10 coups de rame à gauche. Puis 10 coups de rame à droite. Puis de nouveau à gauche. Et encore à droite. Et ainsi de suite. Sur une mer d'un calme plat, la pirogue avance à un bon rythme. Tout le haut du corps, des bras aux abdos, est mobilisé. Le souffle devient de plus en plus court, à mesure que l'activité se prolonge. Dans la baie de Marseille, les virées se font en va'a, le nom que l'on donne à la pirogue traditionnelle polynésienne. Mais le paysage en vaut la chandelle : les deux pirogues de sortie en cette fin de journée de septembre naviguent face à un coucher de soleil majestueux.
Dans l'un des bateaux polynésiens, Éric Vanechop, un grand gaillard qui a grandi entre Toulouse et la Martinique, arbore un look de surfeur : casquette sur la tête posée sur ses cheveux bouclés, lunettes de soleil qui cache ses yeux bleus. Éric n'est pas Polynésien. Mais il en a adopté la culture. "Je m'appelle Éric Va'a-nechop", plaisante-t-il lorsqu'il se présente. Il a donné rendez-vous à une dizaine de membres de Manu Ura 13, le club qu'il a créé en 2005, au port de la Pointe Rouge, dans le sud de Marseille, pour une virée particulière dans la capitale de la Provence, qui prend alors des airs de Tahiti.
"Je suis tombé dans le va'a en 2005, grâce à un petit Tahitien qui s'est perdu à Marseille", raconte Éric, qui travaille au conseil départemental des Bouches-du-Rhône. "Une semaine après l'avoir rencontré, je faisais une course en V6 [embarcation à six places, NDLR]. En deux semaines, je me suis retrouvé dans une pirogue à faire 55 km." Depuis, il n'a plus arrêté.
"En Polynésie, la pirogue, c'est une religion. Ici, c'est un loisir"
Son club Manu Ura 13 compte entre 70 et 100 licenciés, selon les saisons. "Marseille est le spot idéal" pour faire du va'a dans l'Hexagone, explique Éric. Pour la météo, d'abord. Mais aussi parce que la deuxième ville de France compte une forte communauté venue du Pacifique, qui travaille dans le milieu des marins-pompiers et des militaires.
Ce soir-là, pas de Polynésiens, de Wallisiens ou de Calédoniens. Mais des Hexagonaux passionnés venus pour faire une démonstration de leur talent. Un d'entre eux se saisit d'une rame et nous explique comment bien ramer : "C'est le bassin qui doit tourner pour faire avancer la pirogue, pas les bras."
Sylvie, une ancienne professeure de français parisienne installée à Marseille depuis quelque temps, a enfilé sa casquette, ses lunettes de soleil, un short et un haut vert fluo. Elle s'installe à l'arrière d'une des pirogues, où elle tient le rôle de peperu, "la personne à la barre", explique-t-elle. Cette femme active a découvert le va'a lorsqu'elle enseignait à Raiatea, en Polynésie. Un de ses anciens élèves polynésiens est d'ailleurs devenu champion de pirogue. En rentrant dans l'Hexagone, elle s'est immédiatement inscrite au club d'Éric. Pourtant, ramer en va'a à Marseille est bien différent du va'a dans les lagons de Polynésie, même si le spot méditerranéen est "extraordinaire". "En Polynésie, la pirogue, c'est une religion. Ici, c'est plus un loisir", reconnaît un fin connaisseur du fenua, qui s'est essayé au va'a sur place.
C'est différent dans la pratique. À Tahiti, ils commencent [le va'a] dès qu'ils sont tout petits. C'est beaucoup par imitation, ils le font spontanément dès l'enfance. Alors que nous, dans l'Hexagone, on l'a appris à l'âge adulte. Quand on arrive à Tahiti, on ne nous explique pas ce qu'il faut faire. Avec notre culture métropolitaine, on a plus de mal à se mettre à ça. Ici, c'est plus de la technique, on est plus dans la parole technique. Là-bas, c'est plus dans le ressenti.
Sylvie, membre du club de va'a Manu Ura 13
Ce soir-là, les pirogues font plusieurs tours devant la plage du Bain des Dames, petite crique où quelques Marseillais sont venus profiter du soleil après leur journée de travail. Mais de manière générale, les excursions loisirs s'aventurent plus loin, jusque dans les calanques marseillaises, situées à 30 km de rame du port de la Pointe Rouge.
En plus des loisirs, le club d'Éric prépare les meilleurs rameurs aux compétitions de va'a. Lui a déjà participé quatre fois à la Hawaiki nui, compétition internationale qui se déroule tous les ans entre Huahine et Bora-Bora, dans l'archipel polynésien. Mais le gros rendez-vous auquel son club participe toujours, c'est le Vendée va'a, qui rassemble chaque année plus de 250 rameurs aux Sables-d'Olonne. Ils ont déjà fini troisièmes, raconte Éric Vanechop. "En général, c'est toujours une équipe semi-pro de Polynésie qui l'emporte." La première équipe européenne a la chance de décrocher des billets pour aller en Polynésie. Un rêve pour Éric, qui aimerait bien voir ses Marseillais ramer dans les eaux bleues de Tahiti.
Cet article fait partie d'une série de reportages à Marseille, où Outre-mer la 1ère s'est rendue pour y rencontrer la communauté ultramarine. Retrouvez l'ensemble des articles ici et nos vidéos sur Instagram.