"Pour la juste démesure", une tribune de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau sur les attentats et leurs conséquences

Le romancier martiniquais Patrick Chamoiseau.
Le romancier martiniquais Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992, a publié sur le site Internet du quotidien L’Humanité une tribune sur les attentats de Paris. Il y dénonce « la barbarie de la terreur » mais aussi les « fictions totalitaires » de « la sécurité absolue ». Extraits. 
Dans un texte fort paru sur le site Internet du quotidien L’Humanité, suite aux attentats terroristes qui ont frappé Paris, faisant 130 morts et des centaines de blessés, Patrick Chamoiseau s’interroge. Comment penser une alternative globale à la « violence marchande » des démocraties capitalistes, « leurs prédations, leurs injustices, leur barbarie économique insidieuse » sans sombrer dans la terreur ?
 
Il nous faut une démesure, répond-il. Mais pas celle des « hommes de la terreur », prévient l’écrivain. « La barbarie de la terreur est en ce sens une démesure désespérée, surtout désespérante. Quand la démesure ne propose rien d'autre que l'attentat d'un absolu, quand elle n'ouvre à aucune perspective, quand elle piétine toutes les décences, qu'elle déserte toute éthique, quand elle se livre à la haine sans regard, à la violence tombée bien folle, elle ne vise qu'une chose : tout aspirer dans son abîme de mort sacrificielle. Ce serait son unique et très absurde victoire. »
 
« Elle s'offre comme tentation », poursuit Patrick Chamoiseau. « Elle dresse l'illusion de la sécurité absolue, de la valeur armée qui se fait guillotine, de l'injuste et de la vengeance comme seules voies respirables. Son absurdité est puissante. Sa logique morbide proclame que seule une logique de même nature nous éviterait de perdre la face. Mais nous pouvons lui faire face en brisant son miroir. »

Notre éthique ne cède pas une maille aux "valeurs" boursouflées, verticales et tranchantes. La vengeance ne reste qu'un épisode du crime originel." (Patrick Chamoiseau)

 








L’auteur invoque un autre romancier martiniquais, Édouard Glissant, sa poétique pour une « démesure de la démesure » et une « refondation de nos imaginaires ». « La démesure ici est d'optimisme, de hauteur et d'horizon renouvelés » écrit-il. « Avec elle, en face de la terreur, notre peur n'est qu'un tremblement qui ne renonce à rien. Notre compassion est une haute énergie. Notre éthique ne cède pas une maille aux "valeurs" boursouflées, verticales et tranchantes. La vengeance ne reste qu'un épisode du crime originel. La sécurité absolue n'existe que dans les fictions totalitaires, le déshumain glacial, jamais dans les démocraties, jamais dans les chaudes aventures de l'amour comme principe, de l'acceptation de l'autre comme ferveur, du partage et de l'échange qui nous changent et qui nous réalisent ».
 
« Notre sécurité n'est pas une forteresse. Elle n'a de "civilisation" que ce qu'il y a de meilleur. Elle entend, elle secourt, elle accueille, se renouvelle ainsi. Elle sait que la barbarie se tient aussi en nous, et peut jaillir de nous. Elle ne stigmatise personne et ne recherche aucun bouc émissaire. Elle ne distingue pas entre les assassins qui maltraitent la Syrie. Elle fonde sur les musulmans comme sur toutes les ferveurs. Elle nomme la Palestine. Elle organise une mémoire commune qui ne hiérarchise pas les crimes contre l'humanité. Sa paix n'est pas faite d'injustices, d'arrogance ou de prédations autorisées. Sa liberté respecte. Sa justice est en tout, et accessible à tous. Elle n'est pas faite d'hymne guerrier ou « d'exception » qui autorise à saccager ce que nous avons été, que nous sommes, et que nous nous devons encore de devenir. »
 
"Pour la juste démesure", lien vers l’intégralité de la tribune de Patrick Chamoiseau sur le site de L’Humanité