Une "épidémie de suicide" frappe les jeunes Amérindiens de Guyane dans un "silence complet": deux parlementaires préconisent de mettre "les moyens" pour enrayer un phénomène lié à l'isolement, l'échec social, sanitaire et scolaire.
•
De leurs dix jours de mission en septembre, Aline Archimbaud, sénatrice (EELV) de Seine-Saint-Denis, et Marie-Anne Chapdelaine, députée (PS) d'Ille-et-Vilaine, sont rentrées frappées par "le drame stupéfiants du suicide chez les jeunes qui se déroule das le silence le plus complet".
"On peut parler sans exagération +d'épidémie de suicides+", écrivent-elles dans leur rapport de plus de 160 pages sur ce phénomène apparu dans les années 80 et en accélération "depuis les années 2000" chez "les jeunes et même très jeunes Amérindiens" issus des six peuples autochtones.
Regardez l'interview d'Aline Archimbaud [Opinions 1ère]
10 000 Amérindiens
La population amérindienne (Wayampis, Wayanas, Tékos dans les villages de l'intérieur; Kali'na, Palikur et Arawack sur le littoral) est estimée à environ 10.000 personnes en Guyane française, en l'absence de statistiques ethniques. Si le taux de suicide du département est moins élevé qu'en métropole (8 pour 100.000 habitants contre 16,2 pour 100.000), "il existe une forte concentration des suicides sur les zones peuplées par les Amérindiens" où la prévalence serait "10 à 20 fois supérieure qu'en Hexagone", souligne Aline Archimbaud.
Les deux élues ont remonté en pirogue les fleuves Maroni et Oyapock pour recueillir les témoignages des habitants des communes les plus reculées, et sont arrivées à Camopi "quelques heures après le suicide d'une étudiante de 18 ans". Lors de la rédaction du rapport, les suicides de deux collégiens de 15 ans à Camopi toujours et à Saint-Laurent du Maroni ont été signalés. "Ces populations se sentent abandonnées, il y a une immense désespérance", souligne la sénatrice, pour qui "les élus locaux, créoles, sont indifférents, voire hostiles" parfois à ces populations.
Installer l'eau, l'électricité et internet
L'"isolement" des villages, le "désoeuvrement" des jeunes confrontés à l'"échec scolaire ou au manque d'activité", leurs "troubles identitaires" de génération écartelée entre tradition et modernité sont autant de facteurs alimentant un "mal-vivre", terreau d'un possible passage à l'acte. Sans compter les problèmes d'alcoolisme ou le mépris diffusés par les églises évangéliques locales. Sans prétendre remédier à tout, les deux parlementaires ont dressé une liste de 37 propositions dont 16 "prioritaires" et "concrètes".
Prise en charge psychiatrique
Il faut un "renforcement immédiat" de la prise en charge psychiatrique des suicidaires et de leur famille, avec l'intervention (comme en métropole) d'une cellule d'urgence en moins de 24 heures, la mise en place d'antennes médicopsychologiques à Camopi et Maripasoula. Des programmes communautaires de santé (physique et mentale) et de soutien à la parentalité doivent être élaborés, pour éviter d'appliquer les standards d'une
médecine "occidentalo-centrée".
De manière très pratique, l'urgence est aussi de réaliser les infrastructures "les plus élémentaires" d'eau potable, d'électricité, de réseau téléphonique ou
d'internet dont sont dépourvues les communes en forêt, paradoxe de ce territoire d'où sont tirées "des fusées Ariane et Soyouz". "Comment peut faire un jeune qui veut demander une aide pour un projet de tourisme vert dans ces conditions ?", s'interroge Marie-Anne Chapdelaine, soulignant les
initiatives locale qui manquent de soutien.
La problématique de l'éducation
Elle plaide aussi pour une meilleure utilisation des moyens quand par exemple un médecin en tournée passe plus de temps en pirogue qu'en consultation faute d'avoir pu prendre l'avion. Il faut aussi "répondre à la forte demande en termes d'éducation", a souligné Mme Chapdelaine, parlant de la nécessité de généraliser la "collation" pour les enfants, de permettre des retours en pirogue le week-end des collégiens scolarisés loin de chez eux, ou de garder ouverts les internats pour lycéens à Cayenne.
La ministre des Outre-mer George Pau-Langevin, qui se rendra en Guyane "fin janvier-début février", a annoncé "un groupe de travail dès janvier avec l'Education nationale pour faire avancer un sujet élémentaire comme la collation" et assuré que le Pacte d'avenir de la Guyane en cours d'élaboration tiendrait compte de certaines de leurs propositions.
La ministre des Outre-mer George Pau-Langevin, qui se rendra en Guyane "fin janvier-début février", a annoncé "un groupe de travail dès janvier avec l'Education nationale pour faire avancer un sujet élémentaire comme la collation" et assuré que le Pacte d'avenir de la Guyane en cours d'élaboration tiendrait compte de certaines de leurs propositions.