"Destin commun, les clefs du succès", l'un des temps forts de la seconde journée du colloque parisien sur les accords

Joël Viratelle, directeur de la maison de la Nouvelle-Calédonie
Suite du colloque sur les 25 ans des accords de Matignon. A la table ronde «Destin Commun, les clefs du succès» les auditeurs ont pu entendre la présentation de la lecture de l’histoire politique de l’archipel, par ceux qui l’ont faite.
Le Destin commun est au cœur du préambule de l’accord de Nouméa. « Le passé a été le temps de la colonisation, le présent est celui du partage et du rééquilibrage, le futur sera le temps du destin commun» et l’expression revient plusieurs fois dans ce que le co-auteur du préambule, l’ancien haut commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie Alain Christnacht appelle la constitution de la Nouvelle-Calédonie. Mais l’ancien conseiller de Lionel Jospin et de Michel Rocard prévient. Le destin commun, ça n’est pas un destin juxtaposé : « on est ensemble pour l’avenir , il y a des communautés [en Nouvelle Calédonie] chacune avec ses règles, y compris juridiques. Il ne faut pas non plus oublier que si la Nouvelle-Calédonie se construit dans la République, (puisqu’elle est encore dans la Constitution, même entre parenthèses), elle se construit dans le Pacifique SudIl y a donc une nouvelle citoyenneté qui se dessine. Une citoyenneté qui doit se faire par adhésion, et non, comme cela serait le cas aujourd’hui par exclusion. Et la question toute simple « que voulons nous faire ensemble ? » doit être posée au même titre que la question du lien avec la France"

Nouvelle citoyenneté

Son collègue Pierre Steinmetz, ancien membre de la mission du dialogue (envoyée par Michel Rocard au lendemain des événements poursuivra « la question n’est pas celle du lien avec la France ( décolonisation) mais celle de l’équilibre inter et intra communautaire. D’un point de vue institutionnel, ce qu’il faut trouver, ce sont les équilibres et les garanties entre les communautés qui forment la population de la Nouvelle-Calédonie. Après seulement, on pourra s’occuper du cadre institutionnel".

Un destin commun pas partagé par tous les politiques ?

Comment les responsables politiques du Caillou voient ils ce destin commun ?
A l’occasion des commémorations du 24 septembre (jour de la citoyenneté Calédonienne, mais aussi jour de l’annexion du territoire par la France) Pierre Frogier signait une « lettre aux calédoniens » lettre dans laquelle le signataire des deux accords, qui a occupé les plus hauts postes politiques locaux disait comment il voyait ce destin commun : une addition de valeurs partagées, la liberté, l’égalité la fraternité ( pour ceux qui militent pour le maintien dans la République) et l’humilité, la générosité la simplicité (des kanaks).  A quoi il faudra ajouter l’héritage chrétien que tous ont en partage.
La citoyenneté calédonienne, et donc le destin commun, ne doit pas être une exclusion.
Et Pierre Frogier de démontrer qu’aucun rapprochement n’avait été entrepris entre les communautés: lui qui a fait hisser les deux drapeaux (le tricolore et le kanak), lui qui a fait élire un indépendantiste à la tête du Congrès de la Nouvelle Calédonie… "ça  m’ a coûté très cher "  ( son parti, s’est déchiré sur cette question des draopeaux, le R-UMP a perdu les élections législatives, lui-même a du renoncer à la présidence de la Province Sud). Ces 2 drapeaux, côte à côte illustrent notre communauté. Mais si nous voulons faire aboutir la destinée commune, il nous faut, nous, non-indépendantistes regarder l’autre drapeau. Celui des indépendantistes."

Le regard de Paul Néaoutyine

Ce regard sur l’autre camp, Paul Néaoutyine fondateur du Palika, président de la Province Nord, ancien bras droit de Jean Marie Tjibaou, l’évoquera aussi. En rappelant que ces mots «destin commun», étaient le résultat d’une négociation sur le contentieux colonial : « on est parti d’un peuple kanak colonisé, déplacé, cantonné sur ses terres. Pour être scolarisés, les enfants devaient rejoindre l’enseignement privé, catholique. On s’est organisé pour faire reconnaître notre culture, notre identité, notre lien à la terre. Mais en face, il n’y avait pas de capacité d’écoute.  nous avons un fonctionnement qui n’était pas  compréhensible par l’homo economicus de l’époque. Ce processus, c’est nous qui en sommes à l’origine. Le destin commun , c’est le résultat d’un compromis : nous avons renoncé à notre première revendication, l’indépendance, en échange d’une reconnaissance. Est-on acteur de ce destin commun aujourd’hui ? Dans le Nord de la Nouvelle Calédonie, oui.  Le destin commun ce n’est pas vivre côte à côte. Et en Province Nord, les politiques publiques s’efforcent de le concrétiser."

Sonia Lagarde plus pessimiste

Plus pessimiste peut être, la député Sonia Lagarde qui rendra hommage à Elie Poigoune ( indépendantiste parmi les plus radicaux lors des événements, aujourd’hui président de la ligue des Droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie):   "Il y a un Nelson Mandela dans cet homme qui a reconnu avoir vécu à côté des Européens sans avoir jamais réussi à les comprendre". Ce constat pourrait être partagé par les caldoches selon la conseillère municipale de Nouméa. "Il n’y a pas assez de passerelles entre les communautés aujourd’hui. Même Nouméa est segmentée. Travailler le destin commun, c’est trouver quelque chose qui nous rassemble. Aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, on cohabite, alors qu’il faudrait converger ensemble vers un même but »


L'émotion d'Elie Poigoune

Interrogé pour savoir si lui représentait une évolution significative des Calédoniens, l’ancien militant indépendantiste Elie Poigoune n’a pas pu retenir ses larmes.  En 38 ans, entre le moment où  il a rejoint les Foulards Rouges et aujourd’hui, beaucoup de ses amis ont disparu. "Les indépendantistes et les anti-indépendantistes se sont affrontés dans des actions violentes, il y a eu de la douleur dans les familles. Aujourd’hui, nous kanaks avons retrouvé notre dignité, nous avons récupéré une grande partie de nos terres. Dans les années 70 nous constations l’absence des kanaks dans tous les domaines, sauf le sport et les églises. Aujourd’hui nous sommes présents dans presque  tous les domaines. En 25 ans nous avons pu aller à la rencontre de l’autre, qu’il soit métropolitain ou calédonien il ya eu la poignée de main (de Jacques Lafleur et Jean Marie Tjibaou). Et ceux qui, hier, étaient des ennemis sont aujourd’hui des frères".
Kanaks, métropolitains et calédoniens, doivent aujourd’hui enterrer ce qui les divise. Pour le président de la ligue Calédonienne des droits de l’homme, le pays calédonien est d’une richesse humaine extraordinaire. Il a besoin que ses dirigeants soient à la hauteur.

"Ne pas faire dans la contrition" 

L’ancien sénateur Simon Louéckhote répondra que la Nouvelle-Calédonie est assez riche « pour ne pas faire dans la contrition ». Le destin commun, c’est un nouveau processus ; il n’y a pas de mode d’emploi. Il veut quand même croire qu’il y a assez d’intelligences parmi ceux qui travaillent à l’avenir du pays, pour dégager la bonne solution. Et  Simon Louéckhote est confiant : le sénat coutumier lui-même s’attèle déjà  à rendre le quotidien kanak plus explicite et plus compréhensible.
Aussi optimiste, son successeur au Sénat, Hilarion Vendégou, grand chef de l’île des Pins : "Nous sommes riches du plus beau des patrimoines, les différences humaines". Inspiré par la poignée de main Lafleur-Tjibaou, l’ancien instituteur conclura en proposant de répéter ce geste dans toutes les communautés.