A Wallis et Futuna, la procureur exerce illégalement depuis 27 ans en raison d'une "survivance coloniale"

Le fonctionnement du tribunal de Wallis et Futuna vient d'être jugé illégal. Une décision de la cour d'appel de Nouméa juge que la procureur de Wallis et Futuna exerce ses fonctions depuis 27 ans dans un cadre illégal, suite à une nomination basé sur un décret de 1928.
Une décision de la cour d'appel de Nouméa remet en cause toutes les procédures judiciaires en cours à Wallis-et-Futuna. Cette décision a jugé que la procureur de la République de Wallis et Futuna exerçait ses fonctions depuis 27 ans dans un cadre illégal, suite à sa nomination sur la base d'un décret de 1928.
 

Une procédure contestée

Mercredi 27 septembre, la Chambre d'instruction de la cour d'appel, a donné raison à un avocat, Me Jean-Jacques Deswarte, qui avait déposé une requête en nullité, demandant l'annulation d'une procédure visant un de ses clients poursuivi pour homicide involontaire sur l'île de Wallis.       
 
L'avocat avait fondé sa requête sur le fait qu'Antonia Tamole, qui n'est pas magistrate professionnelle, a été nommée au poste de procureur du tribunal de première instance de Wallis et Futuna, selon les critères d'un décret de 1928 sur le statut de la magistrature coloniale, qui n'est plus légal.
 

Une nomination sur des critères de 1928

Fonctionnaire territoriale, Antonia Tamole a été désignée "à titre intérimaire et temporaire" à cette fonction en septembre 1990, et sa "mise à disposition" a été renouvelée en 2015 par le biais d'une convention signée par le procureur général et le premier président de la cour d'appel de Nouméa. Le territoire de Wallis et Futuna n'a même pas signé ce document, selon l'avocat.       
 
La Chambre d'instruction de la cour d'appel a jugé la requête recevable, au motif notamment, comme l'avait indiqué Me Deswarte dans son mémoire, que l'ordonnance de 1958 relative au statut de la magistrature, la loi de 1961 sur le statut de Wallis et Futuna et la loi de 1983 sur le TPI de Wallis et Futuna, ont abrogé le décret de 1928. Depuis, c'est donc un magistrat professionnel qui aurait dû être nommé comme procureur.     
 

Pas de "base légale"

"Le renouvellement de Madame Antonia Tamole en qualité de magistrat intérimaire affectée au parquet du TPI de Mata'Utu est dénué de base légale", écrit la Chambre dans son arrêt. Le poste de procureur du tribunal de Mata'Utu, chef-lieu de ce petit archipel de 12.000 habitants, devait faire l'objet d'un décret du président de la République.        
 
De son côté, le procureur général de la cour d'appel de Nouméa, James Juan, a fait savoir jeudi qu'il allait se pourvoir en cassation, insistant sur "la compétence, l'autorité et l'impartialité" avec laquelle Antonia Tamole "a toujours exercé son métier".    
 

"Survivance coloniale"

"On est dans un méandre de textes (...). Un procureur est nommé dans des conditions fixées par l'ordonnance du 22 décembre 1958, mais ma position est de dire qu'à côté, il y a des dispositions spécifiques dérogatoires", a-t-il déclaré à l'AFP.
      
Dans le cadre de l'affaire d'homicide involontaire, toutes les décisions prises par Antonia Tamole - mise en examen, ouverture d'information, délivrance de réquisitoire supplétif... - sont "réputées n'avoir jamais existé", selon l'arrêt de la chambre d'instruction. "C'est énorme comme décision ! On reconnaît qu'un procureur de la République exerce de manière illégale à cause d'une survivance coloniale. Le seul précédent remonterait à 1813", a déclaré à l'AFP Me Deswarte.     
 

Remise en cause des procédures en cours

"Dans toutes les procédures non définitivement jugées dans lesquelles Antonia Tamole est intervenue, les avocats pourront déposer des conclusions de nullité. Et de facto, la procédure tombe, c'est imparable", a-t-il ajouté, précisant que les procédures civiles et commerciales étaient aussi concernées.         
 
Une affaire de fraude à grande échelle du dispositif de défiscalisation à Wallis et Futuna, dans laquelle plus de 50 prévenus doivent comparaître en février prochain, pourrait ainsi tomber à l'eau, si le jugement est confirmé en cassation.       
 
"Je ne suis pas vraiment étonné. On savait depuis longtemps que la situation de ce tribunal était bancale juridiquement parlant. L'Etat va être obligé de nommé un parquetier", a déclaré à l'AFP Denis Milliard, avocat au barreau de Nouméa. Pour protéger les procédures en cours, dans l'attente de la décision de la cour de cassation, des substituts généraux de Nouméa seront envoyés à Mata'Utu afin que Antonia Tamole ne signe plus d'actes.