Trafic de drogue aux Antilles : Reportage au cœur des douanes d'Orly

Les services des douanes néo zélandais sont désormais habilités à demander le mot de passe des appareils électroniques des passagers.
Chaque jour, des centaines de passagers en provenance des Antilles sont contrôlés à l'aéroport d'Orly, à Paris. L'objectif : lutter contre le trafic de drogue entre la zone Caraïbe et l'Europe. Reportage au cœur du service des douanes d'Orly.
Il est 9 heures du matin à l'aéroport d'Orly. Après une nuit passée dans l’avion, des voyageurs traînent péniblement leur valise derrière eux. Tous s’avancent vers un filtre de douanes, passage obligé pour quitter l’enceinte de l’aéroport. Les traits des visages sont tirés, les yeux cernés, le voyage entre Pointe-à-Pitre et Paris a duré environ huit heures.

Si certains voyageurs traversent le filtre sans encombre, d’autres sont priés de s’arrêter. "Par ici, s’il vous plait Monsieur, interpelle l’un des quatre douaniers présents ce jour-là sur le poste. Veuillez passer vos bagages dans la machine". Ricardo s’exécute et pose sa valise sur le tapis. Tout ce qu’elle contient est passé aux rayons X. Penché sur son écran, le douanier scrute le contenu du bagage. Verdict : "Ok, venez par ici, s’il vous plait. Posez la valise sur la table".

Un douanier de l'aéroport d'Orly passe aux rayons X les bagages d'un passager.

Le jeune homme arrive de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Il sort les clés d’un cadenas et ouvre sa valise. En face, le douanier enfile une paire de gants et plonge ses mains dans les affaires personnelles du passager. "Je vérifie s’il y a un double fond dans le sac, puis je sors tout ce qui me semblait suspect aux rayons X", explique le douanier en examinant les fruits et légumes ramenés de Guadeloupe. Ricardo, lui, observe la scène en silence.

Un douanier contrôle la valise d'un passager en provenance de Guadeloupe.

" Vous êtes en métropole pour des vacances ? Vous restez combien de temps ? Où allez-vous loger ? Et vous faites quoi dans la vie ?" A travers ces questions, l’agent tente de cerner le voyageur et vérifier la cohérence de ses propos. Si les réponses sont évasives, le douanier redouble de vigilance et repose plusieurs fois les mêmes questions. "Une fois, un passager m’a assuré qu’il allait à Lorient, en Bretagne, faire du ski ! Après plusieurs minutes de contrôle, on a trouvé des stupéfiants sur lui," raconte un des douaniers.

Des poulets farcis à la cocaïne

Les réponses de Ricardo, elles, tiennent la route. L’agent des douanes poursuit la fouille des bagages. Il étale, sur la table, les vêtements du jeune homme et les spécialités culinaires de Guadeloupe. Parmi elles, deux "poulets piments" emballés sous vides. Le douanier s’en saisit, les dépose dans un bac et les repasse aux rayons X.

Des poulets sous vides en provenances de Guadeloupe sont passés aux rayons X par un douanier
Rien d’anormal. "Il y a trois ans, on avait trouvé exactement les mêmes poulets dans une valise, raconte l’agent. Mais ils étaient fourrés avec des poches de cocaïne…" Immobile face à sa valise éventrée, Ricardo se veut rassurant : "C’est normal les contrôles, les douaniers font leur boulot. Je comprends". Le sourire est crispé. L’agent des douanes poursuit la fouille, mais cette fois, il ne trouvera rien. "Merci Monsieur, bonne journée et bon séjour."

Tout objet est susceptible de contenir de la drogue

"La première règle pour nos agents est d’aller au bout d’un contrôle, explique Christophe Bertani, le directeur adjoint des douanes d’Orly. Un bon douanier est un chasseur, même si le passager s’agace, lui doit aller au bout de son opération et lever ses doutes s’il en a.»

Les douaniers gardent toujours en tête que tout objet est susceptible de contenir de la drogue. "En début d’année, on a trouvé de la cocaïne dans des avocats. Une autre fois dans des bougies, des conserves de petits pois ou encore à l’intérieur de poissons étripés. On avait dû y mettre les mains !" se souviennent ces agents qui en ont vu passer des saisies dans leur carrière. Leurs outils de travail ? Une machine à rayons X, de l’huile de coude et un sens de l'observation aiguisé.

Une fois le contrôle terminé, si les douaniers n'ont relevé aucune infraction, le passager quitte l'aéroport.

Depuis janvier 2014, les services des douanes d’Orly ont réalisé de nombreuses saisies de drogue sur des vols en provenance des Antilles. La zone Caraïbe est devenue une plaque tournante du trafic de cocaïne vers l’Europe. "Entre 2012 et 2013, les saisies de cocaïne à Orly sur des vols en provenance des Caraïbes ont doublé, explique Christophe Bertani, le directeur adjoint des douanes d’Orly, qui doit pourtant composer avec une réduction de moyens. L’an dernier, sur les 260 kg de cocaïne saisis à Orly, environ 220 kg se trouvaient à bord de vols en provenance de la sphère Caraïbe."

La zone Caraïbe, plate forme tournante du trafic de cocaïne vers l'Europe

En cause, la proximité de la zone avec les trois principaux pays producteurs : le Pérou, la Colombie et la Bolivie. A eux seuls, ils produisent "1 000 tonnes de cocaïne par an, dont 200 à 250 tonnes destinées chaque année à l'Europe", indiquait en novembre dernier (à l'AFP) Simon Riondet, chef de l'antenne Caraïbe de l'OCRTIS - Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants-Antilles-Guyane. La drogue peut transiter par le Vénézuela, vers les Antilles puis l'Europe, ou par le Brésil, vers l'Afrique, puis l'Europe, pour y être revendue entre 35 et 50 000 euros le kilo.

 

Des capsules de cocaïne ingérées

La drogue est dissimulée dans des bagages, des valises, des objets, des denrées alimentaires mais aussi dans des personnes, qualifiées de "mules".
C’est le nom donné à un trafiquant qui ingère la drogue pour tenter d’échapper aux douaniers. "Ce sont souvent des préservatifs qu’ils transforment en capsules remplies de cocaïne et qu’ils avalent pour plusieurs heures," explique Christophe Bertani, directeur adjoint des douanes d'Orly. 
Pour les repérer, les douaniers se fient à leur sens de l’observation. "Si la personne a ingéré des capsules de drogue, elle est souvent éprouvée physiquement. Ses réponses aux questions sont incohérentes. Elle peut aussi transpirer abondamment, dégager une haleine ou une odeur corporelle particulière, décrit l’un des douaniers. Dans ce cas, ils procèdent à un test urinaire dont le résultat est connu en cinq minutes.

Pour quitter l'aéroport, les passagers en provenance des Antilles traversent ce filtre de douanes à l'aéroport d'Orly à Paris.

Sur le filtre de douanes, les agents soufflent quelques minutes avant le prochain contrôle.  Le temps d’évoquer leur métier. "Forcément, il y a une forme d’adrénaline quand on sent qu’une prise est possible, qu’il y quelque chose de pas net. Mais quoi… ?" Si ce jour-là, les passagers sont tous coopératifs, ce n’est pas toujours le cas.

"Pourquoi moi ?" 

" "Pourquoi moi ?" c’est la question qui revient le plus souvent," affirment les agents. "Souvent, ils disent que c’est parce qu’ils sont noirs qu’on les contrôle. Discrimination, racisme, on est taxé de tout. Il ne faut surtout pas répondre aux provocations," insistent les douaniers. "En même temps, que voulez-vous que l’on dise, renchérit l’un d’eux. Je ne suis pas en train de contrôler un vol en provenance de Suède ! Et puis tout le monde y passe, des jeunes, moins jeunes, noirs, blancs…" 

Après environ huit d'heures de vol, les passagers en provenance des Antilles traversent le filtre des douanes

Quelques minutes plus tard, Florent (NDLR : le prénom a été modifié) est au filtre de contrôle. Le jeune homme arrive de Guadeloupe et intrigue les douaniers. Son séjour dans l’île a été court et il voyage sans bagage en soute. L’un des agents lui fait signe de s’approcher et contrôle son bagage cabine. Il ne trouve rien dans le sac à dos. Il pratique alors une palpation de sécurité. Le passager se plaque au mur, mains en l’air pendant que l’agent fait des recherches, par dessus les vêtements, d'éventuelles substances illicites. Toujours rien.

"Ça ne me dérange pas, affirme le jeune homme. C’est normal". Âgé d’une vingtaine d’années, Florent reste imperturbable, sûr de lui. Il rappelle que les contrôles sont essentiels pour la sécurité. "Ok, merci Monsieur. Vous pouvez y aller." A son départ, l’un des douaniers explique que le profil du voyageur était suspect. Florent était convoqué par un juge, en Guadeloupe, pour trafic de stupéfiants. 

Des faux médicaments ou de la contrefaçon

Sur un banc de contrôle, un Monsieur d’un certain âge regarde sa valise se vider et s’agace poliment : " Mais quand même... ce n'est rien!" Le douanier vient de trouver une importante quantité de médicaments. Plusieurs boîtes enveloppées dans du papier. L’homme explique que c’est pour lui. "On note que la quantité de médicaments qu’il transporte est bien supérieur aux besoins d’un traitement normal de trois mois. Ça peut être des faux médicaments ou de la contrefaçon", explique Christophe Bertani, directeur adjoint des douanes d'Orly. A côté, l’agent des douanes poursuit les questions et le contrôle dans une pièce retirée, à l’abri des regards. Ce Guadeloupéen devrait écoper d’une amende.

Ealors et son maître-chien contrôlent les passagers à l'aéroport d'Orly

Les passagers continuent de défiler devant la machine à rayons X, lorsqu'un douanier, maître-chien, s’avance vers le poste de contrôle avec à ses côtés un passager en provenance d’Haïti. Ealors, le chien du douanier vient de marquer sa valise sur le tapis à bagages. "Certains chiens aboient. Ealors gratte le sac et donne des coups de nez", explique le maître-chien qui va contrôler les sacs du voyageur. A l’intérieur, des fruits, des légumes, beaucoup de nourriture et des bouteilles de liquide.

Ealors, le chien des douanes, alerté par l'odeur du cannabis

Les odeurs sont fortes et variées mais le chien est habitué. "Il peut reconnaître une centaine d’odeurs, parmi lesquelles le cannabis, l’héroïne, la cocaïne, le crack, les amphétamines. C’est plus difficile pour lui de reconnaître les drogues de synthèses," détaille le maître-chien. Les yeux rivés sur le contenu du bagage, il en extirpe un drôle de sac poubelle rempli de poudre. "C’est une farine de manioc et de maïs aux épices", explique le jeune homme qui fait remarquer que l’odeur en atteste. "Et ces légumes, ils sont excellents à manger farcis", poursuit-il.

De la farine de manioc et de maïs ramenée d'Haïti par un passager intrigue les douaniers.

Après plusieurs questions et un examen approfondis du bagage, le chien continue de marquer les vêtements du passager. Ce dernier avoue alors avoir consommé du cannabis en Haïti, des résidus de graines se trouvent sur ces vêtements. De quoi alerter le chien. L’homme est emmené dans une pièce à l’écart pour une palpation de sécurité. Le douanier ne trouvera rien de plus. Le chien, lui, est récompensé par un jouet en forme d’os "la poupée du chien des douanes", avec laquelle il s’amuse quelques minutes avant de repartir au contrôle.

Il est 11 heures. Alors que de nouveaux vols en provenance des Antilles s’apprêtent à atterrir, un couple de Guadeloupéens referme sa valise en s’attardant avec les douaniers. Leur thermos de thé au gingembre avait intrigué, mais le contrôle n’a rien donné. En vacances en métropole, Claude et son mari Amos, avait prévu du thé pour se réchauffer à l’arrivée à Paris. "Vous voulez goûter ?" propose Amos aux douaniers qui déclinent la proposition.

Tandis que Claude reprend les commandes du chariot à bagages, Amos referme son thermos, et conclu : " Il faut respecter ces contrôles et le travail des douaniers. C’est bon pour nous et pour nos enfants. Nous devons lutter contre le trafic de drogue qui pourrit la Guadeloupe, la France et le monde entier".

La lutte contre le narcotrafic aux Antilles passe aussi par des contrôles en mer.


Quelques chiffres
- 7,2 tonnes de cocaïne interceptées par les douanes Françaises en 2013 (+57% par rapport à 2012)
- 260 kg de cocaïne saisis par les douanes de l'aéroport d'Orly en 2013
- 80 % de la cocaïne saisie, à l'aéroport d'Orly, en 2013, provient de la zone Caraïbe
- 60 à 65 euros le gramme, c'est le prix de vente de la cocaïne en France.