« Free Angela » : une heure avec Angela Davis

Angela Davis, ex-icône des mouvements radicaux afro-américains et toujours militante internationaliste, est actuellement à Paris dans le cadre de la présentation d’un documentaire qui lui est consacré : « Free Angela and All Political Prisoners ». 
Réalisé par Shola Lynch, le film revient sur le parcours d’Angela Davis depuis son enfance en Alabama jusqu’à ce qu’elle apparaisse sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par le FBI. Arrêtée en 1970, accusée d’avoir orchestré une prise d’otages se soldant par la mort d’un juge, inculpée de meurtre par la justice, elle sera finalement acquittée après avoir passé seize mois en prison. Son incarcération avait eu un retentissement mondial et déclenché une campagne internationale pour sa libération.
 
Le documentaire, construit autour d’images d’archives et d’entretiens avec Angela Davis, met en lumière les problématiques de l’époque aux Etats-Unis : le racisme, la discrimination, le mouvement des droits civiques, l’anticommunisme, les luttes afro-américaines radicales, le système judiciaire et carcéral… Il sortira le 3 avril en France.
 
Aujourd’hui, à 69 ans, Angela Davis n’a rien perdu de sa verve et de son engagement. Retraitée de l’enseignement, elle donne encore quelques cours comme professeur émérite à l’Université de Californie à Santa Cruz, dans le département d’études féministes, et continue de parcourir le monde pour donner des conférences.
 
Actuellement à Paris pour la promotion du film, Angela Davis a fait un détour à la Sorbonne, où elle étudia d’ailleurs le français pendant quelques mois en 1963. Et c’est devant un parterre d’étudiants admiratifs qu’elle a parlé du documentaire qui lui est consacré.
 
VIDEO. Bande annonce du film « Free Angela and All Political Prisoners » (sortie en France le 3 avril)
« J’étais réticente quand Shola (Linch, la réalisatrice, ndlr) m’a approchée pour réaliser le film », avoue Angela Davis. « Je ne souhaitais pas attirer encore plus d’attention sur ma personne. Mais quand on a parlé du projet, Shola m’a dit que le documentaire serait consacré au procès et au mouvement politique. Alors pour moi cela avait un sens de produire un film qui pourrait avoir de l’impact sur des générations plus jeunes. »
 
« Ce qui était important à l’époque, par rapport à mon affaire, ce n’est pas que j’ai gagné le procès. Le message c’est que des masses de gens se sont organisées aux Etats-Unis et dans le monde entier pour demander ma libération. Et cela alors que beaucoup croyaient que l’on ne pouvait rien faire contre le triumvirat Nixon - Reagan - Hoover. Ce n’est pas vraiment ma personne qui était en cause. Des gens de toutes générations, des communistes, des progressistes, des syndicalistes, des femmes, des personnes d’Afrique, d’Amérique du Sud, et d’Asie, se sont rassemblés dans un élan d’internationalisme, dans le but de créer une force inébranlable ». 
 
« Nous avons besoin de ce message aujourd’hui », poursuit l’universitaire et militante. « Il y a encore des prisonniers politiques. Leonard Peltier (militant de la cause amérindienne, incarcéré depuis 1976, ndlr), Mumia Abu Jamal et d’autres sont encore en prison aux Etats-Unis. Beaucoup d’entre nous travaillons autour de la question de l’institution carcérale. Aux Etats-Unis, deux millions et demi de personnes sont derrière les barreaux. Vingt cinq pour cent de la population carcérale mondiale sont aux Etats-Unis, dont un nombre disproportionné de Noirs. L’Amérique peut être appelée une nation-prison. Et la technologie qu’elle a développée en matière carcérale a été exportée dans le monde entier ».
 
« Vous voyez, sans même parler des questions des guerres, du sexisme, de l’environnement, etc., nous avons une immense tâche devant nous. Voilà pourquoi je pense qu’il était intéressant, pour revenir au documentaire, de montrer un cas où le peuple a triomphé », ajoute Angela Davis. 
 
Angela Davis et…
 
Barak Obama
« Son premier mandat a déçu pas mal de gens. Evidemment certains s’attendaient à ce qu’il change le monde, mais d’autres, comme moi, étaient moins naïfs. Je m’attendais quand même à ce qu’il ferme Guantanano, car il avait dit qu’il le ferait, mais il n’a même pas accompli cela. Sa première élection a constitué néanmoins une importante victoire pour les forces progressistes. C’est arrivé à un moment où personne ne croyait qu’il serait possible d’élire un Noir à la présidence, qui s’identifiait de surcroît à une tradition radicale de lutte en faveur des droits civiques. Nous devons retenir la promesse de ces instants, même si Obama n’a pas été le messie que certains attendaient. »
 
Le communisme
« Quand on me demande si je suis toujours communiste, je réponds que je ne suis plus membre du parti communiste, mais que je me considère toujours comme une communiste, avec un petit ‘c’. Je suis toujours communiste… et tant qu’il y aura du capitalisme. Le capitalisme est bien vivant, et bien pire que ce que l’on aurait pu imaginer. Il s’est insinué dans les vies des gens sur toute la planète. Ceci dit, il est possible aujourd’hui de critiquer Wall Street et le capitalisme, ce qui n’était pas le cas dans les années 30, 40 et 50. »
 
Le racisme en France
« Dans ma naïveté, venant en France dans ma jeunesse, j’imaginais la France comme une utopie raciale. Ma première visite à Paris en 1961 s’est déroulée en plein milieu de la guerre d’Algérie, et on m’a prise pour une Algérienne. J’en ai appris quelque chose ! J’ai suivi l’évolution de la situation en France. Les organisations françaises ont apporté une contribution très importante aux mouvements contre le racisme aux USA. Mais toute lutte contre le racisme doit reconnaître également le racisme qui imprègne sa propre culture. Je crois que le travail que vous devrez effectuer en France sera plus difficile que celui qui a été fait aux Etats-Unis. Aux USA, on reconnaît au moins le fait que le racisme a joué un rôle très important dans notre trajectoire historique. Je ne pense pas que ce soit le cas en France. »

 
VIDEO. Angela Davis intervient à la Sorbonne Nouvelle, le 18 mars 2013 (en anglais)