Procès de l'assassinat de Samuel Paty : le Réunionnais Louqmane Ingar reconnu coupable d'association de malfaiteurs terroriste

Palais de justice de Paris, où s'est tenu le procès de l'assassinat de Samuel Paty.
Jugé pour avoir échangé en ligne avec le terroriste qui a décapité le professeur d'histoire-géographie il y a quatre ans, le jeune étudiant en soins infirmiers a été condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis, par la cour d'assises spéciale de Paris. Il n'a pas fait appel de la décision.

Le verdict est conséquent pour Louqmane Ingar. Non par la peine dont il écope (il l'a déjà purgée lors de sa détention provisoire et est ressorti libre du tribunal). Mais plutôt par la reconnaissance de sa culpabilité dans cette affaire sordide qu'est la mort de Samuel Paty. Le 16 octobre 2020, ce professeur d'histoire-géographie s'est fait assassiner à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) par un terroriste islamiste pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo représentant le Prophète Mahomet. 

Après un mois et demi de procès, le président de la cour d'assises spéciale, Franck Zientara, a prononcé le verdict aux huit accusés, vendredi 20 décembre. Ceux qui, de près ou de loin, ont eu un rôle à jouer dans l'engrenage qui a mené à la mort de Samuel Paty sont tous jugés coupables. Le magistrat a énoncé des peines allant d'un an de prison à 16 ans de réclusion criminelle.

Entrée de la salle d'audience où se tient le procès de l'assassinat de Samuel Paty, au Palais de justice de Paris.

Dans l'impressionnant palais de justice de Paris, situé sur l'île de la Cité, la justice française a déjà condamné plusieurs terroristes qui ont marqué le pays. En 2022, par exemple, la cour a condamné à de la prison à vie le seul survivant des attentats du 13-Novembre, Salah Abdeslam. Plus récemment, elle a renvoyé derrière les barreaux le djihadiste Peter Cherif, indirectement impliqué dans les attentats contre Charlie Hebdo.

Cette fois-ci, les juges ont décidé de condamner huit personnes, qu'ils estiment coupables d'avoir, d'une manière ou d'une autre, été impliquées dans l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine : deux hommes, Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, qui ont alimenté la campagne de harcèlement en ligne contre Samuel Paty (13 et 15 ans de réclusion) ; deux hommes, Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, qui ont apporté une aide logistique à l'assassin, Abdoullakh Anzorov (16 ans de réclusion) ; et quatre personnes avec qui le jeune homme radicalisé échangeait en ligne - Yusuf Cinar (1 an), Priscilla Mangel (3 ans), Louqmane Ingar (3 ans) et Ismail Gamaev (5 ans).

Un fils modèle

Parmi ces derniers – les accusés de la "djihadosphère" comme les ont surnommés les journalistes qui ont chroniqué ce mois et demi d'audience –, se trouvait donc le jeune Réunionnais Louqmane Ingar, âgé de 22 ans. Pour avoir créé et administré un groupe Snapchat dans lequel il discutait avec Abdoullakh Anzorov et un autre homme mis en cause, Ismail Gamaev, le jeune étudiant en soins infirmiers né à Saint-Denis de La Réunion a été jugé coupable d'association de malfaiteurs terroriste par les juges.

Dessin de Louqmane Ingar, au Palais de justice de Paris.

Ce jeune homme, apparu comme un fils et un petit-fils modèle lors de ce procès, n'a pas réussi à convaincre la cour de son innocence. Il l'a pourtant martelé depuis le début de l'audience. Tout comme ses proches, qui ont fait le déplacement depuis La Réunion pour témoigner en sa faveur. "Il n’a rien avoir avec cela, monsieur le président", avait imploré sa mère, à la barre.

Comment ce jeune homme si parfait a-t-il pu se retrouver ici, sur le banc des accusés, mêlé dans cette sordide affaire ? "Je suis curieux", avait-il tenté de se justifier. La géopolitique du Moyen-Orient, l'histoire de l'islam, les guerres de religion... Louqmane Ingar avait une soif de savoir. Et c'est sur les réseaux sociaux qu'il allait chercher des réponses à ses questions.

Sur Instagram, sur Twitter, sur Snapchat, sur Telegram, le jeune adolescent a noué des liens avec des gens qu'il ne connaissait pas. Parfois, il créait même des groupes pour mettre en relation plusieurs amis virtuels et discuter de divers sujets.

Son grand-père, interrogé par une experte avant le procès, lui avait reconnu une certaine forme de naïveté dans son rapport aux réseaux sociaux. "Fais très attention à ce que tu reçois sur internet, et ce que tu transfères", l'avait prévenu son père au détour d'une conversation téléphonique juste avant son arrestation.

Libre

La famille du Réunionnais était convaincue de son innocence. "Si j'avais eu le moindre doute, le moindre soupçon de son implication dans cet assassinat, je n’aurais pas fait les 10.000 km pour témoigner à ce procès, avait lancé son grand-père à la barre, l'air sévère. Il est incapable de faire ni même d’approuver une chose pareille."

La cour d'assises spéciale a néanmoins conclu du contraire. Louqmane Ingar ne pouvait pas ne pas avoir remarqué que ses deux camarades virtuels étaient radicalisés, comme il l'a assuré lors de son interrogatoire. Il ne pouvait pas ne pas comprendre qu'Abdoullakh Anzorov s'apprêtait à passer à l'action le 16 octobre 2020. Le Réunionnais, qui n'avait que 18 ans à l'époque des faits (comme le terroriste), a tout compris le soir de l'attentat, en regardant les informations, assure-t-il.

Le parquet général avait requis trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis. Le juge a suivi ces réquisitions. Louqmane Ingar est coupable d'association de malfaiteurs terroriste dans l'affaire du meurtre de Samuel Paty. Il lui est interdit de détenir ou posséder une arme et est inéligible pendant dix ans. Il écope de trois ans de prison, dont deux avec sursis probatoire et obligation de travailler ou suivre une formation. Il avait jusqu'au soir du 30 décembre pour faire appel de sa condamnation. Ce qu'il n'a pas fait, confirme une source judiciaire.

Ayant déjà passé un an et quatre jours derrière les barreaux juste après son arrestation en 2020, sa peine est déjà purgée. Il est donc ressorti libre du palais de justice de Paris, entouré de sa famille. Avec, tout de même, le poids très symbolique d'une telle condamnation. À l'énoncé de sa peine, le président de la cour lui a demandé s'il avait compris le verdict. Louqmane Ingar lui a répondu poliment, comme depuis le début du procès : "Oui, monsieur le président".

Mise à jour du mardi 31 décembre : Louqmane Ingar a décidé de ne pas faire appel, rendant ainsi sa condamnation définitive. Quatre personnes ont interjeté appel et seront de nouveau jugées par la cour d'appel de Paris : Azim Espirkhanov, Naïm Boudaoud, Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui.