Y a-t-il eu des sous-marins nazis aux Antilles pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Illustration représentant un bateau allié torpillé par un sous-marin u-boot allemand dans les Caraïbes.
Alors que la Martinique vient de célébrer le 80eme anniversaire de sa libération, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, cette période de l'histoire a-t-elle fini de livrer tous ses secrets ? Le journaliste Emmanuel Blumstein a enquêté pendant 10 ans sur la présence méconnue de sous-marins nazis dans les eaux antillaises au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il en a tiré un film documentaire.

Résultat de plus de dix ans de recherches, en parallèle de son quotidien de journaliste, Emmanuel Blumstein a écrit le film documentaire A l’Anse Richer … soudain la guerre ! déjà diffusé en Martinique. "Quand j’ai entendu parler pour la première fois de la présence des Allemands en Guadeloupe, j'ai commencé à me renseigner un peu, raconte le journaliste. Que faisaient-ils là ? Au début, j’ai eu beaucoup de difficultés à trouver des éléments."

À force de recherches et de témoignages, Emmanuel Blumstein a réalisé un film documentaire relatant cette histoire oubliée. "Les sous-marins allemands, s’ils étaient présents du côté de la Guadeloupe ou de la Martinique, c'est parce que, d’après ce que disent les anciens, ils venaient se ravitailler auprès des marins de Vichy", explique Emmanuel Blumstein. Partis des ports hexagonaux du littoral atlantique, comme Saint-Nazaire ou Lorient, les sous-marins allemands naviguaient jusque dans la Caraïbe avec un objectif, selon Emmanuel Blumstein : couler des pétroliers américains venus se ravitailler dans la zone. L'historien, membre de la société d'histoire de Guadeloupe, Dominique Chathuant confirme l'intérêt stratégique de ces sous-marins : "Ces sous-marins avaient pour mission d’attaquer des bases américaines des territoires néerlandais de la Caraïbe. Le but était d'empêcher la production de carburants pour les avions en s’attaquant aux installations pétrolières", complète-t-il. 

Un film témoignage

"L'un des buts de ce film était d’aller sur les traces de la mémoire de cette présence allemande en Martinique, reconnait Emmanuel Blumstein. C'est assez étonnant que peu en ait parlé avant." Pour mettre en image son enquête, Emmanuel Blumstein a fait appel au réalisateur martiniquais Christian Foret, qui n'avait lui-même jamais entendu parler de cette histoire. "C’était complètement inconnu dans ma famille. Je sais que pendant la guerre, il y a eu des bouleversements à l’intérieur de la société. Mais, que ça ait abouti au ravitaillement de sous-marins allemands, je l’ignorais."

Pour porter sa thèse, Emmanuel Blumstein a fait appel a deux grandes voix : l'historien martiniquais Gilbert Pago et l'écrivain Raphaël Confiant. "Quel meilleur témoin je pouvais avoir que Raphaël Confiant, exulte Emmanuel Blumstein. Il n’a pas vécu directement la Seconde Guerre mondiale, mais a rencontré beaucoup de gens pour nourrir la plupart de ses bouquins et il avait entendu parler de la présence allemande de la bouche d’énormément de personnes en Martinique."

Emmanuel Blumstein a interrogé l'historien martiniquais Gilbert Pago à la Savane à Fort-de-France.

Plus que réécrire l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale aux Antilles, le travail d'Emmanuel Blumstein et Christian Foret tente de témoigner d'une réalité passée sous silence à travers "tout un tas de petites histoires", précise le réalisateur.  

Un soldat allemand en Martinique

L'une de ces histoires insolites a longtemps été perçue comme fantasque : celle d'un soldat allemand blessé qui aurait été débarqué pour être soigné à Fort-de-France. Épisode qu'a également étudié l'historien d'origine guadeloupéenne, Dominique Chathuant. "Dans la nuit du 16 février 1942 au large d’Aruba, île néerlandaise des Petites Antilles, qui produit du carburant, le sous-marin avait pour mission d’attaquer des bases américaines des territoires néerlandais. Cette fois-là, ils ont oublié de retirer la pièce qui bouche l’artillerie et empêche de prendre l’eau en immersion. Le sous-marin allemand a donc explosé, faisant un blessé, qui est le fils d’un officier général allemand, et qui a été débarqué en Martinique."

Le 16 février 1942, au large de Fort-de-France, un accident a lieu sur le pont d'un des u-boot allemand.

"C'est une histoire délicate, surtout quand on la regarde avec les yeux du présent, complète le réalisateur Christian Foret. Il y a des gens qui ont hébergé, rencontré ce sous-marinier allemand et ces gens n’ont pas voulu témoigner de façon directe dans le film pour ne pas qu’on les accuse d’accointance. Alors qu’il y avait avant tout, à mon avis, une question d’humanité." 

Le travail est encore long 

Ces ravitaillements de sous-marins allemands étaient-ils le fait d'actions zélées et solitaires ou d'un réseau plus largement organisé ? Là reste une des zones d'ombres de l'enquête d'Emmanuel Blumstein, qu'il a mené seul et avec peu de moyens. 

Pour l'historien Dominique Chathuant, l'existence d'un réseau dirigé par l'administration Robert [du nom de l'amiral vichyste Georges Robert], en Martinique aurait été trop risquée vis-à-vis des États-Unis tout proches. "Il est possible que les îles françaises aient ravitaillé les sous-marins allemands, estime Dominique Chathuant. Le problème, c'est que Robert savait très bien qu’en ravitaillant les sous-marins allemands, il risquait d’attirer les foudres des Américains qui envisageaient un débarquement aux Antilles."

"J'ai mis tout ce que je savais, ou presque dans ce film, conclut Emmanuel Blumstein. S'il y a des gens en Martinique et en Guadeloupe que le sujet intéresse qui veulent s’en emparer, je trouverai ça génial."Emmanuel Blumstein espère désormais que son film documentaire trouvera également son public dans l'Hexagone pour pouvoir raconter "cette histoire commune".