Enfant, à l’école, on la trouve trop bavarde. Et même si elle a des bonnes notes, une maitresse décide de la mettre au fond de la classe derrière des cartons avec un petit trou pour qu’elle puisse quand même suivre les cours. Elle est la seule petite fille noire. Des brimades, des remarques racistes, Amandine Gay en a subi. Mais aujourd’hui, l’enfant adoptée de la région lyonnaise a choisi de dénoncer les injustices et clame haut et fort que "la France est un pays historiquement et structurellement négrophobe".
1 Une enfant adoptée
Amandine Gay passe son enfance et adolescence dans un petit village près de Lyon. Adoptée à l’âge de 5 mois par un couple formé d’une institutrice et d’un cantonnier, elle grandit avec un grand-frère d’origine martiniquaise lui aussi adopté. Ses parents issus tous les deux du milieu ouvrier ont bien conscience que la vie d’une enfant noire dans un milieu de blancs n’est pas simple. Sa mère insiste pour qu’elle parle régulièrement avec Évariste son ami, diacre et Guadeloupéen.
Amandine Gay se met très tôt à jouer dans un club de basket. "C’est le médecin de famille qui a conseillé à ma mère de m’inscrire au basket", se souvient-elle. "J’étais grande et il avait dû comprendre que j’avais besoin de voir des personnes qui me ressemblaient plus". L’une de ses voisines, Laurine, a pour père un professionnel de basket originaire des États-Unis. Grâce à cette famille, elle découvre Washington DC et ses quartiers noirs où elle se sent bien.
Avant ce voyage, Amandine Gay avait découvert la Guadeloupe grâce à ses parents qui jugeaient bon de lui faire connaître un environnement noir. "Mais avec des parents blancs, c’était plus compliqué de passer inaperçu" dit-elle. De son côté, son grand frère fait, lui, l’expérience des contrôles au faciès et ses parents sont perdus lors de sa première arrestation, le rendant responsable. Selon Amandine Gay, cette expérience est l’illustration même des problèmes que les institutions en France posent aux enfants adoptés noirs.
2 La voix du documentaire
Après le Baccalauréat, Amandine Gay choisit de faire ses études à Sciences-Po Lyon. Elle se rêve journaliste à la manière d’Albert Londres, mais quand elle rencontre un directeur d’école venu faire une conférence, elle comprend que ce métier n’est pas fait pour elle. Il disait : "il faut obéir à son rédacteur en chef, je n’aime pas obéir. Il faut écrire pour plaire au public français. Mais qu’est-ce qui plait au public français ? Il n’a pas répondu".
Amandine Gay poursuit ses études en Australie où elle découvre un système certes libéral, mais qui lui convient bien. "Dans les sociétés capitalistes, il y a beaucoup de violence par rapport aux inégalités de classe, mais une méritocratie réelle", dit-elle dans #MaParole. Finalement, elle rentre en France et suit des cours d’art dramatique au conservatoire du 16e arrondissement. Mais très vite, face à des propositions de rôles clichés, elle imagine et écrit une série avec un personnage de femme noire sommelière lesbienne qu’elle se verrait bien jouer. Mais à chaque fois, dans les sociétés de production, on lui répète : "cette fille-là n’existe pas en France". Or elle s’était inspirée de sa propre expérience. Face aux nombreux refus essuyés, elle jette l’éponge, renonce temporairement au métier de comédienne et envisage de partir vivre au Canada.
En 2014, Amandine Gay se lance dans la réalisation d’un documentaire, Ouvrir la voix qui donne la parole à 24 femmes, des afro-descendantes de toutes origines sociales, performeuses, artistes ou ingénieures. Financée par la société de production montée avec son compagnon Enrico Bartolucci, Amandine Gay parvient à sortir son film au cinéma grâce à un financement participatif. Elle poursuit l'aventure du documentaire avec Une histoire à soi dans lequel elle donne la parole à 5 enfants adoptés.
3 Test ADN
Installée aujourd’hui au Canada, il lui semble bien plus facile d’y travailler et de lancer des projets. Afro-féministe, militante d’une adoption pensée, Amandine Gay a fini par rechercher ses origines. À 18 ans, elle avait pu récupérer son dossier et apprendre que sa mère est originaire du Maroc et son père français. Plus récemment, en 2019, elle se rend compte grâce à un test ADN que son père biologique est Martiniquais, comme son frère. Elle a pu renouer avec ses origines marocaines en se rendant à Ouarzazate et en apprenant pendant deux ans l’arabe. En 2023, elle espère enfin aller en Martinique et découvrir la terre de ses ancêtres.
Après des années à dénoncer les limites de l’adoption en France, notamment dans son essai Une poupée en chocolat (La Découverte), et à donner une voix aux femmes noires, Amandine Gay rêve de fiction. Elle aimerait réaliser une comédie romantique avec des noirs. "Un peu de légèreté, je l’ai bien méritée, dit-elle. On a le droit à la banalité. La joie noire, c’est subversif".
♦♦Amandine Gay en 5 dates ♦♦♦
►16 octobre 1984
Naissance
►1996
Voyage en Guadeloupe
►2017
Premier documentaire : Ouvrir la voix
►23 septembre 2021
Une poupée en chocolat (La Découverte)
►2021
Deuxième documentaire : Une histoire à soi