"A court d’enfants" sort en salle, mercredi 20 mai. Cette fiction de 42 minutes raconte l’histoire des Réunionnais de la Creuse. L’objectif de la réalisatrice est d'éveiller les consciences sur une histoire encore peu connue. Une projection et un débat ont eu lieu, lundi, à Paris.
1963. La Réunion. Des marmailles jouent dans les hauts de l'île avec une boîte de conserve en guise de ballon. La première scène du film se déroule près de la case sous tôle d’une famille pauvre, au cœur du cirque de Cilaos. Soudain, les visages amusés de ces enfants aux vêtements défraîchis se figent.
Le bruit sourd du moteur de la fameuse "auto rouge" se rapproche. Deux assistantes sociales entrent dans la case et expliquent à la mère de famille qu’un avenir meilleur attend ses enfants en métropole. "Ils vont étudier, votre fils sera médecin et il rentrera vous voir une fois par an", tente de convaincre l’une d’elles. Assise sur son tabouret, devant des marmites posées sur un feu de bois, la femme appose d’un doigt son empreinte en bas d’une feuille et acte le départ de ses enfants.
Arrachés à leur mère et à leur île, Camélien, 10 ans, et sa sœur Lenaïs, 5 ans, partent pour la métropole afin de repeupler des départements touchés par l’exode rural. Arrivé en plein hiver dans la Creuse, Camélien va servir de main d’œuvre ouvrière dans la ferme isolée d’un couple de paysans. Assujetti aux tâches quotidiennes dans l’humiliation et le déni, le marmaille dort dans la paille avec le bétail. Son seul sourire : un jour de neige où il s'amuse de voir du "coton frais" tomber du ciel.
"Si la plupart des Réunionnais de la Creuse que j’ai contactés ont eu un destin tragique, si beaucoup se sont suicidés, d’autres ont survécu et je voulais les deux côtés", explique la réalisatrice qui estime qu’il faut parler de cette histoire sans la juger "pour libérer la parole".
La performance des acteurs
A l’écran, le jeune Camélien est interprété en créole par Louzolo Mahonga-Morillon. En dépit des conditions inhumaines dans lesquelles il vit dans la Creuse, le garçon va trouver un maigre réconfort dans la douceur de Denise Roblin, la femme du paysan jouée par Marie Bunel.
Même espoir pour Marie Bunel qui, lors du tournage à La Réunion et en métropole, a tenté de comprendre son personnage de Denise Roblin : "Il fallait travailler sur la simplicité et la méconnaissance de ce couple de paysans de l’époque qui n’avait jamais vu un Noir de leur vie".
Ignorance, mensonge, abandon, à l’écran les personnages traversent ces sentiments récurrents dans les histoires des Réunionnais de la Creuse. En 42 minutes et avec un maigre budget, la réalisatrice réussit à donner une vision nuancée de cette sombre histoire des Réunionnais de la Creuse. Si le destin d’un des deux enfants est tragique, l’autre est moins sombre.
"C’est à l’image de ce qu’on a vécu", remarque à l’issue de la projection Marie-Thérèse, Réunionnaise de la Creuse. "Bravo aux acteurs", poursuit-elle émue, "pour l’humanité donnée aux personnages dans toute cette horreur".
Assis dans leurs fauteuils, plusieurs spectateurs restent abasourdis. Ils viennent de découvrir à l’écran ce pan de l’histoire de France. "Mais vous êtes trop gentils avec les gens qui ont fait ça !", s’indigne un homme dans la salle.
"Des Réunionnais de la Creuse ont trouvé ce film très beau", confie la députée qui est revenue en détail sur "cette histoire de La Réunion et de La France". "J’espère que cette fiction va être largement diffusée pour pousser à réfléchir et aider à la reconstruction de ces générations brisées."
"A court d’enfants" sort ce mercredi 20 mai au cinéma. Il est programmé dans une dizaine de salles en métropole mais aussi à La Réunion où la sortie a lieu simultanément.
Une projection spéciale suivie d’un débat est aussi organisée, mercredi 20 mai, au cinéma Cambaie à Saint-Paul, avec des invités : Jean-Philippe Jean-Marie (président de l’association Rasin Anler), Délixia Perrine (actrice) et Louzolo Mahonga-Morillon (acteur).