L'agression d'un jeune homme près de Pointe-à-Pitre, séquestré et torturé pendant cinq jours à cause de son orientation sexuelle, met en lumière la stigmatisation de l'homosexualité chez une partie de la population en Guadeloupe, notent plusieurs observateurs et spécialistes.
Pierre Lacombe avec AFP •
"Lorsque j'ai fait mon coming-out, j'avais 19 ans. Cela a été une tragédie pour ma famille. J'ai dû quitter la Guadeloupe au bout de quinze jours parce que mon père n'acceptait pas ma vérité. La menace d'attenter à ma vie était réelle", confie à l'AFP, sous couvert d'anonymat, un militant de l'association Tjenbé Rèd, qui soutient les personnes noires et métisses LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Transsexuels) dans l'Hexagone et en outre-mer. Tjenbé Rèd ("Tenir bon" en créole) a un président de la région Grande Caraïbe basé en Guyane, Thierry Michaux, mais aucun représentant officiel en Guadeloupe. "Il n'y a aucune association LGBT active dans le département", affirme-t-il. La raison: la peur des réactions hostiles et du regard d'autrui. "La population guadeloupéenne n'est pas encore prête à accepter ce qu'elle considère comme une tare", estime Thierry Michaux.
Dans une île où tout le monde se connaît, les informations ou les commérages circulent vite
Jean-Claude Maced, le responsable de Aides Guadeloupe, association avant tout de lutte contre le VIH, renchérit : "nous sommes arrivés il y a deux ans. Automatiquement, la communauté gay s'est tournée vers nous car nous étions les seuls à travailler avec elle". Il ajoute : "Ce public n'a pas de lieu identitaire". Une difficulté en partie due à l'insularité. Dans une île où tout le monde se connaît, les informations ou les commérages circulent vite. Mais selon Jean-Claude Maced, les réseaux sociaux "ont permis aux gens d'être moins isolés" en leur permettant de rester cachés.
La réaction des politiques locaux se fait attendre
Près de Pointe-à-Pitre, dans un quartier populaire de la commune des Abymes, la victime a été séquestrée du 4 au 8 janvier dans "une sorte de squat", a expliqué à l'AFP le procureur de la République Xavier Bonhomme. Elle a subi "des coups de poing et de pied, des plaies à l'arme blanche, des scarifications, des brûlures à coup de fer à repasser et d'autres maltraitances", sans compter les insultes. Le jeune homme a aussi été contraint de commettre des vols dans des magasins sous la surveillance de ses bourreaux. Parmi ces derniers, dont certains connus de la police, deux sont mineurs, les trois autres ont une vingtaine d'années. Quatre ont été écroués, le dernier laissé libre sous contrôle judiciaire. Ils encourent jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle. Le ministère des Outre-mer et le parti socialiste ont dénoncé l'agression, mais la réaction des politiques locaux se fait attendre, regrette Thierry Michaux: "qu'ils prennent position contre toute forme de discrimination ! Nous avons besoin qu'ils nous protègent et qu'ils nous rassurent".
Une sexualité contre nature ou un problème psychologique pour une majorité de jeunes
En Guadeloupe, chez les 15-24 ans, six hommes sur 10 et près d'une femme sur deux assimilent l'homosexualité à "une sexualité contre nature" ou à "un problème psychologique", selon une étude de l'Observatoire régional de Santé menée en 2011-2012. Sur l'ensemble de la population, 68% des hommes et 61,5% des femmes pensent de même. Des proportions similaires sont observables dans les deux autres départements français d'Amérique (DFA).
Il faut voir la sexualité comme un droit de l'homme
La religion joue un rôle: 80,4% des hommes et 68,6% des femmes qui accordent à la religion une place "très importante", partagent la même analyse. Conséquences: une très faible proportion (1,6%) des habitants des DFA déclarent avoir déjà eu une relation homosexuelle, un taux deux fois inférieur à celui des Métropolitains, selon cette même étude. Pour le docteur Marie-Thérèse Goerger-Sow, ancienne présidente de la Coordination régionale de lutte contre le VIH, "la société guadeloupéenne est profondément homophobe". Elle estime que le changement des mentalités passera par l'éducation : "Il faut voir la sexualité comme un droit de l'homme". S'adressant à la victime, elle ajoute: "Il ne faut pas qu'il se laisse abattre, il est dans le vrai".