Après trois ans de captivité pour les ex-otages Thierry Dol, Marc Féret, Pierre Legrand et Daniel Larribe, est-il possible de reprendre une vie « normale » ? Quel est l'impact sur leurs familles ? Interview de Cyril Cosar, psychologue clinicien à l’Institut de victimologie à Paris.
Philippe Triay•
Cyril Cosar est psychologue clinicien à l’Institut de victimologie et au Centre du psychotrauma à Paris. Il est spécialiste des questions liées au stress, à l’urgence psychologique et aux psychotraumatismes. Il a notamment travaillé comme psychologue référent et formateur pour d’importantes organisations humanitaires internationales. Entretien.
Quel impact psychologique peut avoir ce type de longue détention ?
Cyril Cosar : C’est un impact très fort et très profond qui change énormément de choses. En termes de pathologie il y a le risque de développer un syndrome de stress post-traumatique, qui est une pathologie psychique liée au vécu d’événements extrêmement violents. C’est une pathologie chronique qui s’inscrit dans le temps et qu’il est difficile de soigner sans l’aide de professionnels.
Comment se vit cette pathologie concrètement ?
Cyril Cosar : Elle se vit de plusieurs manières. Il y a ceux qui développent un certain nombre de troubles à l’issue de leur libération, et peut-être même pour certains pendant la détention. Ce sont des troubles qui se manifestent par des flash-back récurrents, des cauchemars la nuit, des troubles du sommeil et de la concentration, des modifications du caractère, des aspects de retrait social et d’isolement, et en général des troubles relationnels avec les familles et les amis. Il peut aussi y avoir une grande irritabilité, des accès de colère inexpliquée ou injustifiée. Tout cela peut se développer à la suite de la libération, ou bien rentrer en sommeil dans ce qu’on appelle une période de latence qui peut durer plusieurs semaines ou plusieurs années.
Il est important de parler, de verbaliser tout cela ?
Oui et c’est pour cela que la prise en charge commence dans un premier temps par un débriefing psychologique ou émotionnel. C’est le temps de mise en récit de l’expérience avec ses points les plus saillants. Cela peut se faire collectivement avec d’autres otages ou individuellement, et peut durer plusieurs heures. C’est là ou l’histoire se structure et peut informer sur les possibles symptômes à venir, et où l’on peut éventuellement recourir à des soins. Il va falloir également apprendre à poser des mots pour la famille et les proches de manière à ce que ces derniers puissent se rapprocher de l’expérience vécue et mieux renouer un lien.
Justement, quelles sont les répercussions sur les familles des otages ?
Cyril Cosar : Les prises d’otages sont terribles pour les familles. C’est une autre histoire mais qui se vit en parallèle tout en ayant des composantes similaires. Pour eux c’est un emprisonnement psychologique. Il y a un être manquant mais sans aucune autre information. C’est un grand vide et une très longue attente. Il y a des angoisses, des doutes, des phases de désespoir et d’espoirs souvent contrariés. Les retrouvailles ne sont pas forcément simples même si elles se font à l’aune de la joie et du soulagement. Il va falloir retrouver un être aimé mais différent, réapprendre pour l’ex-otage et sa famille à interagir, à retrouver un lien d’une qualité nouvelle. Des ajustements relationnels sont nécessaires.
Y a-t-il un risque de syndrome de Stockholm, d’une sorte d’empathie qui a pu se développer envers les ravisseurs ?
Cyril Cosar : Sur une détention de trois ans, j’en doute. Le syndrome de Stockholm se développe plutôt dans des situations ramassées et très intenses. A l’origine le syndrome de Stockholm faisait référence à une situation ou les ravisseurs et les otages étaient soumis à un risque commun, en l’occurrence celui de l’attaque des forces de l’ordre. Il y avait quelque chose qui les rapprochait. Je ne connais pas de cas de syndrome de Stockholm dans une prise d’otages comme celle des otages d’Arlit.