Ses parents tenaient une épicerie à Papeete et poussaient leurs cinq filles à étudier. Pendant les vacances, elles devaient donner un coup de main pour faire tourner le commerce. Et à l'école, il fallait travailler. Anna-Bella Failloux, l’aînée de la fratrie, a choisi la biologie. Aujourd’hui, c’est une scientifique reconnue, directrice de l’unité Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur à Paris. En clair, une mousticologue. Anna-Bella Failloux vient de signer avec d’autres chercheurs un livre intitulé Le moustique, ennemi public numéro 1 ? aux éditions Quae.
1 Le grand bond
A quoi tient une vocation de chercheuse ? Pour Anna-Bella Failloux, c’est simple. Au lycée La Mennais à Tahiti, une professeure de biologie lui donne le goût de cette discipline exigeante. On l'appelait sœur George, une bonne sœur qui Ajoutée de Guyane. Ajoutée à cela, la volonté de réussir. A la maison, le travail, c’était la norme. "Mes parents sont des Chinois de la 3e génération qui parlent le cantonais avec pleins d'expressions tahitiennes et qui n'arrêtaient pas de travailler", précise la chercheuse
Studieuse, l’adolescente buche pour obtenir une bourse et partir étudier à Toulouse la physiologie végétale. Elle n’avait jamais pris l’avion et ne connaissait pas du tout l’Hexagone. Un grand bond. "Cette première année à l'Université Paul Sabatier de Toulouse était très importante, car si ça se passait bien, mes sœurs pouvaient ensuite me rejoindre pour étudier. Si ça se passait mal, mes parents auraient été très embêtés". L'étudiante se doit de réussir... Pas le choix.
2 La filariose
Après un DEA en physiologie végétale (l’équivalent d’un Master 2), Anna-Bella Failloux intègre l’institut Louis Malardé. Elle s’intéresse alors de près à la filariose lymphatique. Il s'agit d'une maladie causée par un ver transmis par le moustique Aedes polynesiensis. Les vers se reproduisent et grandissent dans le corps humain, limitant la circulation de la lymphe. Des personnes peuvent se trouver alors avec des jambes énormes infectées de vers, d'où l'autre nom de cette maladie : elephantiasis. Pendant six ans, Anna-Bella Failloux travaille sur la transmission de cette maladie, à l’Institut Louis Malardé et termine ses études par une thèse passée à l’université d’Orsay à ce sujet.
En 1988, Anna-Bella Failloux suit durant trois mois les cours de l’entomologiste François Rodhain à l'Institut Pasteur à Paris. Passionnée par l’étude des insectes, elle décide de recontacter le professeur pour poursuivre ses recherches avec lui en post-doctorat. En 1993, Anna-Bella Failloux quitte la Polynésie pour l'Institut Pasteur à Paris qu’elle intègre par concours trois ans plus tard. Elle s'intéresse alors aux moustiques vecteurs de la dengue, du chikungunya, du zika ou de la fièvre jaune. C'est ce que l'on appelle la transmission vectorielle. "Le moustique femelle, et non pas le mâle, pique pour son repas de sang environ 3 à 4 microlitres, précise Anna-Bella Failloux. Ce sang est nécessaire à la femelle pour assurer le développement de ses œufs. En même temps, elle prend des agents pathogènes chez l'homme, c'est là que le moustique devient vecteur de la dengue par exemple".
3 Mousticologue
Dans son laboratoire, Anna-Bella Failloux étudie les moustiques vecteurs de maladies dans tous les sens. Grâce à ses travaux, on en sait un peu plus sur ces moustiques qui transmettent des maladies. "La femelle moustique peut vivre entre deux et trois mois, précise Anna-Bella Failloux. Elle peut ingurgiter lors d'un repas de sang 1 milliard de particules virales. Sachant qu'elle pique 1 à 2 fois par semaine, on comprend que les épidémies peuvent se répandre très vite."
Avec le changement climatique, il risque d'y avoir plus d'épidémies, selon la chercheuse. "Quand la température est plus élevée et qu'il y a de l'humidité, le temps d'incubation des virus est plus rapide chez le moustique, note Anna Bella Failloux. Pour la dengue, si la température se monte aux environs de 24°, le moustique tigre met en moyenne 7 à 10 jours avant de pouvoir transmettre la maladie après son repas de sang. Si le thermomètre affiche 30°, ce délai se réduit à 5 jours". L'étude des moustiques a donc de beaux jours devant elle.
Selon l’OMS, on assiste à une multiplication des cas de dengue. Il y en avait 2 millions 4 en 2010, en 2019 on était à 5 millions 2. "Tous les moustiques seront résistants à tous les insecticides et la recherche doit anticiper ce problème", ajoute Anna-Bella Failloux. Alors pour lutter contre les moustiques vecteurs de la dengue, il faut faire preuve d’imagination. Les chercheurs n’en manquent pas. De nombreuses recherches ont porté ces dernières années sur la modification des moustiques Aedes aegypti afin de les rendre inoffensifs pour l’homme.
Certaines équipes ont eu l’idée d’introduire une bactérie dénommée Wolbachia dans les moustiques de type Aedes aegypti. À partir de 2019, en Nouvelle-Calédonie puis en Polynésie, des lâchers de moustiques porteurs de cette bactérie ont eu lieu dans le but de nuire à leur descendance. En juillet 2022, il y a eu des lâchers de mâles stériles à La Réunion. Dans #MaParole, Anna-Bella Failloux explique que la première méthode apparaît très efficace à Nouméa.
Depuis 2019, l’Institut Pasteur dispose d’un insectarium de 140 mètres carré pour l’élevage et l’étude des moustiques. C’est un laboratoire de type P3 qui nécessite le port d’une combinaison intégrale sous une température de 24° auquel il faut s’habituer. Anna-Bella Failloux qui dirige l’équipe Arbovirus et insectes vecteurs, veille sur cet insectarium, mais se rend parfois en Polynésie ou ailleurs récupérer des moustiques dans des décharges ou des trous de crabe. Des lieux pas très "glamours"! "Rien ne remplace le terrain pour un chercheur" estime la mousticologue, même si depuis le Covid, les déplacements se sont beaucoup réduits.
♦♦ Anna-Bella Failloux en 5 dates ♦♦♦
►28 avril 1963
Naissance à Papeete
►1981
Arrivée à Toulouse
►1986
Entrée à l'Institut Malardé à Tahiti
►1996
Intégration à l'Institut Pasteur
►2000
Habilitation à diriger des recherches