À peine lancé, le loto de la biodiversité fait polémique

En partenariat avec la Française des Jeux, le gouvernement lance un loto de la biodiversité avec le jeu "Mission Nature". Mais celui-ci fait polémique.
Lancé ce lundi 23 octobre, le jeu à gratter de la Française des Jeux "Mission nature" est censé aider au financement de 20 projets de restauration de la biodiversité, dont quatre en Outre-mer. Mais les critiques pleuvent, dénonçant un risque d'addiction pour les plus jeunes ou une pure opération de communication.

"Irresponsable", "dangereux", "opération de greenwashing [technique marketing qui fait croire qu'une action est écologique alors que ce n'est qu'une façade, NDLR] "... Le nouveau loto de la biodiversité est loin de faire l'unanimité. Sur le modèle du loto du patrimoine, ce nouveau jeu s'appelle en fait "Mission nature".

Le principe ? À partir de ce lundi, la Française des Jeux (FDJ) propose à la vente des tickets à gratter à 3 € l'unité, pour un gain maximal de 30.000 €. Sur les 3 €, 43 centimes sont reversés à l'Office français de la biodiversité (OFB) qui devrait percevoir au total 6 millions € (à condition que tous les tickets soient vendus). Cette somme servira à subventionner 20 projets de restauration de la biodiversité, dont deux en Martinique et deux à Mayotte.

Si l'objectif semble a priori louable, ce nouveau dispositif est pourtant très critiqué. "On fait une confusion entre jeu d'argent et financement d'action d'intérêt général, ce n'est pas comme ça qu'on doit financer la biodiversité", a dénoncé ce lundi sur franceinfo Antoine Gatet, le président de l'association France Nature Environnement. Il rappelle par ailleurs qu'"il faut 500 à 600 millions € par an pour financer la biodiversité", loin de l'objectif de 6 millions € affiché.

La directrice adjointe de la Française des Jeux Cécile Lagé s'est défendue plus tôt dans la matinée en assurant que "le premier gagnant est le joueur et le deuxième la cause". Quant au risque d'addiction, elle a assuré que le prix et "les tickets de grattage couvrent une clientèle très large et permettent de rendre accessible une cause, et de sensibiliser le grand public". "Quand on s'adresse à une cause aussi large que celle-ci, on touche des joueurs qui n'ont pas l'habitude de jouer, et qui jouent pour contribuer individuellement à la cause", a-t-elle estimé.

Premier refus du régulateur des jeux

Toucher un public plus large en mettant en avant une cause d'intérêt général, c'est précisément ce qui inquiétait au départ l'Autorité nationale des jeux (ANJ), qui régule le secteur des jeux. Celle-ci avait d'ailleurs refusé dans un premier temps, en juillet 2022, la commercialisation de ce nouveau concept par la FDJ. À l'époque, elle avait considéré que cela risquait de "banaliser le jeu" et d'"entraîner le recrutement de nouveaux joueurs".

Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de l'ANJ, avait par ailleurs motivé ce refus lors d'une audition devant la commission des finances du Sénat quelques mois plus tard, en février 2023 :

On met en place, sur une thématique qui va attirer les jeunes – puisque la biodiversité, le développement durable, ce sont des thèmes qui intéressent beaucoup la jeunesse – une offre qui va être particulièrement addictive pour les jeunes, donc il nous paraissait qu'au-delà de l'aspect juridique, il y avait un problème de positionnement éthique qui était posé.

Isabelle Falque-Pierrotin

Devant le Sénat

Le Sénat a aussi rejeté d'un bloc la création de ce loto de la biodiversité, lorsque le gouvernement l'avait inscrit dans le projet de loi de finances 2023. Si les sénateurs, tant de droite que de gauche, comprenaient la volonté de l'OFB et d'associations de récolter un peu d'argent, ils pointaient du doigt le choix du gouvernement. L'importance de la biodiversité "mérite des ressources pérennes" et ne saurait reposer "sur un jeu de hasard", résumait la sénatrice socialiste Angèle Préville, qui dénonçait une "opération de greenwashing" de la part de l'État.

"Après être allé à la COP27, pour si peu de résultats, le Gouvernement en est réduit à proposer un jeu de hasard, alors même que le ministère de la santé et de la prévention s’efforce de lutter contre les addictions", vitupérait le Républicain Jean-François Husson pour qui ce loto était "tout bonnement irresponsable". Sa collègue Christine Lavarde allait même plus loin : "Un tel loto me semble dangereux."

Des conditions à respecter

Malgré le rejet du Sénat, le texte destiné à créer ce loto de la biodiversité était quand même passé puisqu'il était inscrit dans la loi de finances 2023 que le gouvernement a adopté via le déclenchement du 49.3. 

Autorisé par la loi, le loto de la biodiversité a néanmoins fait l'objet de plusieurs conditions par l'ANJ. Dans sa décision rendue le 22 juin 2023, face au "risque de jeu excessif ou pathologique", l'autorité régulatrice a exigé de la FDJ "la délivrance de messages purement informatifs, en s’abstenant d’établir un lien direct entre l’acte de jeu et la cause d’intérêt général poursuivie".

Elle a demandé également un bilan détaillé incluant "une estimation du nombre de joueurs recrutés répartis par tranches d’âge, [...] et d’autre part, une évaluation du risque d’addiction du jeu".