Municipales à Marseille : quelle représentation pour les Mahorais et les Comoriens ? (DOSSIER LA1ERE)

Jean-Claude Gaudin et Patrick Menucci
A Marseille, la bataille des municipales en mars 2014 promet d'être animée : entre le sortant UMP, Jean-Claude Gaudin qui n'a pas dit son dernier mot et le candidat socialiste Patrick Menucci, boosté par des primaires explosives. Quelle sera la place des Mahorais et des Comoriens ?
A la Castelanne, une cité des quartiers nord, ils aiment se retrouver. Fahardine, Salim et Moutardhoi sont tous les trois natifs de Mayotte. Quand on leur demande si les Mahorais jouent un rôle en politique à Marseille, la réponse ne se fait pas attendre. "Les Comoriens ont beaucoup plus de droits que nous. Il n'y a pas un seul Mahorais élu, ici à Marseille".  Les trois hommes ont un peu milité au Parti socialiste mais concluent-ils : "au PS, on nous laisse toujours derrière..."
 
Fahardine, Salim et Moutardhoi

"Les Mahorais ne se sentent pas comoriens"

Pourquoi les Mahorais demeurent autant à l’écart de la politique à Marseille ? Le Comorien Mohammed Itrisso du Front de Gauche affirme pour sa part que cela fait des années qu’il essaie d’entrer en contact avec eux, sans succès. "Les Mahorais ne se sentent pas comoriens et on n’arrive pas à les mobiliser, précise-t-il. Les femmes sont plus accessibles, car elles participent aux journées culturelles comoriennes".
 
Mohamed Itrisso, Front de gauche

Une immigration mahoraise plus récente

Pour l'élu socialiste Nassurdine Haïdari, "c’est dramatique car la communauté mahoraise est encore plus exposée que les Comoriens au repli et à la ghettoisation. L’insertion des Mahorais est plus difficile, car leur immigration est beaucoup plus récente que celle des Grands Comoriens. En plus, précise ce natif de la Grande Comore, ils se sont pris la crise de plein fouet. Nous, on a franchi une petite étape", dit-il. "Et puis, pour mes parents, être sur une liste aux élections, c’était le cadet de leur souci, il fallait d’abord faire bouillir la marmite. Enfin, il y a aussi le nombre, poursuit Nassurdine Haïdari. On compte environ 80 000 Comoriens et Franco-Comoriens à Marseille  contre 8 000 Mahorais environ".
Nassurdine Haïdari

La place des femmes dans la société mahoraise

Moussa Soilihi, a lui, une autre explication. Ce Mahorais installé à Marseille depuis une vingtaine d'années pense que la société mahoraise où les femmes ont un rôle fort n'arrive pas à trouver sa place dans une organisation française où les hommes dominent largement le monde politique. "A Mayotte, précise Moussa Soihili, ce sont les femmes, les chatouilleuses qui ont changé le cours de l’histoire en voulant que leur île reste française…" Regardez cette vidéo sur les chatouilleuses, un reportage de Mayotte 1ère.
Reportage de Mayotte 1ère sur les Chatouilleuses

Une relève à venir

Mais, dans les quartiers nord, comme aux Rosiers, Kassim Oumouri qui connaît beaucoup de Mahorais ne désespère pas. Il sait qu’il y a pleins de jeunes désireux de s’engager en politique et d’assurer, non pas une relève, mais une genèse ! Et puis, poursuit Kassim, "lors des récentes primaires socialistes, on a fait du porte-à-porte en demandant aux gens de voter blanc. Depuis des années, les Mahorais ne sont pas représentés, ça ne peut plus durer; et bien, conclut-il, aux Rosiers, il y a eu 59% de votes nuls".

Un pacte de non-agression

Samedi matin dans le 3e arrondissement, plusieurs militants comoriens de divers partis se sont donnés rendez-vous. Une bonne dizaine d’hommes et de femmes réunis pour signer  un pacte de non-agression. Au bout de trois bonnes heures de discussion, le texte n’est pas ratifié. Malgré tout, Maliza Said, l’artisane de cette initiative n’est pas fâchée. Belle-fille d’un ex-président de la Grande Comore, elle connaît la musique… aux Comores. En France, à Marseille, les partis politiques n’ont pas beaucoup donné la parole à ces militants franco-comoriens.


Maliza Saïd, doctorante en Droit public à la Sorbonne

Claude Guéant et "l'immigration comorienne"

Maliza Saïd explique que son désir de rassembler les militants et élus comoriens, de tout bord, lui est apparu indispensable à la suite des propos de Claude Guéant, le 11 septembre 2011, lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI. Le ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy affirmait : "il y a une immigration comorienne (à Marseille) qui est la cause de beaucoup de violences". Regardez cette vidéo dans laquelle on entend les propos du ministre de l'Intérieur.

Réactions de la communauté comorienne de Marseille après les propos de Claude Guéant

Des Comoriens pas assez représentés

Mais cette indignation face aux propos de Guéant, souligne Mohamed Itrisso du Front de gauche, "ça fait bien longtemps que nous l’avons eu". Le fondateur de l’association Ushababi, ne semble pas très convaincu par l’initiative de la jeune femme, mais il est d’accord pour dire que les Comoriens ne sont pas assez représentés. La communauté ne compte que trois élus à Marseille. Farid Soihili, militant associatif de gauche s’insurge : "la communauté comorienne a toujours voté majoritairement à gauche pour défendre des valeurs d’entraide. Mais les partis nous utilisent pour les élections et nous n’existons toujours pas politiquement". Grâce aux fichiers des villages des Comores, Farid Soihili estime qu’il y a 120 000 Comoriens et Franco-Comoriens à Marseille, un chiffre qui paraît énorme, mais qui, pour lui, reflète la réalité.
Farid Soihili, militant associatif

Elisabeth Saïd, la première femme noire du Conseil municipal de Marseille

10 % de la population marseillaise n’est donc quasiment pas représenté. Elisabeth Saïd a, elle, réussi à devenir la première femme noire du conseil municipale de Marseille, sous l’étiquette du Parti socialiste. Mais c’est une expérience douloureuse pour cette native de la Grande Comore. "A aucun moment, je n’ai été reçu par un responsable du PS, rien ne m’était confié et ce n’est pas faute de l’avoir demandé. Jean-Claude Gaudin lui m’a toujours reçu et au bout d’un moment, je me suis dit que je me reconnaissais plus dans une politique de droite, une politique de fermeté". Elisabeth Saïd est donc tout simplement passée du PS à l’UMP, sous les couleurs de laquelle elle espère bien se présenter aux prochaines municipales.
Elisabeth Saïd

"Mettre fin aux 18 ans de règne de Jean-Claude Gaudin"

Mohammed Itrisso qui va se présenter dans les quartiers nord sous l’étiquette Front de gauche, lui,  se sent écouté par sa famille politique. Depuis l’âge de 13 ans, il milite au Parti communiste. Pour lui, "il faut avant tout mettre fin au règne de Jean-Claude Gaudin, car depuis 18 ans qu’il mène la ville, la misère sociale n’a fait qu’augmenter". Mohammed Itrisso compte se présenter comme n°2 ou n°3 de la liste Front de gauche dans les 13e et 14e arrondissements de Marseille.
Jean-Claude Gaudin reçu par la communauté comorienne en 2002

Le crash de la Yéménia

Dans la communauté comorienne, le crash de la Yéménia, le 30 juin 2009 a été vécu comme un électrochoc. Pour Noro Issan-Hamady, encartée à l’UDI, cet événement l’a décidé à entrer en politique. De son côté, Mohammed Itrisso a alors co-fondé l’association Ushababi pour défendre les intérêts des familles.  "Beaucoup de mes amis sont morts dans ce crash", précise-t-il. Elisabeth Saïd, elle, a perdu un oncle dans la catastrophe. Face à cet événement qui a coûté la vie à 152 personnes, dont beaucoup de parents de Comoriens de Marseille, la communauté ne s'est pas sentie assez soutenue par la France.  Saïd Ahamada, du Modem souligne que "Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille n'a même pas reçu les familles des victimes"
Crash de la Yéménia JT 20h France 2 (30 juin 2009)

Et au Parti socialiste ?

Au Parti socialiste, à l'approche des municipales, Nassurdine Haïdari tente de faire entendre sa voix. Mais le soutien de ce Comorien à Eugène Caselli, lors des primaires socialistes, n’aurait pas été du goût du vainqueur, Patrick Menucci. Nassurdine Haïdari qui se souvient avoir été attaqué il y a 2 ans, par 10 hommes masqués, cité Felix Pyat alors qu’il accompagnait Patrick Menucci en campagne, ne peut pas croire que le PS l'abandonne. "Je me battrai pour être sur les listes", souligne-t-il.

Et au centre ?

Reste Noro Issan-Hamady et Saïd Ahamada. Elle ne sait pas encore si elle se présente sans étiquette ou sous les couleurs de l’UDI, ce qui signifie à Marseille faire alliance avec l’UMP. Pour Saïd Ahamada, la situation est plus simple. Il sera la seule tête de liste comorienne à Marseille avec le MODEM, son parti, « en constante reconstruction ».