Chaque jour, des centaines de passagers en provenance des Antilles sont contrôlés à l'aéroport d'Orly, à Paris. L'objectif : lutter contre le trafic de drogue entre la zone Caraïbe et l'Europe. Reportage au cœur du service des douanes d'Orly.
Laura Philippon•
Il est 9 heures du matin à l'aéroport d'Orly. Après une nuit passée dans l’avion, des voyageurs traînent péniblement leur valise derrière eux. Tous s’avancent vers un filtre de douanes, passage obligé pour quitter l’enceinte de l’aéroport. Les traits des visages sont tirés, les yeux cernés, le voyage entre Pointe-à-Pitre et Paris a duré environ huit heures.
Si certains voyageurs traversent le filtre sans encombre, d’autres sont priés de s’arrêter. "Par ici, s’il vous plait Monsieur, interpelle l’un des quatre douaniers présents ce jour-là sur le poste. Veuillez passer vos bagages dans la machine". Ricardo s’exécute et pose sa valise sur le tapis. Tout ce qu’elle contient est passé aux rayons X. Penché sur son écran, le douanier scrute le contenu du bagage. Verdict : "Ok, venez par ici, s’il vous plait. Posez la valise sur la table".
Les réponses de Ricardo, elles, tiennent la route. L’agent des douanes poursuit la fouille des bagages. Il étale, sur la table, les vêtements du jeune homme et les spécialités culinaires de Guadeloupe. Parmi elles, deux "poulets piments" emballés sous vides. Le douanier s’en saisit, les dépose dans un bac et les repasse aux rayons X.
Tout objet est susceptible de contenir de la drogue
"La première règle pour nos agents est d’aller au bout d’un contrôle, explique Christophe Bertani, le directeur adjoint des douanes d’Orly. Un bon douanier est un chasseur, même si le passager s’agace, lui doit aller au bout de son opération et lever ses doutes s’il en a.»
Les douaniers gardent toujours en tête que tout objet est susceptible de contenir de la drogue. "En début d’année, on a trouvé de la cocaïne dans des avocats. Une autre fois dans des bougies, des conserves de petits pois ou encore à l’intérieur de poissons étripés. On avait dû y mettre les mains !" se souviennent ces agents qui en ont vu passer des saisies dans leur carrière. Leurs outils de travail ? Une machine à rayons X, de l’huile de coude et un sens de l'observation aiguisé.
La zone Caraïbe, plate forme tournante du trafic de cocaïne vers l'Europe
En cause, la proximité de la zone avec les trois principaux pays producteurs : le Pérou, la Colombie et la Bolivie. A eux seuls, ils produisent "1 000 tonnes de cocaïne par an, dont 200 à 250 tonnes destinées chaque année à l'Europe", indiquait en novembre dernier (à l'AFP) Simon Riondet, chef de l'antenne Caraïbe de l'OCRTIS - Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants-Antilles-Guyane. La drogue peut transiter par le Vénézuela, vers les Antilles puis l'Europe, ou par le Brésil, vers l'Afrique, puis l'Europe, pour y être revendue entre 35 et 50 000 euros le kilo.
La drogue est dissimulée dans des bagages, des valises, des objets, des denrées alimentaires mais aussi dans des personnes, qualifiées de "mules".
C’est le nom donné à un trafiquant qui ingère la drogue pour tenter d’échapper aux douaniers. "Ce sont souvent des préservatifs qu’ils transforment en capsules remplies de cocaïne et qu’ils avalent pour plusieurs heures," explique Christophe Bertani, directeur adjoint des douanes d'Orly.
Pour les repérer, les douaniers se fient à leur sens de l’observation. "Si la personne a ingéré des capsules de drogue, elle est souvent éprouvée physiquement. Ses réponses aux questions sont incohérentes. Elle peut aussi transpirer abondamment, dégager une haleine ou une odeur corporelle particulière, décrit l’un des douaniers. Dans ce cas, ils procèdent à un test urinaire dont le résultat est connu en cinq minutes.
" "Pourquoi moi ?" c’est la question qui revient le plus souvent," affirment les agents. "Souvent, ils disent que c’est parce qu’ils sont noirs qu’on les contrôle. Discrimination, racisme, on est taxé de tout. Il ne faut surtout pas répondre aux provocations," insistent les douaniers. "En même temps, que voulez-vous que l’on dise, renchérit l’un d’eux. Je ne suis pas en train de contrôler un vol en provenance de Suède ! Et puis tout le monde y passe, des jeunes, moins jeunes, noirs, blancs…"
"Ça ne me dérange pas, affirme le jeune homme. C’est normal". Âgé d’une vingtaine d’années, Florent reste imperturbable, sûr de lui. Il rappelle que les contrôles sont essentiels pour la sécurité. "Ok, merci Monsieur. Vous pouvez y aller." A son départ, l’un des douaniers explique que le profil du voyageur était suspect. Florent était convoqué par un juge, en Guadeloupe, pour trafic de stupéfiants.
Des faux médicaments ou de la contrefaçon
Sur un banc de contrôle, un Monsieur d’un certain âge regarde sa valise se vider et s’agace poliment : " Mais quand même... ce n'est rien!" Le douanier vient de trouver une importante quantité de médicaments. Plusieurs boîtes enveloppées dans du papier. L’homme explique que c’est pour lui. "On note que la quantité de médicaments qu’il transporte est bien supérieur aux besoins d’un traitement normal de trois mois. Ça peut être des faux médicaments ou de la contrefaçon", explique Christophe Bertani, directeur adjoint des douanes d'Orly. A côté, l’agent des douanes poursuit les questions et le contrôle dans une pièce retirée, à l’abri des regards. Ce Guadeloupéen devrait écoper d’une amende.
Ealors, le chien des douanes, alerté par l'odeur du cannabis
Les odeurs sont fortes et variées mais le chien est habitué. "Il peut reconnaître une centaine d’odeurs, parmi lesquelles le cannabis, l’héroïne, la cocaïne, le crack, les amphétamines. C’est plus difficile pour lui de reconnaître les drogues de synthèses," détaille le maître-chien. Les yeux rivés sur le contenu du bagage, il en extirpe un drôle de sac poubelle rempli de poudre. "C’est une farine de manioc et de maïs aux épices", explique le jeune homme qui fait remarquer que l’odeur en atteste. "Et ces légumes, ils sont excellents à manger farcis", poursuit-il.
Il est 11 heures. Alors que de nouveaux vols en provenance des Antilles s’apprêtent à atterrir, un couple de Guadeloupéens referme sa valise en s’attardant avec les douaniers. Leur thermos de thé au gingembre avait intrigué, mais le contrôle n’a rien donné. En vacances en métropole, Claude et son mari Amos, avait prévu du thé pour se réchauffer à l’arrivée à Paris. "Vous voulez goûter ?" propose Amos aux douaniers qui déclinent la proposition.
Tandis que Claude reprend les commandes du chariot à bagages, Amos referme son thermos, et conclu : " Il faut respecter ces contrôles et le travail des douaniers. C’est bon pour nous et pour nos enfants. Nous devons lutter contre le trafic de drogue qui pourrit la Guadeloupe, la France et le monde entier".
- 7,2 tonnes de cocaïne interceptées par les douanes Françaises en 2013 (+57% par rapport à 2012)
- 260 kg de cocaïne saisis par les douanes de l'aéroport d'Orly en 2013
- 80 % de la cocaïne saisie, à l'aéroport d'Orly, en 2013, provient de la zone Caraïbe
- 60 à 65 euros le gramme, c'est le prix de vente de la cocaïne en France.