Le 20 janvier dernier, Mike Maignan, international français, et gardien de but de l’AC Milan en Italie a été victime d’insultes racistes. Un exemple parmi d’autres comportements racistes que subissent les sportifs issus de la diversité. À cinq mois des Jeux Olympiques de Paris, le monde entier aura les yeux rivés vers Paris. Ce rendez-vous, très attendu par tous, est l’occasion de prôner l’idéal sportif, le vivre-ensemble, les échanges entre différents pays. Aussi parler de racisme dans le sport peut paraître déplacé, mais l’histoire des jeux a montré que les deux se retrouvent très souvent mêlés.
Cris de singe, jets de bananes, insultes racistes
Depuis plusieurs années, les manifestations de haine dans l’enceinte des stades de football sont nombreuses. Les cris de singe, les jets de bananes ou encore les chants racistes font irruption dans les matchs, entraînant parfois l’arrêt de la rencontre. Les joueurs "victimes", dans leur majorité ne dénoncent pas ces faits. Dans un documentaire réalisé en 2019 par Marc Sauvourel et Olivier Dacourt, ancien international français, les témoignages de joueurs professionnels se succèdent et tous évoquent ce moment et tentent de l’expliquer.
Dans un rapport parlementaire publié au mois de janvier, de nombreuses défaillances sont constatées au sein du sport français notamment en matière de lutte contre le racisme. L’écart entre les idéaux prônés par le sport et les pratiques sportives est énorme. Pour Patrick Vieira, ancien international français, et actuel entraîneur du RC Strasbourg Alsace "c’est de la bêtise humaine" (cf extrait documentaire « je ne suis pas un singe »), de son côté, Lilian Thuram, autre international français souligne que "c’est culturel, de mépriser les Noirs" (audition devant la commission d’enquête parlementaire).
Pour l’historien Pascal Blanchard, les deux sportifs ont raison ; la problématique du racisme dans le sport et dans la société prend racine dans l’histoire même de la France et de la colonisation.
Des données peu nombreuses, des outils efficaces ?
Parler du racisme dans le sport, c’est avant tout s’aventurer sur une problématique où les données sont peu nombreuses. Il n’y a pas de structures dédiées pour dénoncer des comportements racistes ; la cellule Signal-sports reste dédiée aux signalements de violences sexuelles, de violences physiques et/ou psychologiques, de propos sexistes, d'emprise, de maltraitances. Sabrina Sebaihi, députée des Hauts-de-Seine, rapporteure des travaux de la récente commission d’enquête de l’Assemblée nationale souhaite l’élargissement du périmètre de cette cellule pour permettre aux gens de signaler aussi les faits et comportements racistes dans le sport.
Comment identifier les responsabilités qu’ont, dans la persistance de ces problèmes, les supporters mais aussi les équipiers, les arbitres, les dirigeants de clubs et de fédérations ? "Il faut miser sur les outils existants", répond Joëlle Monlouis, avocate en droit du sport et vice-présidente de la ligue de football de Paris Ile-de-France. Il s’agit des systèmes de vidéosurveillance, utilisés sur tous les stades européens. Prenant l’exemple de ce qui est mis en place au Royaume-Unis, "où les fauteurs de troubles et les auteurs de tels comportements sont appréhendés pendant le déroulement même de la rencontre", Olivier Dacourt affirme que c’est possible au Royaume-Unis parce que les autorités ont pris la mesure de la problématique et ont eu "la volonté de faire changer les choses".
Face à des incidents racistes, tout repose sur l’arbitre ; une situation dénoncée par les invités ; selon eux, il faut trouver une solution, autre que de mettre la pression sur l’arbitre. "On peut trouver par exemple une personne en dehors du terrain comme le VAR" propose Pascal Blanchard.
Selon la réglementation actuelle, quand un incident survient, un processus doit être suivi explique Joëlle Monlouis : "d’abord, interrompre le match avec une mise en garde adressée au public, ensuite, suspension du match jusqu’à 10 minutes, nouvelle annonce au public et retour des équipes temporairement sur le stade ; et si les comportements se poursuivent, l’arbitre arrête le match définitivement ".
"Il faut toucher au porte-monnaie", lance Olivier Dacourt ; pour lui l’une des pistes est à regarder dans cette direction-là.
Quelle gestion ?
Dans la gestion de ces affaires, les sanctions collectives sont souvent légion. Pour les supporters, ces sanctions collectives punissent les supporters et préservent les clubs. Mais qui punir quand on ne peut pas identifier le ou les auteurs ?, interroge Joëlle Monlouis. « à quel moment fait-on le lien entre l’auteur du comportement raciste et le club ? C’est ce lien qui manque pour pouvoir punir le ou les auteurs ».
Tous s’accordent pour dénoncer les sanctions collectives. Pour Sabrina Sebaihi, il faut déjà appliquer l’existant. L’élue souligne la contradiction d’interdire de stade à un supporter sur une région donnée. Pour elle, « le supporter puni, doit être interdit de stade sur l’ensemble du territoire ». En Angleterre, un supporter interdit de stade doit pointer à la police chaque semaine au moment des matchs, explique Olivier Dacourt.
Le racisme ou propos racistes dans le sport sont également alimentés par les préjugés et par les médias. Au détour d’un commentaire, un sportif sera renvoyé à ses origines étrangères ou ultramarines lorsqu’il échoue. Pascal Blanchard d’expliquer que c’est dans l’histoire même de la société française. "Quand le sportif gagne, il apporte quelque chose, une valeur ajoutée au pays, à contrario, quand il perd, on ne va plus voir que ses origines arabes ou ultramarines".
Les recommandations pour tenter d’éradiquer ce fléau
La commission d’enquête a émis plusieurs préconisations, dont la première est la nécessité de créer une autorité administrative indépendante. « Cette nouvelle structure se substituera aux fédérations, qui de ce fait auront un seul interlocuteur, et les informations seront regroupées au même endroit» souligne Sabrina Sebaihi. D’autres préconisations ont été émises comme l’interruption des retransmissions télé et les fermetures systématiques des tribunes, ou encore la mise en place de billets nominatif, dématérialisé et infalsifiables, de manière à savoir qui achète un billet.
Pour Sabrina Sebaihi, en plus des actions de formation et de sensibilisation envers les différents acteurs, de l’accompagnement des joueurs victimes de tels faits, il est nécessaire de faire voter une loi.
Peu d’encadrants issus de la diversité
Un autre comportement discriminatoire dans le monde du sport est également à relever, c’est dans la répartition des postes à responsabilités. Entraineurs, dirigeants de clubs issus de la diversité sont peu nombreux ; un constat fait par tous. Si on peut compter jusqu’à "50% d’effectifs issus de la diversité dans une équipe, dans l’encadrement, le taux atteint à peine les 10%" (cf rapport parlementaire).
Pour Pascal Blanchard, "c’est un plafond de verre difficile à percer" ; un joueur ayant fait carrière a montré de quoi il était capable sur le terrain, mais s’il veut passer à une autre étape et devenir entraineur ou dirigeant, la décision n’est pas de son fait. "Il doit avoir la confiance d’autres personnes", souligne Pascal Blanchard.
Le racisme persistant au fil des siècles
Ces problèmes persistent alors qu’aucun dirigeant sportif ou politique aujourd’hui ne se prévaut du racisme. Cela n’a pas toujours été le cas.
Un exemple des plus emblématiques : les Jeux olympiques de Berlin en 1936 dans l’Allemagne nazie. Un athlète Guadeloupéen Maurice Carlton en a été témoin. D’autres exemples jalonnent les différents JO selon Pascal Blanchard. L’historien a dirigé la rédaction d’un ouvrage collectif publié en février sur "l’histoire des Olympiades modernes des JO d’Athènes en 1886 jusqu’à ceux organisés cet été à Paris". On apprend finalement que la question des préjugés raciaux n’a jamais été absente de ces compétitions sportives.
Mais cette vitrine mondiale du sport a aussi permis de donner une visibilité à des problèmes liés à la discrimination. Ce fut le cas en 1976 aux JO de Montréal, où 22 pays africains ont refusé de participer pour protester contre la présence de la Nouvelle Zélande parce qu’elle entretenait des liens sportifs avec l’Afrique du sud sous l’Apartheid.
"Sous-homme", telle était la façon dont les Noirs étaient considérés sous Hitler. Le maitre de conférence à l’université des Antilles en Martinique, Olivier Pulvar a déclaré que "la situation du sport en France s’inscrit dans quelque chose de plus global : le déni de l’histoire coloniale française". C’est le nœud du problème souligne Pascal Blanchard.
Dans le contexte mondial actuel avec des tensions internationales, des nationalismes exacerbés en Europe et ailleurs, et des accusions de génocides, la crainte des manifestations de racisme et de discriminations qui viennent troubler le déroulement des jeux est présente. "Il faut les préparer en amont" affirme Pascal Blanchard.
Les invités de Siti Daroussi :
Olivier Dacourt, ex international français de foot et coréalisateur du documentaire "je ne suis pas un singe" sur le racisme dans le foot en 2019.
Maître Joëlle Monlouis, avocate en droit du sport, vice-présidente de la ligue de football de Paris Ile-de-France
Pascal Blanchard, historien. Auteur de nombreux travaux sur l’impact du passé colonial sur la société française contemporaine ; il a dirigé la rédaction de "Olympisme, une histoire du monde" un ouvrage paru en févier 2024.
Sabrina Sebaihi, député des Hauts-de-Seine, rapporteure des travaux de la récente commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les défaillances constatées au sein du sport français, notamment en matière de lutte contre le racisme.
Pour aller plus loin :
- Je ne suis pas un singe : documentaire réalisé par Olivier Dacourt et Marc Sauvourel, 2019
- Olympisme, une histoire du monde. Des premiers jeux olympiques d’Athènes 1896 aux jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : ouvrage dirigé par Pascal Blanchard, aux éditions de La Martinière, 2024
Retrouvez tous les thèmes évoqués dans l'émission Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?
Une émission présentée par Siti Daroussi
Rédacteur en chef : Didier Givodan
Production : Pôle Outre-mer de France Télévisions
Durée : 52 minutes - © 2024