"Papa, pourquoi tu rentres pas ?" : En attendant sa mutation, un policier réunionnais explique à sa fille pourquoi il reste vivre à Paris

Policier réunionnais, Eric Grondin, vit en région parisienne loin de sa femme et ses deux filles qui attendent sa mutation à la Réunion.
Des centaines de policiers réunionnais travaillent en métropole et réclament leur mutation au péi. Un retour compliqué, de longues démarches et des situations familiales qui deviennent intenables. Depuis sept mois, Eric vit en Ile-de-France, éloigné de sa famille rentrée à la Réunion. Il témoigne.
Les yeux cernés, le regard parfois perdu, et le moral au plus bas, Eric sait qu’il doit tenir le coup. Rencontré à Paris début novembre, il explique que depuis le mois de mars, sa vie de famille ne ressemble plus à rien. Lui est en Ile-de-France, sa femme et ses filles sont à la Réunion.

"Je suis arrivé en métropole en 2001 pour mon travail, on a acheté une maison en 2008 et on a fait notre vie à Paris. Ma femme a tout quitté pour me suivre, elle a fait des études et acquis une solide expérience, raconte Eric, admiratif de la carrière de sa femme. Alors lorsqu’on lui a proposé un poste intéressant à la Réunion, on ne se voyait pas refuser." A ce moment-là, le policier imagine encore que son retour à lui aussi sera possible.

Sauf que depuis sept mois maintenant, la situation n’évolue pas. "Ma femme a pris son poste à St Denis, elle est installée avec mes filles dans un petit T1. Loane et Cloé ont leur chambre et Mickaëlle, ma femme, dort dans le salon. On ne peut pas faire mieux, on a le prêt de la maison de Paris à rembourser", explique le policier qui vit désormais seul dans la maison familiale de Cergy, en banlieue parisienne. "Je dors dans le salon, je ne monte pas à l’étage. Passer devant les chambres des filles est trop douloureux. Lorsque je vois leurs lits vides, je fonds en larmes." 

Un sentiment d'injustice 

Environ 10 000 kilomètres séparent Eric de sa famille. Depuis le mois de mars, le papa est déjà rentré six fois à la Réunion. "Je ne peux pas rester plus d’un mois et demi sans voir mes filles, ce n’est pas humain. Mais ces allers-retours sont coûteux, toutes nos finances servent à payer mes billets d’avion", avoue Eric qui supporte difficilement les aéroports. "Chaque départ est une épreuve. Les filles pleurent, "papa reste, je ne te laisserai pas partir", elles ne comprennent pas. Il y a beaucoup de larmes. C’est terrible."

Cloé et Loane ont respectivement 8 et 10 ans, elles souffrent de l’éloignement, et n’arrivent pas à comprendre pourquoi leur famille doit vivre séparée. "Nous sommes très croyants, chaque soir nous prions, parfois par skype tous ensemble. Mes filles me disent "papa on prie pour ton retour mais tu ne rentres pas. Pourquoi ?"

Toute la famille ressent un sentiment d’injustice. Pourquoi Eric ne pourrait-il pas exercer sur son île ? Revenir au pays avec toute l’expérience acquise durant quatorze ans en métropole ?

"Je sais même pas ce qui me fait encore tenir"

Il est 17h, nous sommes dans un café, et comme chaque soir à cette heure-là, Eric appelle sa famille. "Avec l’heure d’hiver c’est encore plus difficile de se caler pour les appels, il est 20h à la Réunion, les filles vont aller se coucher, je veux les entendre avant qu’elles dorment," explique le papa.

Au bout d’une sonnerie, sa femme décroche. A l’autre bout du fil, Mickaëlle rentre d’une journée compliquée. "Comme d’habitude, beaucoup de travail, c’était la course pour récupérer les filles à l’école", raconte-t-elle à son mari d’une voix usée. Le quotidien, les devoirs, l’éducation, je ne sais même pas ce qui me fait encore tenir." 

Eric écoute et demande des nouvelles des filles qui s’emparent du combiné avec des cris de joie : "Bonjour papa ! " Ce soir-là, Loane explique à son père quelle tenue elle a choisie pour aller à l’école le lendemain, mais elle hésite entre deux paires de boucles d’oreille. "Si c’est pour aller à l’école ma puce, tu prends les plus petites", conseille le papa qui félicite aussi sa grande d’avoir aidé sa petite sœur dans les devoirs ce soir-là.

Pour écouter la conversation téléphonique entre Eric et ses proches, cliquez sur sa tasse à café

Au bout de vingt minutes de conversation, c’est le cœur gros que chacun pose son téléphone. Eric sait que cet éloignement peut durer encore longtemps. "On se sent coupable d’imposer ça aux filles. On se donne encore un an et demi. Si rien ne bouge d’ici là, je pense qu’il faudra que je prenne une dispo, s’interrompt le policier. Ou que je démissionne", poursuit-il. Pourtant j’aime mon métier, je ne suis pas rentré dans la police parce que j’ai vu de la lumière, c’est une vocation pour moi." 

Au commissariat du 17e à Paris, Eric enchaîne les week-end de garde pour cumuler des jours de repos et rentrer à chaque vacance scolaire à la Réunion. "J’ai même renoncé à prendre du grade. Je sais que cela ne m’aidera pas pour ma mutation", se désole –t-il. "Je fais tout mon possible pour rentrer au plus vite auprès de ma famille. De nature optimiste, je me dis que des jours meilleurs viendront." 

Le 5 décembre 2014, Eric est rentrer dans son île auprès de sa famille pour passer Noël. Un maigre réconfort en attendant de retourner vivre auprès des siens, définitivement.
Du changement à venir dans le système
Le système de mutation des policiers réunionnais devrait être modifié. Lors de sa visite à La Réunion en août dernier, le chef de l’Etat François Hollande avait annoncé un retour à la prise en compte de l’ancienneté de la demande et non de l’ancienneté administrative du fonctionnaire. "Mais depuis, on a plus aucune nouvelle, s’étonne Cédric Boyer, l’un des administrateurs du collectif GPX 974 qui regroupe et soutient les policiers réunionnais concernés. Pourtant François Hollande s’était montré favorable à notre principale requête : la prise en compte des CIMM, les Centres d’Intérêts Moraux et Matériels du fonctionnaire, comme par exemple, la présence de sa famille dans l’île."

Pour faire une demande de mutation à La Réunion, le fonctionnaire de police doit aussi avoir effectué au moins huit ans de service réglementaire à Paris ou cinq ans en province. "En réalité, il faut une bonne vingtaine d’années pour rentrer Outre-mer, estime Cédric Boyer. Et à condition de rester gardien de la paix ! Car si l’on prend du grade, on a moins de chance d’être muté. Imaginez, sur une trentaine de policiers, seuls quatre ou cinq sont gradés, alors pour avoir de la place mieux vaut être simples gardiens de la paix et renoncer à tout plan de carrière."