Procès de l'assassinat de Samuel Paty : à la barre, les proches du Réunionnais Louqmane Ingar clament son innocence

Entrée de la salle d'audience où se déroule le procès de l'assassinat de Samuel Paty, au Palais de justice de Paris.
Les parents et le grand-père du jeune Réunionnais jugé pour association de malfaiteurs terroriste sont venus témoigner devant la cour d'assises spéciale de Paris, jeudi 5 décembre.

Il ne fait aucun doute pour eux : Louqmane Ingar, fils et petit-fils modèle, n’a rien à voir avec la mort de Samuel Paty. Jeudi 5 décembre, un mois après le début du procès sur l’assassinat du professeur d'histoire-géographie, les proches du Réunionnais ont tour à tour défilé à la barre. En racontant son parcours, son rapport à la religion et aux réseaux sociaux, ils devaient permettre à la cour d'assises spéciale de Paris de comprendre comment ce jeune étudiant en soins infirmiers a bien pu se retrouver ici, assis sur le banc des accusés dans une affaire de terrorisme islamiste.

La veille, un policier de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) est venu détailler ce qui est reproché par le parquet au jeune homme. Louqmane Ingar, âgé de 18 ans lors de la mort brutale de Samuel Paty le 16 octobre 2020, était en lien avec le terroriste, Abdoullakh Anzorov, dans un groupe Snapchat. Sur ce réseau social prisé des adolescents, ils échangeaient des contenus djihadistes. Ils évoquaient même l'idée de partir faire le djihad en Syrie ou en Afghanistan. Pour le parquet, en confortant l’assaillant dans son idéologie, Louqmane Ingar a fait partie de l'engrenage qui a mené à la mort violente du professeur, en région parisienne, il y a quatre ans.

Pourtant, sur le banc des accusés (où il comparaît libre), c’est tout sauf un islamiste radical qui se présente devant la cour. Chemise bleu marine, pantalon noir, Louqmane Ingar lance poliment des "bonjour" aux gens qu'il croise. Il sourit gaiement avec ses avocats. L’air serein. L’air innocent.

"Je suis très fier de Louqmane"

Ses proches, venus spécialement de La Réunion, dressent un portrait très élogieux de leur fils unique (Louqmane avait un petit frère qui est décédé d’un cancer de la moelle épinière lorsqu’il avait 6 ans). Rien de nouveau comparé à l'examen de personnalité de l'accusé, dressé en début de procès il y a quelques semaines. "C’est mon seul fils, dit à la cour la mère du jeune homme, assumant pleinement son penchant maman poule. Je le protège mon fils, je le protège constamment. (...) Louqmane n’a jamais été violent. Il aime la paix, il aime l’union, il aime l’entente."

À l'image du fils, jugé pour association de malfaiteurs terroriste, la famille Ingar a tout de la famille idéale. Bien intégrée, soudée, éduquée... Même le divorce des parents n'a pas entamé l'équilibre familial. Le papa, chargé de mission au sein du Conseil départemental de La Réunion et enseignant vacataire à l'université de l'île, est grand, costard sur les épaules, cravate autour du cou, cheveux et barbe ras. À la barre, il dit l'importance qu'ont l'éducation et la transmission des valeurs humanistes dans la famille.

Proche de son fils, il s'enthousiasme de pouvoir discuter de tout avec lui. Et notamment d'histoire-géographie et de géopolitique. Sans aucun doute, son fils a réussi. Peu importe s'il se retrouve aujourd'hui impliqué dans une des plus grandes affaires de terrorisme qui a bouleversé le pays. 

En tant que père, je suis très fier de Louqmane, du parcours qu’il a accompli, de l’homme qu’il est devenu aujourd’hui.

Père de Louqmane Ingar devant la cour d'assises spéciale de Paris

Depuis son arrestation, le jeune homme a su rebondir. Après un an en détention provisoire dans une prison de la région parisienne, il a repris ses études et est aujourd'hui en deuxième année de soins infirmiers chez lui, à La Réunion. 

"Il n’a rien avoir avec cela"

Mais comment le jeune Louqmane a-t-il bien pu basculer du côté du radicalisme ? Les parents n'en savent rien. Et pourtant, ils le connaissent bien. Très apprêtée, même si elle semble dépassée par les évènements, la mère du Réunionnais prend vite ses aises à la barre. Sans s'interrompre, elle raconte dans les détails la vie de son enfant. Son parcours scolaire brillant, ses professeurs qui le louent de toutes les qualités, sa passion pour l'histoire-géographie, son appétence pour les sciences... Émue, elle relate aussi la triste mort du petit frère, qui a donné envie à Louqmane de se lancer dans la médecine "pour aider les autres", dit-elle.

"Fais très attention à ce que tu reçois sur internet, et ce que tu transfères", prévenait néanmoins le papa au détour d'une conversation téléphonique avec son fils, avant son arrestation. Car aussi curieux, sociable et intelligent soit-il, le jeune homme peut vite tomber dans la naïveté. "Je ne retiens que le positif, j'oublie le négatif", avait-il rapporté à l'enquêtrice de personnalité interrogée devant la cour début novembre. "Peut-être que c'est un défaut", reconnaissait-il.

Dessin de Louqmane Ingar, au Palais de justice de Paris.

La mère, elle, met tout sur le dos de l'innocence liée à la jeunesse. "L’enfant ne voit pas les dangers sur internet, il ne voit pas qu’il y a des extrémistes", estime-t-elle, pensant plaider la cause de son enfant. "Il n’a rien avoir avec cela, monsieur le président."

Le vivre-ensemble réunionnais

Lors des auditions, ce dernier a essayé de creuser du côté de la religion pour savoir si Louqmane Ingar avait un penchant pour la radicalité islamiste. Pas du tout, répondent ses proches. "La religion, ce n’est pas notre centre d’intérêt. On a une pratique très banale. Ce que la religion nous rapporte, ce sont les valeurs de tolérance", explique la mère.

En plus de défendre leur fils ou petit-fils, les proches de Louqmane ont longuement expliqué la spécificité réunionnaise du vivre-ensemble. À La Réunion, fruit du mélange de plusieurs peuples, les religions cohabitent paisiblement, en accord avec les idéaux républicains, chers à la famille Ingar. Là-bas, le contexte des guerres djihadistes et des attentats islamistes résonnent bien différemment que dans l'Hexagone. "On est loin de tout cela", explique la mère.

Le grand-père de l'accusé est le dernier de la famille à être monté à la barre pour témoigner en faveur de son petit-fils. L'homme, sévère, cravate autour du cou, estime que Louqmane s'est laissé emporter dans une affaire qui le dépasse. Mais c'était par pure naïveté, pas par radicalité. 

Il n’a pas été vigilant. Il a rencontré une personne qu’il n’aurait jamais dû rencontrer.

Grand-père de Louqmane Ingar devant la cour d'assises spéciale de Paris

Mais ce fervent défenseur de la République, longtemps président d'une association musulmane de l'île, croit sincèrement à l'innocence de Louqmane : "Si j'avais eu le moindre doute, le moindre soupçon de son implication dans cet assassinat, je n’aurais pas fait les 10.000 km pour témoigner à ce procès, avance-t-il. Il est incapable de faire ni même d’approuver une chose pareille."

Louqmane Ingar sera interrogé pour la première fois sur les faits qui lui sont reprochés mercredi prochain. Il tentera d'expliquer comment il en est arrivé là. Comment il s'est retrouvé assis avec les sept autres accusés jugés pour avoir eu un rôle dans la mort tragique de Samuel Paty.