des milliers d’illégaux vers leurs pays d’origine en Amérique Latine et dans la Caraïbe, sont l’un des volets les plus contestés, à l’étranger, de la lutte contre l’immigration menée par Donald Trump. Les conditions de vie dans les centres de rétention de l’ICE à la frontière mexicaine ont été critiquées dans les média, avant l’arrivée de la pandémie du coronavirus.
 

Port-au-Prince demande la suspension des expulsions

Des experts haïtiens ont souhaité la suspension des expulsions américaines de ressortissants de leur pays jusqu’à ce que la pandémie meurtrière de la Covid-19 soit maitrisée. Le groupe a demandé le maintien provisoire sur le sol américain de toute personne susceptible d'être rapatriée mais n’ayant pas subi de test de dépistage.

Une membre démocrate du Congrès, Frederica Wilson de Miami, a présenté un projet de loi, the Haitian Deportation Relief Act. Il vise à suspendre les expulsions des Haïtiens jusqu’à la fin de la pandémie aux USA et en Haïti. La loi obligerait à trouver des solutions alternatives pour les migrants ne présentant pas de danger pour la sécurité publique. La circonscription de Frederica Wilson abrite une des plus importantes communautés américano-haïtiennes du pays.
 

Le dépistage n’est pas systématique

Selon Al Jazeera, au moins 788 pensionnaires des centres de rétention ont été reconnus positifs pour la Covid-19, dont 26 au centre de Pine Prairie, où étaient internés les Haïtiens qui n’ont finalement pas été expulsés. L’ICE affirme avoir dépisté 1 600 des 29 000 personnes internées dans ces centres. Parmi elles, certaines vivent et travaillent aux USA depuis longtemps.
 

L’administration Trump agit de façon "irréfléchie"

Steve Forester, coordinateur à l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haiti (IJDH), juge qu’"expulser des gens en plein milieu d’une pandémie sans les tester est tout simplement irréfléchi."  Cité par Al Jazeera, il se demande “combien d’autres personnes positives ont été expulsées?”

En effet, Haïti ne compte que peu de cas, près de 200, jusqu’à présent. Le pays craint l’arrivée de beaucoup de malades parmi les Haïtiens expulsés de la République Dominicaine voisine.  Pour 12 millions d’habitants, Haïti n’aurait même pas 200 lits de réanimation, selon le ministère de la santé.

Selon le New York CaribNews, le Président Trump a interdit la délivrance de visas aux ressortissants des pays qui n’acceptent plus leurs citoyens renvoyés des Etats-Unis. Les Etats-Unis auraient expulsé des personnes vers au moins neuf pays en zone Amérique Latine et Caraïbes depuis février.

D’après des responsables guatémaltèques, plus de 100 de ces arrivants ont été testés positifs à leur retour au pays. Déjà, le Guatemala n’accepte plus le "transit" des personnes expulsées par les États-Unis originaires du Honduras et du Salvador.
 

Infléchissement de la politique de Washington ?

On peut donc se demander si la non expulsion de plusieurs Haïtiens, en particulier des cinq contaminés n’est pas un geste de Washington, voire le signe d’un léger infléchissement provisoire de sa politique face à la contestation grandissante dans la région.

À noter, en outre, que parmi les personnes qui devaient être expulsées figurait Emmanuel "Toto" Constant. L’arrivée annoncée de l’ancien chef des escadrons de la mort, condamné par contumace dans son pays (pour un massacre à Gonaives en 1994) avait provoqué une controverse en Haïti.

Un personnage devenu trop encombrant pour le régime fragilisé du président Jovenel Moïse. Là encore, on peut s’interroger. Washington a-t-il voulu retirer une épine du pied d’un État qui soutient sa politique, notamment vis-à-vis du Venezuela, et qui est l’un des rares à reconnaitre encore Taïwan ? Cela malgré la diplomatie très envahissante de Pékin dans la région, en particulier en République Dominicaine voisine…