Poursuite de notre dossier de la semaine sur les Mahorais et les Comoriens de Marseille. La1ere.fr a rencontré Noro Issan-Hamady. A la fois comorienne et malgache, elle se sent avant tout marseillaise et milite pour que la vie soit plus douce à la cité Felix Pyat.
"Bienvenue à Comorland" ! C'est ainsi que Noro Issan-Hamady, la présidente de l’association Graines de PEPSE aime faire découvrir son quartier, le 3e arrondissement de Marseille, de la rue nationale à la cité Felix Pyat. C’est là qu’elle a grandi, c’est là aussi qu'elle dispose d’un local pour son association. Noro est née en 1978 à Majunga à Madagascar, d’un père comorien et d’une mère malgache. La famille a dû fuir Madagascar en 1980, car son père commerçant ne pouvait plus exercer tranquillement son métier. "C’est un épisode de l’histoire malgache assez peu connu, explique Noro, mais au début des années 70-80, les Malgaches n’ont plus voulu des Comoriens à Majunga. C’était très violent, en 1976, un pogrom aurait causé la mort de 2000 Comoriens. Même avec une mère malgache, nous avons dû partir en exil".
Misère à La Réunion
La famille s'installe alors à La Réunion, pendant deux ans. "C’était très dur pour les étrangers à Saint-Denis de La Réunion. Il était impossible pour mon père de remonter une affaire. Ma mère, quand elle parle de ces années-là, elle dit que c’était vraiment la misère". En 1983, les parents et les sept enfants s’installent à Marseille, cité Felix Pyat. "A la maison, on parlait toujours français. Mes parents voulaient apprendre avec nous. Du coup, je comprends le Comorien et le Malgache mais je ne parle pas vraiment bien ces deux langues ».Mixité
"A l’âge de 13 ans, mes parents se sont séparés, raconte Noro Issan-Hamady et ils ont partagé les enfants. Je suis partie vivre dans le 14e, dans le quartier du Canet. A l’époque, c’était très mixte. Il y avait beaucoup d’Italiens et de Français. Je suis allée au collège Clair Soleil, avec des Nathalie et des Valérie. Aujourd’hui, ça a beaucoup changé. La mixité dans ce quartier, c’est terminé".Mariage arrangé
Noro passe ensuite son Bac, puis un BTS d’informatique et se fait embaucher dans un lycée professionnel où elle s’occupe du parc d’ordinateurs. La jeune femme rencontre alors son futur mari, un Français d’origine maghrébine. "Comme je suis la première fille de la fratrie, ce n’était pas facile. Toutes les filles de ma génération ont été réservées pour le grand mariage. Mais ma mère était contre. J’ai eu cette chance et j’ai pu échapper à un mariage arrangé. Mon père était un peu triste".Melting pot à la marseillaise
La famille de Noro symbolise à elle seule le melting pot à la marseillaise. "L'un de mes frères s’est marié avec une Française d’origine italienne, explique la jeune femme de 35 ans, un autre avec une Cambodgienne et ma sœur a épousé un Mahorais, Camili Kanzouini". C’est lui qui a poussé les deux sœurs à monter leur petite entreprise d’informatique. « En 2009, souligne Noro, on a même remporté le prix Talents des cités".Musulmane
Par la suite, la jeune femme met au monde deux garçons. "A ce moment-là, j’ai eu envie de me recentrer, confie Noro Issan-Hamady. J’ai commencé à porter le voile. Je me suis retrouvée dans une secte et au bout de quinze jours, j’ai claqué la porte et enlevé mon voile que j'ai porté deux mois. Je suis musulmane, je fais le ramadan, mon père est imam et je pratique un islam ouvert. Mes enfants vont à la madrassa, l’école coranique, l’équivalent du catéchisme pour les chrétiens et grâce à ça ils ont des notions de Comorien".Trop de misères
En 2011, après avoir longtemps milité au sein d’une association de parent d’élèves, Noro crée avec d’autres Graines de PEPSE (Parents Education Prévention Solidarité Emploi). "Il y a trop de misères dans les quartiers, trop de chômage, les gens ont le sentiment d’être oubliés. C’est ça, qui m’a donné envie de m’engager". L’association propose d’aider les parents à comprendre la société française, en particulier le système d’éducation. Il y a un espace d’aide aux devoirs, des ateliers d’écriture. "Graines de PEPSE est ouvert à tous, précise Noro, mais pour l’instant ce sont essentiellement des Comoriens et des Mahorais qui viennent nous trouver". Regardez cette vidéo dans laquelle Noro Issan-Hamady explique son action dans la cité Félix Pyat.
Noro Issan-Hamady, cité Félix Pyat, Marseille 3e arrondissement/ 23 novembre 2013
Réunions villageoises
Les samedis et les dimanches, Graines de PEPSE accueille des réunions villageoises. "C’est très important, explique Noro, c’est là que les Comoriens prennent des décisions sur l’avenir de leur village car c’est eux qui envoient de l’argent là-bas. Moi, je me suis retrouvée récemment chef du village de mon père, Ouzio Mistamihouli. Et moi qui me sentais la moins comorienne de la fratrie, j'ai renoué avec mes racines, sans vraiment l'avoir voulu"."Ils cherchent à nous rabaisser"
Zaelapa Soihili, une jeune comorienne est permanente de l'association Graines de PEPSE. Elle a été recrutée par Noro Issan-Hamady. Zaelapa nous présente l'un de ses amis mahorais, Ibrahim Souffou. Tous les deux ont une vingtaine d'années et s'entendent très bien. Ils disent apprécier la cité Félix Pyat où ils ont pleins d'amis. La veille, La Provence, le quotidien local avait publié un article sur le commissariat du quartier qui avait été la cible d'une poignée d'individus. Pour Ibrahim, "les médias ont tendance à ne voir que les mauvais côtés de la cité, ils cherchent à nous rabaisser", dit-il.Politique
Face à ce malaise, Noro Issan-Hamady souhaite se lancer dans la politique. En 2012, cette jeune femme s’était présentée comme suppléante aux élections législatives dans son quartier, le 3e arrondissement. Une expérience à la fois dure et passionnante. Noro qui depuis a pris sa carte à l’UDI, le parti centriste de Jean-Louis Borloo, ne sait pas encore si elle se présentera aux municipales de 2014. Elle hésite, mais ça la tente beaucoup.