Violences à Mayotte : "L'urgence n'est pas toujours bonne conseillère" réagit une spécialiste des Outre-mer

La spécialiste des Outre-mer Françoise Vergès s'alarme des annonces faites par le ministre de l'Intérieur après la flambée de violences à Mayotte.
"Il y a des urgences, mais l'urgence n'est pas toujours bonne conseillère", a réagi Françoise Vergès, politologue spécialiste des Outre-mer, après les annonces faites par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin pour lutter contre les violences et l'immigration clandestine.

Les annonces du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin ne laissent pas indifférent. En déplacement à Mayotte pour les fêtes de fin d'année, ce dernier a notamment promis le maintien de 12 policiers du Raid sur l'archipel pour lutter contre les violences. 

Le locataire de la place Beauvau envisage par ailleurs un durcissement du droit du sol pour mieux lutter contre l'immigration illégale. Le maire Les Républicains de la capitale Mamoudzou a même évoqué ce lundi sur franceinfo sa "suppression".  

Selon Françoise Vergès, politologue spécialiste des Outre-mer, une remise en cause du droit du sol "remettra en cause profondément ce sur quoi la République française a été fondée". "C'est très très inquiétant", s'est-elle alarmée lors d'une interview à franceinfo ce lundi midi.

 

 

Faut-il lier la violence sur l'île à l'immigration illégale ?  

Françoise Vergès : Je peux comprendre évidemment l'inquiétude des Mahoraises et de Mahorais devant la violence, mais je ne pense pas que la multiplication de prisons, d'enfermements va résoudre la question.

Mayotte, c'est beaucoup plus que l'immigration illégale. Il y a des problèmes d'eau, il y a des problèmes d'érosion, il y a la question du climat. 80% des habitants vivent sur les côtes. C'est le département le plus pauvre.

Il y a beaucoup plus d'expulsions de Mayotte que dans toutes les régions de France réunies : 20.000 entre janvier et octobre 2022 contre 16.000 seulement dans toute la France.

Je veux bien que les drones, le Raid, la répression, la prison soient posés comme solution, mais je ne pense pas que cela résoudra les choses. Ce sont des questions qui vont au-delà même du petit département de Mayotte.  

Le niveau de violences imposait une réaction rapide du gouvernement ?  

Le Raid pourra réduire la violence pendant un certain temps, mais le fond de la question ne va pas du tout être résolu. On reporte quelque chose, on met un délai.

Quand vous pensez que le gouvernement envisage de revenir sur la législation du droit du sol qui est à la racine, au cœur du dispositif français de la citoyenneté, on s'inquiète. Il y a des urgences, mais l'urgence n'est pas toujours bonne conseillère.

Ça sera vraiment quelque chose qui remettra en cause profondément ce sur quoi la République française a été fondée. Elle a fait venir, par exemple, des personnes qui fuyaient les tyrannies, les dictatures à partir de la Révolution française. C'est vraiment quelque chose de très profond et très très inquiétant.  

Les élus locaux appellent à l'aide. C'est difficile pour le gouvernement de ne pas réagir ?  

Les élus locaux ne sont pas non plus toujours dans le long terme. Les habitants de Mayotte veulent aller faire des courses, envoyer les enfants à l'école sans craindre des coups de machette.

On comprend ça très bien, mais les solutions politiques, quand elles ne sont qu'à court terme, elles ne font que repousser les problèmes beaucoup plus profonds qui précèdent depuis bien longtemps la situation de 2022.

Il y a une question sur la région aussi. On voit Mayotte comme un tout petit coin de France, mais c'est juste à côté de l'immense Madagascar, de l'immense Afrique de l'Est, des îles Comores. Le manque d'eau et la question du climat vont être quand même très très problématiques. Ce sont de petites îles très fragiles. Ce sont des questions qui ne vont pas être résolues par le Raid.