Pascal Saffache : "les mangroves nous rendent des tas de services !"

Pascal Saffache, professeur à l'Université des Antilles
Les mangroves, ces forêts les pieds dans l'eau ont longtemps eu mauvaise réputation. Et pourtant, ces écosystèmes rendent des tas de services. Pour Pascal Saffache de l'Université des Antilles "les mangroves doivent être protégées". A quelques jours de la conférence climat, La1ère l'a interviewé. 
La1ère :Comment définir la mangrove ? Une forêt les pieds dans l'eau ?     

Pascal Saffache : Une mangrove est une forêt qui prend appui sur un substrat vaseux. Certaines mangroves poussent même directement dans l’eau saumâtre ou l’eau de mer. L’arbre emblématique de la mangrove est le palétuvier (que l’on nommait anciennement manglier). Il existe une soixantaine d’espèces de palétuviers à travers le monde, et moins d’une vingtaine dans la Caraïbe. En fonction de leur plus ou moins grande adaptation au sel, les palétuviers se localisent plus ou moins près de la mer. Le palétuvier rouge, par exemple (Rhizophora mangle), très adapté au sel, pousse au contact de l’eau de mer, alors que la fougère dorée (Acrostichum aureum), moins adaptée au sel, se localise dans l’arrière mangrove, c’est-à-dire loin des fronts pionniers de palétuviers rouges.

Sentier sportif dans la Mangrove au Lamentin en Martinique

Ce qui caractérise les mangroves, c’est qu’elles se développent prioritairement dans la zone intertropicale (en dehors de quelques exceptions aux Bermudes, en Afrique du sud et au Japon), et que leur flore et leur faune se sont véritablement adaptées à leur milieu. Par exemple, le palétuvier rouge, dont les racines plongent directement dans l’eau de mer (grâce à des racines en arceaux), rejette l’excès de sel par ses feuilles (on dit qu’il excrète le sel), alors que d’autres genres de palétuviers (palétuviers blancs et noirs) filtrent l’eau de mer à la manière des stations de désalinisation.
La faune s’est elle aussi adaptée. Le Periophtalmus est un poisson qui vit au rythme de la mangrove : à marée haute il nage comme un poisson ordinaire et se sert de ses branchies pour respirer, alors qu’à marée basse, il se hisse sur la vase grâce à ses nageoires caudales très dures et respire hors de l’eau (2 à 3 heures) grâce à des poumons primitifs.
En définitive, la mangrove est un milieu d’une grande complexité, mais surtout qui se caractérise par une très grande richesse.

Mangrove en Martinique
 
Pourquoi est-ce si important de préserver les mangroves Outre-mer ?
Il s’avère fondamental de préserver les mangroves outre-mer, car elles rendent des services importants : elles permettent la stabilisation des marges côtières et permettent de lutter contre l’érosion, elles retiennent les sédiments les plus fins et donc limitent l’envasement des baies (elles fixent aussi les polluants dans les sédiments qu’elles retiennent), elles permettent la reproduction de la faune ichtyologique et servent donc de nurseries, elles maintiennent les micros climats, et sont aussi d’excellents supports pour les activités touristiques. Ce sont aussi d’excellentes ressources forestières et halieutiques.

Mangrove en Guadeloupe

Pour prendre la mesure de la valeur des mangroves d’Outre-mer, il faut savoir que l’on estime qu’un hectare de mangrove permet de recueillir annuellement 400 kg de poissons, qu’un kilomètre carré de mangrove génère un bénéficie de plus de 1200 euros, en raison de son potentiel pharmacologique, enfin que les mangroves fixent en moyenne 6 tonnes de gaz carbonique par hectare et par an, et permettent de ralentir la progression des tsunamis.
 
Mangrove guyanaise

Où trouve-t-on des mangroves Outre-mer ?   
En outre-mer les mangroves se localisent comme suit (des plus étendues au moins étendues) : Guyane française (70000 ha), Nouvelle-Calédonie (25884 ha), Guadeloupe (3983 ha), Martinique (moins de 2000 ha), Mayotte (735 ha), Îles éparses (700 ha), Wallis et Futuna (20 ha) et enfin la Polynésie française (un peu plus de 4 ha).
                                      
La France est-elle un pays qui compte beaucoup de mangroves ?   
Avec un peu plus de 100000 ha de mangroves (1000 km2), la France occupe le 32ème rang mondial.
  
Est-ce que les mangroves sont menacées actuellement en Outre-mer ?
A l’image de ce que l’on observe à l’échelle mondiale, les mangroves d’Outre-mer sont particulièrement menacées par le mitage dont elles font l’objet (grignotage régulier pour des raisons anthropiques : construction d’autoroutes, élargissement des voies de circulation, construction de zones artisanales et/ou industrielles, de logements, etc.).
 
La mangrove de Guyane

Quelles sont les menaces les plus importantes Outre-mer ?
La menace la plus importante et la plus récurrente est l’urbanisation.
Toutefois, en fonction des territoires certaines particularités doivent être mentionnées : la riziculture en Guyane, le Nickel en Nouvelle-Calédonie…
                                 
Est-ce que le regard des Ultramarins, des Antillais à changé sur les mangroves ?                                 
Le regard des Ultramarins, et des Antillais plus spécifiquement, a fortement évolué au cours des dernières décennies. Les populations sont, en effet, plus sensibles aux discours écologiques et à ceux qui sous-tendent une protection des mangroves. Cela est dû aux campagnes de sensibilisation initiées par les services déconcentrés de l’Etat, par les associations de sauvegarde de l’environnement, mais aussi et surtout par le rôle joué par l’école, on étudie désormais les caractéristiques des mangroves à l’école.
 
La mangrove du Lamentin

En Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, les mangroves sont-elles assez protégées ?                               
Dans ces départements, les mangroves sont protégées par diverses mesures plus ou moins contraignantes, mais cela n’empêche nullement les promoteurs de les grignoter année après année…
 
On parle désormais des océans, des forêts, des récifs coralliens, mais la mangrove est souvent oubliée, pourquoi ?                                         
La mangrove est souvent oubliée car pendant longtemps elle a jouit d’une très mauvaise réputation. Il faut se rappeler qu’au début de la colonisation les mangroves étaient des lieux que l’on pensait hantés par des créatures fantasmagoriques. Il a fallu attendre la fin de la seconde Guerre Mondiale, et particulièrement les années 1960, pour que les premiers travaux scientifiques soient menés sur les mangroves antillaises, et que l’on découvre leur richesse, leur rôle écosystémique, etc.
Nanti des connaissances actuelles, il convient de replacer la mangrove à la bonne place, c’est-à-dire un écosystème d’une très grande valeur, indispensable à la survie des autres écosystèmes avec lesquels elle entre en résonnance.
 
Quelle est votre mangrove préférée ?                                       
La mangrove guyanaise, du fait de son étendue. Il ne s’agit pas d’une mangrove relictuelle comme c’est le cas en Martinique, ou en Guadeloupe, mais d’une zone vaste, riche, peu dégradée, donc ayant conservé son authenticité !
 
Mangrove à l'estuaire de l'Approuague

À Mayotte, il y a des associations qui se mobilisent pour replanter la mangrove ? Ça marche ?                 
La replantation de la mangrove est assez récente et est très à la mode. Depuis le tsunami du 26 décembre 2004 qui a ravagé l’Asie du sud-est, nombre d’associations se mobilisent en ce sens. Les résultats sont assez timides pour l’instant, mais ils ne pourront véritablement être appréciés que d’ici quelques années ou décennies.
 
Qu'est ce que vous attendez de la conférence climat pour l'Outre-mer ?
J’en attends une prise de conscience globale !
Les Outre-mer sont des espaces riches mais fragiles, aussi convient-il de les protéger pour qu’ils servent encore longtemps de support à une biodiversité végétale et animale importante, mais surtout pour que les populations puissent en profiter. Je crois que les élus d'Outre-mer sont capables d’entendre ce discours et qu’en tant qu’universitaire, il est de mon devoir de les sensibiliser à la richesse de ce milieu, mais surtout sur le fait qu’ils doivent tout faire pour le préserver, ce qui ne veut pas dire mettre leur territoire sous cloche et ne pas le développer. Nous sommes là au cœur d’une vraie problématique : aménager durablement l’espace, ménager l’espace, c’est-à-dire permettre un vrai développement durable !