La1ere.fr a lu "Paroles de liberté".
Si la ministre originaire de Guyane a choisi de prendre la plume, c'est avant tout pour dénoncer le racisme dont elle a été victime ces derniers mois, notamment depuis la loi sur le mariage pour tous, qu'elle a défendu devant l'Assemblée nationale.
"C'est pour qui la banane ? c'est pour la guenon"
Les insultes racistes proférés par une jeune manifestante à Angers n'ont pas laissé Christiane Taubira indifférente. Cette affaire occupe même les premières lignes de son livre. "Pauvre petite fille", répond Christiane Taubira, "Que sera-t-elle préparée à connaître du monde (...) ?"La ministre de la justice a-t-elle été blessée par ces insultes ? Même si elle affirme dans un premier temps que toutes ces injures, ces mots blessants "s'échouèrent dans la mer morte" , elle explique, ensuite, page 47 :
La parole raciste "frappe au mitan du coeur, elle incise l'esprit, entame la confiance, consume l'estime de soi. Elle percute celle ou celui qui la reçoit en plein plexus, l'étourdit, le fait chanceler, un temps, ou longtemps, avant qu'il sache s'il tient encore debout ou s'il s'ébranle dans un lent effondrement. Cette blessure est à chaque fois personnelle et nouvelle".
Le racisme, depuis l'enfance
Dans les premiers chapitres de son livre, Christiane Taubira décrit le racisme qu'elle a du subir. La "coiffure de négresse" assénée par une religieuse acariâtre, lorsqu'elle avait 7 ans, à Cayenne ; Les regards appuyés et la condescendance pour "les colorés" dans les amphithéâtres des universités parisiennes ; la difficulté à trouver un logement ou des boulots d'étudiants, dans ces années de jeunesse à Paris ; les "sale négresse" entendus plusieurs fois dans le métro...Le racisme, en politique
Plus tard, devenue femme politique, elle dit avoir été renvoyée à sa couleur de peau à plusieurs reprises, notamment lors de la campagne présidentielle de 2002, où elle était la candidate du Parti Radical de Gauche :"Je fus ramenée à ma peau en 2002 (...) le club médiatique (...) se limitait à relayer les propos qui correspondaient à ses propres cases, sa grille de lecture : candidate des minorités; candidate de l'Outre-mer ; candidate des Sans-voix. Femme noire".
Le FN, la une de Minute, Dieudonné
Sur toutes les attaques récentes (photo-montages de singes sur les pages Facebook d'une candidate FN, le "guenon" lancé à Angers, la Une du journal d'extrême droite Minute, la polémique Dieudonné), la ministre le réaffirme, il ne faut rien laisser passer :Aucune résurgence des démences meurtrières du racisme et de l'antisémitisme ne doit être, aujourd'hui, prise à la légère. Qu'elle provienne de la candidate d'un parti dont l'identité demeure imprégnée de sa trajectoire historique bornée par ses prises de position et déclarations, qu'elle provienne d'une enfant qui n'a rien inventée de ce qu'elle crache sous l'oeil ravi des adultes, qu'elle vienne d'un journal-torchon ou d'un sinistre pitre antisémite, aucune de ces démences ne doit être négligée".
Le racisme dans la société
Si Christiane Taubira estime qu'il ne faut rien céder face à la parole raciste, c'est parce que les injures dont elle a été victimes sont celles "que subissent au quotidien des millions de jeunes Français. Eluder ou rire (...) reviendrait à admettre l'exclusion de millions de citoyens de la communauté nationale (...) ce serait consentir à ce que des centaines de milliers de petites filles se fassent traiter de guenon dans les cours de récréation."
Interview de Christiane Taubira
Ce mercredi matin, la ministre de la justice était invitée de France Inter, à 8h20. Elle répondait aux questions de Patrick Cohen. regardez l'interview :
"Paroles de Liberté"
Ed. Flammarion
138 pages, 12 euros
Sarkozy, pas raciste, mais...
Revenant sur deux discours très polémiques de Nicolas Sarkozy, celui de Dakar en 2007 ("l'Homme noir n'est pas entré dans l'Histoire") puis de Grenoble en 2010 (discours sécuritaire qui fustigeait les Roms), Christiane Taubira porte un jugement nuancé sur l'ancien président de la République :"Le paradoxe est que je suis persuadé que ce président d'alors n'est pas raciste. Rien dans ses propos personnels ni dans son attitude n'autorise à le penser. Pourtant il va produire ou au moins émettre une parole publique qui valide le rejet, l'exclusion, sur les mêmes mécanismes que le racisme".