Marchand de sommeil présumé, il « mal-logeait » des Haïtiens

Cadeau et Priscilla au TGI de Bobigny le 18/10/2013, victimes de mal-logement
Deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. C’est ce que le Parquet de Bobigny a requis hier contre un propriétaire indélicat. Pendant près de cinq ans, de 2008 à 2013, il louait des logements insalubres à une soixantaine d'Haïtiens sur la commune d’Aubervilliers.
Tout le monde l’appelait "Monsieur Alex". Alex Chemla, gérant d’une société immobilière d’Aubervilliers, louait près de vingt chambres insalubres à des Haïtiens en situation précaire. Le 15 rue des Noyers et ses 19 chambres de 4 mètres sur 4 étaient bien connu de la communauté. L'immeuble ne comptait qu'une seule cuisine et une seule salle-de-bain. Sans parler des problèmes d’isolation, d’eau, d’électricité... Le tout situé au-dessus d'une teinturerie, soit à proximité immédiate de produits toxiques et inflammables Monsieur Alex comparaissait hier au tribunal correctionnel de Bobigny.

Des personnes vulnérables

Alex Chemla était jugé pour "soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine". Question vulnérabilité, l’avocate des plaignants, Maître Cissé, a tenu à rappeler que la majorité des locataires étaient arrivés après le séisme de 2010 :  "le Tribunal appréciera cette coïncidence et circonstance de temps". Certains Haïtiens étaient sans-papiers, tous étaient précaires.
 
Dans la salle, dix d'entre eux sont venus pour voir et écouter, certains pour témoigner. A la barre, Cadeau prend la parole et décrit ses trois ans passés là-bas : les conditions de vie, les 400 euros de loyer... (Ecouter son témoignage ci-dessous).

Cadeau, victime haïtienne de mal-logement


L'une des 19 chambres insalubres de l'immeuble, 2012

Un cas d’une ampleur hors-du-commun

Fait notoire, la ville d’Aubervilliers s’est constituée partie civile, une première. Elle souhaite ainsi couper court à ces pratiques qui empoisonnent sa ville. Elle a requis 135 000 euros pour les préjudices matériels et les préjudices en termes d’image. "Il faut vraiment qu'il paye [Alex Chemla]. Sinon, il recommencera, c'est sûr", affirme Evelyne Yonnet, adjointe au maire en charge des questions d'habitat (à écouter ci-dessous). 

Evelyne Yonnet, 1ère adjointe au maire en charge des questions d'habitat


Lors des réquisitions, le Procureur a salué le travail d'enquête mené par la municipalité et a insisté sur l’ampleur de la situation : « sur les 40 dossiers de mal-logement traités en 2012 au tribunal de Bobigny, l’immense majorité concerne des petits propriétaires, ceux qui louent une cave, un abri de jardin ou un poulailler » Le cas d’Alex Chemla est d’une tout autre envergure. Sa société immobilière propriétaire de l'immeuble a engrangé quelque 150 000 euros de loyers entre 2008 et 2013.

Face à l'ensemble des faits qui lui sont reprochés, ce "Monsieur Alex" grand et massif n'a eu de cesse de se présenter comme une victime. Il affirme que la responsabilité incombe à un locataire haïtien qui aurait lui-même sous-loué les locaux : "la situation m'a échappé et le lieu est devenu un squat" a déclaré Alex Chelma de sa voix grave et éraillée.

L'unique cuisine de l'immeuble, 2012

Deux ans avec sursis, 20 000 euros d'amende

Une version des faits qui n'a pas empêché le Procureur de requérir à son encontre deux ans de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et la confiscation des biens. Alex Chemla n'a pas souhaité s'exprimer devant la presse, il s'est dit simplement choqué qu'on puisse le qualifier de marchand de sommeil.

A l'issue des sept heures de procès - il devait durer deux heures initialement - un agent d'insalubrité d'Aubervilliers semble déçu : « Deux ans avec sursis, ça ne me semble pas beaucoup. J'aurais espéré plus... ». Cet agent avait passé neuf mois à constituer le dossier. L’avocate des plaignants, elle, est ressortie avec le sourire (à écouter ci-dessous). Le jugement définitif doit être rendu le 15 novembre prochain.

Maître Cissé, avocate des 20 Haïtiens qui ont souhaité se constituer parties civiles