Cinéma : les voyages de Monsieur Barny

"Rose et le Soldat" de Jean-Claude Barny est en compétition au festival des créations télévisuelles de Luchon qui se tient jusqu’au 7 février 2016. Le téléfilm sera diffusé au printemps sur France 2. L’occasion de revenir sur le parcours du réalisateur antillais.
«La réalisation, c’est un voyage». Quand Jean-Claude Barny nous parle de son métier, il n’est pas avare de métaphores : «avec un film, tu traverses des contrées et des contrées ; il y a plein de gens pour t’aider à arriver à destination, mais c’est toi qui conduis le train». Et d’enchaîner : «le cinéma, ce n’est pas juste «action, coupez», c’est une bascule, et tu deviens dopé…» Jean-Claude Barny a pris le train très tôt. Et depuis, il est effectivement dopé. Dopé à l’émotion. Mais qui est-il au juste ?

 

Un autodidacte

Né en métropole en 1965, Jean-Claude Barny passe ses six premières années à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Le cinéma à l’époque, c’est le dimanche, en famille et après la messe !
Retour dans l’hexagone. L’adolescent d’Argenteuil commence à  s’intéresser au 7ème art. A 14 ans, il est mordu. Un homme le fascine : Pierre Tchernia. Et ce qui l’obsède par-dessus tout, ce sont Les Fiches de Monsieur CinémaThe Warriors (Walter Hill, 1979), À l’Est d’Eden (Elia kazan, 1955), The Harder They Come ( Perry Henzell, 1972): autant de films générationnels qui vont façonner notre homme. Une vocation est en train de naître. Celle d’un cinéaste cinéphile. A 16 ans, il quitte l’école.

 
Kassovitz/ Barny : une rencontre décisive

Mathieu et Jean-Claude se rencontrent dans le milieu hip-hop parisien des années 80. Ensemble, ils font les quatre cents coups. Et pour son premier long-métrage Métisse, Kassovitz fait appel à tous ses potes. Barny aura un petit rôle. C’est le début de l’aventure.

 
«  Après, certains se sont pris au sérieux pour être comédiens, moi, pour faire des films »

 







Jean-Claude se lance alors dans la réalisation de son premier court-métrage, Putain de Porte. On est en 1994. Dans la foulée, Mathieu Kassovitz lui confie la direction d’une partie du casting de La Haine et il continue d’apprendre son métier, notamment en tant que stagiaire mise en scène sur Un héros très discret de Jacques Audiard. Il va ensuite faire ses armes en réalisant des clips, que ce soit pour la jeune scène urbaine française (Doc Gyneco, Tonton David) ou pour des artistes caribéens comme Kassav.


De Nèg Maron à Tropiques Amers

En 2003, il retourne vivre en Guadeloupe  et y écrit son premier film. Nèg Maron (2005) est un tournant. C'est un film générationnel, lui aussi, dont les deux personnages principaux sont campés par les leaders de la nouvelle scène dancehall de la Guadeloupe : Admiral  T et D.Daly.

Mais y arriver n’a pas été facile : Jean-Claude Barny doit chercher des financements pendant 3-4 ans…« Même avec Mathieu, chef de file du nouveau cinéma français, comme soutien, ça a été dur », nous confie-t-il. Qu’à cela ne tienne, il va réussir à s’imposer dans sa discipline et surtout, à s'affirmer comme personnalité caribéenne.
Le réalisateur passe ensuite un nouveau palier avec Tropiques amers (2007). La série fait très vite office de carte de visite pour Barny. À partir de là, on va faire appel à lui pour des fictions historiques, comme Rose et le Soldat, actuellement en compétition à Luchon.

 

« Mon cinéma n’était pas qu’urbain, on s’est rendu compte que je pouvais avoir une lecture cinématographique plus universelle »

 






En octobre dernier, sur le tournage du Gang des Antillais (actuellement en post production), Claude Garnier, sa chef-opératrice sur Nèg maron, évoquait pour nous le chemin parcouru par le réalisateur :

Pour un cinéma antillais

Une question le taraude sans cesse : « pourquoi n’y a-t-il pas plus de cinéastes antillais alors qu’on a accès à autant de films? » Le cinéaste cinéphile est aussi militant. Son identité caribéenne, il la revendique. Et quand il se lance dans son premier long-métrage, les référents sont peu nombreux :

« Depuis trente ans, Christian Lara et Euzhan Palcy détiennent à eux deux le sceptre du cinéma antillais. Et là, Nèg Maron arrive…»

 






Jean-Claude Barny est bien décidé à bouleverser la donne: « Je suis antillais, il se passe des trucs en dehors de chez moi, je ne comprends pas tout, mais j’ai envie de participer à la discussion ». 
D'un point de vue cinématographique, sa volonté est d’être au plus près de sa communauté. Pour être authentique. Et pourtant, le réalisateur reconnaît ne pas parler créole, même s'il le comprend. A propos de Nèg Maron , il nous raconte :« je voulais que le film sente l’endroit où je tournais. Qu’il devienne le miroir de ce que tu vois sans essayer de le filtrer. »
 

Parallèlement, Jean-Claude Barny ne cache plus son ambition d’aller vers un cinéma plus universel, moins communautaire. C'est devenu son objectif. Il nous le confiait sur le tournage du Gang des Antillais en octobre dernier, tout en évoquant la quête identitaire du personnage principal :


Ecoutez aussi Vincent Vermignon qui nous parle de sa fierté d’être comédien pour JC Barny dans le Gang des Antillais :

Un biopic sur Fanon

En ce moment, il finalise la post production de son dernier long-métrage, Le Gang des Antillais, librement adapté du roman autobiographique de Loic Léry . La sortie est prévue à l'automne prochain, mais déjà, notre réalisateur est plongé dans un nouveau projet : un film sur Frantz Fanon.

 

« Fanon, c’est un peu comme Martin Luther King, Mandela ou Malcom X, c’est du squash. Tu lances la balle sur un mur et ça n’arrête pas de rebondir tellement les personnages sont complexes »


 







Et Jean-Claude Barny ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : il aimerait aussi réaliser un film afro aux Etats-Unis. L’homme est ambitieux, certes, mais comme il le dit lui-même, « cette ambition est née d’une analyse, pas d’une folie ». Il a compris que s’il fallait marcher dans les pas de ses pères, c’était aussi pour mieux s’en écarter …