Alors que le Mémorial ACTe guadeloupéen sera inauguré ce 10 mai, que reste-t-il du passé négrier dans l'Hexagone ? Direction Bordeaux, port majeur du commerce triangulaire. Celle que l’on a longtemps appelée "la belle endormie" a ouvert les yeux sur son passé obscur après un combat de 20 ans.
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Quand il sera à la retraite François Hubert, directeur du Musée d’Aquitaine confie à La1ère qu’il écrira cette histoire. C’est une véritable épopée avec des rebondissements, des coups de gueule, des militants, des historiens et Sud-Ouest, le journal local, qui suit de près le dossier. Pour François Hubert, "à Bordeaux, le tabou est bien tombé".
La capitale de l’Aquitaine a déporté environ 150 000 Africains et organisé près de 500 expéditions négrières de la fin du 17e au début du 19e siècle. Pour François Hubert, l’origine de la redécouverte de ce passé négrier de Bordeaux remonte à 1994. A Villenave d’Ornon, petite commune de l’agglomération bordelaise, l’historien Jacques Saugera, auteur de "Bordeaux, ville négrière" est venu faire une conférence. "Cela agaçait un peu les Bordelais, car c’est un Nantais !", s’amuse le directeur du Musée d’Aquitaine. Regardez ce reportage diffusé sur Thalassa (France 3) en 2006 :
Mais l’un des piliers de la reconnaissance de cette histoire peu glorieuse est un personnage étonnant. Toujours tiré à quatre épingles, très cultivé et loquace, Karfa Diallo milite activement depuis la fin des années 1990 pour la reconnaissance de l’esclavage à Bordeaux. Il s’est même présenté sur cette ligne en 2001 aux élections municipales avec son association DiversCités qui a remporté près de 4 % des voix.
La ville de Bordeaux finit par réagir en créant en 2005 un comité de réflexion sur la traite des Noirs présidé par l’écrivain Denis Tillinac. A l’époque, Hugues Martin dirige la capitale de l’Aquitaine et c’est lui qui fait sceller une plaque commémorative évoquant le passé trouble de Bordeaux. Karfa Diallo, aujourd’hui président de la fondation Mémoires et Partages, s’en rappelle bien : "Elle se trouvait dans un parking, c’était une honte, déclare-t-il à La1ère. Pendant longtemps, j’ai boycotté les cérémonies du 10 mai à Bordeaux".
Récemment, la plaque commémorative a changé de lieu. Elle est désormais sur les quais de la Garonne. "C’est un peu mieux, souligne Karfa Diallo, mais ce n’est pas terrible !" En 2005, un square au nom de Toussaint Louverture, le héros de l’indépendance d’Haïti a été inauguré en présence de la ministre de la culture haïtienne Magali Comeau Denis. Mais le site se trouve rive droite, un lieu assez peu fréquenté.
Pour Marik Fetouh, adjoint au maire chargé de l’égalité et de la citoyenneté, Bordeaux a bien avancé, même si en matière de recherche historique, il reste du travail.
Enfin, l’événement qui a changé la donne à Bordeaux, c’est l’ouverture de quatre salles consacrées à l’histoire de l’esclavage au musée d'Aquitaine. François Hubert, le directeur du musée d’Aquitaine se souvient : "C’était assez violent. En 2007-2008, tout le monde me disait : 'Les grandes familles vont vous tomber dessus'. En fait, certains descendants nous ont donné leurs collections. Madame Baour, par exemple, tenait à ce que son nom soit bien visible en tant que donatrice, s’étonne encore François Hubert. En revanche, certains professionnels du tourisme s’inquiétaient de l’impact de la mise en lumière de ce passé négrier".
Avant l’ouverture de ces quatre salles sur Bordeaux, port négrier, le Musée d’Aquitaine recevait en moyenne 90 000 visiteurs par an, aujourd’hui, ils sont 150 000. Pour le directeur, pas de doute, la levée du tabou a "boosté" les entrées. Mais le débat n’est pas clos. Récemment, le CRAN Aquitaine a réclamé la création d’un comité de réconciliation entre les familles qui ont bénéficié de l’esclavage et les descendants d’esclaves. Une demande qu’Alain Juppé a qualifiée de "loufoque".
S’il n’emploie les mêmes mots que le maire, Karfa Diallo, estime qu’à Bordeaux, "on n’a pas attendu le CRAN pour faire le travail de mémoire". Le président de Mémoires et Partages craint que cette initiative du CRAN ne décourage les descendants des familles du Bordeaux négrier d'ouvrir leurs archives. Et puis, Karfa Diallo a un autre combat. Lui qui organise deux fois par mois des visites du "Bordeaux nègre" aimerait qu’une vingtaine de noms de rues soient accompagnés de panneaux explicatifs.
Ainsi, lorsque le guide Karfa Diallo arrive rue Saige, il a coutume de dire : "C’est le premier maire de Bordeaux, il a été guillotiné, mais je ne le regrette pas. C’était un armateur négrier prospère". Karfa Diallo cite encore le cours Journu. Cet homme qui a fondé le Museum d’histoire naturelle de Bordeaux a aussi organisé trois expéditions négrières.
Pour François Hubert, ce n'est si pas simple. "Dans la vingtaine de noms de rues cités par Mémoires et Partages, il y a des gens qui ne sont pour rien dans l'esclavage. Exemple : la rue John Lewis-Brown. Certes, l'un de ses ancêtres a été un négrier, mais lui était un peintre animalier du 19e siècle, ami de Toulouse-Lautrec". Le débat n'est donc pas clos à Bordeaux. Mais aujourd'hui, la capitale d'Aquitaine regarde son passé en face.
"Bordeaux, ville négrière"
La capitale de l’Aquitaine a déporté environ 150 000 Africains et organisé près de 500 expéditions négrières de la fin du 17e au début du 19e siècle. Pour François Hubert, l’origine de la redécouverte de ce passé négrier de Bordeaux remonte à 1994. A Villenave d’Ornon, petite commune de l’agglomération bordelaise, l’historien Jacques Saugera, auteur de "Bordeaux, ville négrière" est venu faire une conférence. "Cela agaçait un peu les Bordelais, car c’est un Nantais !", s’amuse le directeur du Musée d’Aquitaine. Regardez ce reportage diffusé sur Thalassa (France 3) en 2006 :Mais l’un des piliers de la reconnaissance de cette histoire peu glorieuse est un personnage étonnant. Toujours tiré à quatre épingles, très cultivé et loquace, Karfa Diallo milite activement depuis la fin des années 1990 pour la reconnaissance de l’esclavage à Bordeaux. Il s’est même présenté sur cette ligne en 2001 aux élections municipales avec son association DiversCités qui a remporté près de 4 % des voix.
La plaque dans le parking
La ville de Bordeaux finit par réagir en créant en 2005 un comité de réflexion sur la traite des Noirs présidé par l’écrivain Denis Tillinac. A l’époque, Hugues Martin dirige la capitale de l’Aquitaine et c’est lui qui fait sceller une plaque commémorative évoquant le passé trouble de Bordeaux. Karfa Diallo, aujourd’hui président de la fondation Mémoires et Partages, s’en rappelle bien : "Elle se trouvait dans un parking, c’était une honte, déclare-t-il à La1ère. Pendant longtemps, j’ai boycotté les cérémonies du 10 mai à Bordeaux".
Le square Toussaint Louverture
Récemment, la plaque commémorative a changé de lieu. Elle est désormais sur les quais de la Garonne. "C’est un peu mieux, souligne Karfa Diallo, mais ce n’est pas terrible !" En 2005, un square au nom de Toussaint Louverture, le héros de l’indépendance d’Haïti a été inauguré en présence de la ministre de la culture haïtienne Magali Comeau Denis. Mais le site se trouve rive droite, un lieu assez peu fréquenté.
"Il reste du travail"
Pour Marik Fetouh, adjoint au maire chargé de l’égalité et de la citoyenneté, Bordeaux a bien avancé, même si en matière de recherche historique, il reste du travail.
Le Musée d'Aquitaine à Bordeaux
Enfin, l’événement qui a changé la donne à Bordeaux, c’est l’ouverture de quatre salles consacrées à l’histoire de l’esclavage au musée d'Aquitaine. François Hubert, le directeur du musée d’Aquitaine se souvient : "C’était assez violent. En 2007-2008, tout le monde me disait : 'Les grandes familles vont vous tomber dessus'. En fait, certains descendants nous ont donné leurs collections. Madame Baour, par exemple, tenait à ce que son nom soit bien visible en tant que donatrice, s’étonne encore François Hubert. En revanche, certains professionnels du tourisme s’inquiétaient de l’impact de la mise en lumière de ce passé négrier".
Le CRAN veut un comité de réconciliation
Avant l’ouverture de ces quatre salles sur Bordeaux, port négrier, le Musée d’Aquitaine recevait en moyenne 90 000 visiteurs par an, aujourd’hui, ils sont 150 000. Pour le directeur, pas de doute, la levée du tabou a "boosté" les entrées. Mais le débat n’est pas clos. Récemment, le CRAN Aquitaine a réclamé la création d’un comité de réconciliation entre les familles qui ont bénéficié de l’esclavage et les descendants d’esclaves. Une demande qu’Alain Juppé a qualifiée de "loufoque".S’il n’emploie les mêmes mots que le maire, Karfa Diallo, estime qu’à Bordeaux, "on n’a pas attendu le CRAN pour faire le travail de mémoire". Le président de Mémoires et Partages craint que cette initiative du CRAN ne décourage les descendants des familles du Bordeaux négrier d'ouvrir leurs archives. Et puis, Karfa Diallo a un autre combat. Lui qui organise deux fois par mois des visites du "Bordeaux nègre" aimerait qu’une vingtaine de noms de rues soient accompagnés de panneaux explicatifs.
Karfa Diallo, président de la fondation "Mémoires et partages"
Ainsi, lorsque le guide Karfa Diallo arrive rue Saige, il a coutume de dire : "C’est le premier maire de Bordeaux, il a été guillotiné, mais je ne le regrette pas. C’était un armateur négrier prospère". Karfa Diallo cite encore le cours Journu. Cet homme qui a fondé le Museum d’histoire naturelle de Bordeaux a aussi organisé trois expéditions négrières.
Pour François Hubert, ce n'est si pas simple. "Dans la vingtaine de noms de rues cités par Mémoires et Partages, il y a des gens qui ne sont pour rien dans l'esclavage. Exemple : la rue John Lewis-Brown. Certes, l'un de ses ancêtres a été un négrier, mais lui était un peintre animalier du 19e siècle, ami de Toulouse-Lautrec". Le débat n'est donc pas clos à Bordeaux. Mais aujourd'hui, la capitale d'Aquitaine regarde son passé en face.