Satisfaits mais vigilants, les parlementaires ultramarins prêts à travailler avec Manuel Valls sur la loi contre la vie chère en Outre-mer

Le ministre des Outre-mer Manuel Valls et le sénateur Victorin Lurel assistent à une démonstration de Gwoka au Mémorial ACTe, à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 16 mars 2025.
Le ministre des Outre-mer a annoncé travailler sur un grand projet de loi pour lutter contre la vie chère dans les territoires ultramarins. Il souhaite associer les élus à l'écriture du texte, certains étant déjà à l'origine d'initiatives parlementaires sur le sujet. Mais la vigilance est de mise.

Est-ce bientôt la fin de l'insoutenable vie chère en Outre-mer ? Difficile de l'affirmer, tant le sujet est pointilleux, délicat et structurellement installé dans les territoires ultramarins. Mais un nouvel élan politique semble (enfin !) se dessiner pour résoudre le problème des prix exorbitants. Lors de son déplacement aux Antilles du 14 au 19 mars, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a annoncé la présentation prochaine (d'ici fin juin) d'un grand projet de loi pour lutter contre la vie chère dans les territoires ultramarins. "Le gouvernement ne peut plus se contenter de demi-mesures ou de solutions désuètes", a-t-il admis lors de son escale en Martinique lundi 17 mars. 

L'ancien Premier ministre sous François Hollande veut se montrer proactif et pourvoyeur de solutions sur le sujet. Et, il l'a indiqué lundi dans son discours, les parlementaires d'Outre-mer auront un rôle crucial dans le processus. Dans un courrier qui leur a été envoyé le 3 mars, et qu'Outre-mer la 1ère a pu consulter, Manuel Valls assure vouloir "une véritable transformation des économies ultramarines", mais que celle-ci, par définition, prendra du temps. En revanche, des mesures urgentes peuvent être prises pour avoir un impact de court-terme, voire immédiat, sur les portefeuilles des ménages.

"Je sais que nombre d'entre vous ont d'ores et déjà réfléchi au sujet et ont élaboré des propositions. Je vous propose de me transmettre celles qui vous apparaissent les plus urgentes et les plus fondamentales", a-t-il demandé aux parlementaires de tout bord.

Des lois déjà votées au Parlement

Le futur projet de loi contre la vie chère en Outre-mer ne part pas d'une feuille blanche. Ces dernières semaines, le Parlement s'est prononcé sur plusieurs textes socialistes en lien avec le sujet. Le 23 janvier, les députés ont largement adopté la proposition de loi de Béatrice Bellay (Martinique, Socialistes et apparentés) visant à renforcer le bouclier qualité-prix (BQP) et à limiter les phénomènes de concentration économique dans les territoires ultramarins. Le 5 mars, les sénateurs ont eux donné le feu vert à deux textes présentés, là encore, par les socialistes : un sur la régulation de la concurrence, porté par Victorin Lurel (Guadeloupe, Socialiste, écologiste et républicain, SER), et un sur l'encadrement des loyers en Outre-mer, défendu par Audrey Bélim (La Réunion, SER).

Manuel Valls compte bien exploiter les mesures déjà votées par l'une des deux chambres du Parlement. "Il s'agira de reprendre certains articles des propositions de loi (...) afin de leur donner une chance de prospérer", a-t-il précisé lundi, depuis la Martinique.

Face à la multiplication des initiatives législatives sur le même sujet, les élus appelaient à fusionner les différents textes, pour plus de clarté parlementaire, mais aussi pour agir vite. "C'est ce qu'on demandait", s'est félicité l'entourage de l'ancien ministre des Outre-mer Victorin Lurel après l'annonce de Manuel Valls en début de semaine.

"Nous amenderons"

Pourtant, les parlementaires ultramarins siégeant dans les rangs du Parti socialiste restent vigilants sur le contenu de ce projet de loi gouvernemental, qui n'est qu'au stade d'embryon. "Nous attendons de voir quelles seront les propositions du gouvernement", dit la députée de Martinique Béatrice Bellay.

L'élue de Fort-de-France, très engagée sur le sujet de la vie chère, n'oublie pas que le gouvernement, par la voix de Manuel Valls, avait voulu amoindrir la portée de sa loi lors de son examen à l'Assemblée fin janvier. Selon lui, le texte était trop restrictif et portait atteinte à la liberté d'entreprendre. Si le projet de loi de Manuel Valls venait à manquer d'ambition, Mme Bellay assure : "Nous viendrons l'amender. N'oublions pas que le texte devra passer par le vote des élus."

La députée de Martinique Béatrice Bellay, porte-parole du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale.

Malgré les craintes, les parlementaires ultramarins adoptent une attitude globalement constructive. "Nous, le principal, c'est que ça avance", dit l'entourage de Victorin Lurel. Dans un courrier commun adressé à Manuel Valls le 13 mars, députés et sénateurs PS se disent disponibles pour travailler de concert avec le gouvernement sur le texte.

Il ne faudrait toutefois pas que les débats s'éternisent, s'inquiètent-ils. "L'objectif, c'est que la mise en place de l'encadrement des loyers et la création de référentiels de techniques de construction et de matériaux soient adoptés définitivement puis mis en place le plus rapidement possible", indique l'entourage de la sénatrice réunionnaise Audrey Bélim, à l'origine de la loi sur l'encadrement des loyers en Outre-mer votée par le Sénat en première lecture il y a deux semaines. "C'est le calendrier qui déterminera si (...) sa proposition de loi (...) devra être examinée à l’Assemblée nationale lors d'un temps transpartisan pour aller plus vite ou dans ce projet de loi." Contacté, le ministère des Outre-mer n'a pas apporté de précisions sur la méthode et le calendrier de ce projet de loi.

Une liste de mesures

En attendant, plusieurs parlementaires d'Outre-mer ont envoyé (ou vont envoyer) leurs propositions au ministre. En plus de sa loi vie chère, Béatrice Bellay, en binôme avec son collègue Martiniquais Jiovanny William, va détailler plusieurs mesures clés pour améliorer le pouvoir d'achat des Ultramarins. Les deux députés veulent par exemple réduire le nombre d'heures nécessaires pour que les artistes obtiennent le statut d'intermittent du spectacle, proposent d'augmenter les minima sociaux ou encore la mise en place d'une politique de transport interrégional.

Les autres groupes politiques aussi ont répondu à Manuel Valls. Olivier Serva, député Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT) de la Guadeloupe, demande par exemple que la loi prévoit une exonération de TVA sur les produits de première nécessité partout en Outre-mer (et non pas seulement aux Antilles) ou encore ⁠une prise en charge par l'État des frais de fret sur les produits de première nécessité.

Dans les rangs du Rassemblement national (RN), Joseph Rivière, élu de La Réunion propose une réforme de la TVA et de l'octroi de mer, la suppression du régime de retraite des indépendants et l'instauration de "visas économiques" pour inciter les chefs d'entreprise des pays voisins à s'installer dans les territoires ultramarins afin d'y booster l'économie.

Une mobilisation de la CGTM à Fort-de-France.

Il n'y a que dans les rangs de la gauche radicale que l'annonce de Manuel Valls a laissé circonspect. Au sein du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), où siège un grand nombre d'Ultramarins, on n'exclut pas de regrouper les suggestions et de les inclure dans une proposition de loi plutôt que d'attendre le texte gouvernemental. "Rien de sûr pour l'instant", confie néanmoins une collaboratrice parlementaire.

Ce qui n'a pas empêché certains de faire leurs propres propositions. Ainsi, Frédéric Maillot (La Réunion, GDR) a envoyé un courrier avec quatre mesures principales : appliquer la TVA à 0 % sur les produits de première nécessité à La Réunion (comme en Guadeloupe et en Martinique), inclure les citoyens dans la gouvernance des observatoires des prix, adapter les normes pour permettre d'augmenter le parc immobilier, ou encore prendre des mesures de soutien pour les commerces de proximité.

"Vous pouvez compter sur ma détermination pleine et entière sur ce sujet", a promis Manuel Valls aux élus ultramarins dans son courrier du 3 mars. "Il s'agit pour moi d'une urgence car ce phénomène, incontestable, frappe de plein fouet l'ensemble des territoires ultramarins."