Le chiffre figure dans une analyse publiée en mai par l'Institut de la statistique et des études économiques de cet archipel du Pacifique sud : en 2019 et 2020, 43% des violences physiques ou sexuelles se sont déroulées dans la sphère familiale. "La Nouvelle-Calédonie est le territoire le plus impacté par les violences intra familiales de l'ensemble de l'espace national", a indiqué à l'AFP Yves Dupas, le procureur de la République à Nouméa. Les agressions au sein du couple représentent 5,4 faits pour 1.000 habitants, soit un peu plus du double de la moyenne hexagonale.
Depuis 2018, le nombre de procédures diligentées pour violences conjugales a bondi de 50,5%. Et dans neuf cas sur dix, la victime est une femme. Les observateurs (magistrats, élus, professionnel, associatifs) sont unanimes: avec le Grenelle dédié en 2019, la parole s'est libérée en Nouvelle-Calédonie, ce qui peut expliquer l'augmentation de dépôts de plainte ou de dénonciation.
Toutefois, "la gravité se situe là : la victime ne dira rien aux premiers coups, elle en parlera lorsque la situation ne devient plus gérable. Il ne faut pas attendre", explique Jeannette Walewene, présidente de l'association Femmes et violences conjugales. "De plus en plus de chefs d'entreprise nous appellent pour signaler qu'une employée est arrivée au travail avec des bleus, qu'elle s'absente ou s'efface. Ils nous sollicitent pour organiser une action de sensibilisation pendant le temps de pause", explique-t-elle. Jeannette Walewene et Yves Dupas le constatent : "les violences intra familiales concernent toutes les communautés calédoniennes", des Kanak aux descendants d'Européens, de Vietnamiens, ou encore les habitants originaires de Wallis et Futuna.
Répondre au danger immédiat
Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, les services de l'Etat, les associations et les autorités coutumières tentent de lutter ensemble contre ces violences. Dans sa déclaration de politique générale, le 25 novembre dernier, le président du gouvernement Louis Mapou a d'ailleurs exprimé le souhait de voir "les institutions politiques, religieuses et coutumières (...) s'impliquer davantage dans la réinsertion et la réhabilitation des victimes au sein de leur communauté".
La première action est de répondre au danger immédiat en diversifiant les lieux d'hébergement, au-delà des résidences spécialisées. "Nous comptons une vingtaine de familles d'accueil et autant de transporteurs formés", observe Claude Cousin, coordinatrice de la plate-forme SOS Ecoute, dont une des missions est de créer un réseau de foyers volontaires. Le nombre de placements de femmes et d'enfants est en forte croissance depuis mi-2019, d'autant que le temps de confinement lié à l'épidémie de la Covid-19 l'an passé fut mouvementé. "L'impact de l'isolement a favorisé la dépression, le mal-être et les conflits familiaux", constate-t-elle.
Le traitement judiciaire des violences intra-familiales est "une priorité du Parquet", note pour sa part le procureur Yves Dupas, qui prone une ligne répressive. Ainsi, près de 20% des personnes incarcérées, prévenues ou condamnées, le sont aujourd'hui pour violences conjugales, des violences qui peuvent aller jusqu'au féminicide.
Contexte d'alcoolisation
En un an, de janvier 2021 à janvier 2022, trois homicides conjugaux ont été recensés en Nouvelle-Calédonie, et à chaque fois avec usage d'une arme à feu. Depuis 2020, dans ces enquêtes, la perquisition du domicile des mis en cause pour rechercher et éventuellement saisir ces armes est systématique. Stage de responsabilisation pour les primo-délinquants, bracelets anti-rapprochement, et téléphones "grand danger" complètent, entre autres, les dispositions mises en oeuvre.
Autre préoccupation : dans plus de 80% des procédures de violences, les autorités déplorent un contexte d'alcoolisation et/ou de consommation lourde de cannabis régulière, ancienne. "L'alcoolisation massive des gens est due à l'accumulation de plusieurs dysfonctionnements, tels que la fragilité de leur lieu d'habitation, l'insécurité économique, ou la précarité" souligne Jone Passa, sociologue, pour qui "la dimension du passé colonial est omniprésente, on ne peut pas l'évacuer sous prétexte qu'elle relève de l'histoire". Des représentants de la justice appellent à "un vrai plan Marshall" dans la lutte contre les addictions.