Sous les lustres et les ors de l’Assemblée nationale, les salons où a lieu la cérémonie sont pleins à craquer : en plus des députés ultramarins, des célébrités comme Firmine Richard, Aïssa Maïga, Joey Starr sont présents pour rendre hommage à la Martiniquaise Euzhan Palcy.
Avant même son arrivée, deux de ses distinctions internationales trônent sur une table : le Lion d’argent de la Mostra de Venise reçu en 1983 pour Rue Cases-Nègres, et l’Oscar d’honneur qui lui a été décerné en novembre dernier pour l’ensemble de sa carrière.
Promue officier de l’ordre national du Mérite en 2009 et officier de la Légion d’honneur en 2018, Euzhan Palcy a déjà reçu une pluie de récompenses, à côté desquelles cette médaille de l’Assemblée nationale, destinée à honorer des individus sur proposition des députés, semble d'une moindre importance.
"En France, c’était un peu timide"
Pourtant, Euzhan Palcy est bien présente pour la recevoir, encadrée de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et du député martiniquais Jiovanny William, à l’initiative de cette remise de médaille.
Cet hommage lui "fait chaud au cœur" et agit sur elle comme le baume d’une reconnaissance française qui lui a manqué au moment de son Oscar d’honneur en novembre 2022. "On n’en a pas tellement parlé de cet Oscar [en France], ça m’a beaucoup blessée, avoue-t-elle au micro d’Outre-mer la 1ère. La presse internationale en a beaucoup parlé, a célébré, mais en France c’était un peu timide."
Au moment de la remise, elle exprime d’ailleurs son émotion dans son discours : "C’est donc un jour particulier pour moi puisqu’il rend concrète la reconnaissance non plus de mes pairs d’où qu’elles me viennent, mais de mes concitoyens, et c’est pour moi le sens si particulier de cette médaille que je reçois aujourd’hui avec fierté."
Une icône emblématique
Elle reconnaît cependant que les prix et distinctions ne font pas tout : "J’aime bien les médailles, les reconnaissances mais ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir avoir les moyens de faire des films pour former des jeunes, pour cette nouvelle génération qui est là et qui a besoin de voir des films, de se reconnaître."
Pas certain cependant qu’Euzhan Palcy ait besoin de tourner de nouveaux films pour former des jeunes, car ses précédents longs-métrages ont déjà marqué plusieurs générations. C’est le cas de Miss Martinique 2022, Axelle René, 22 ans, présente à la cérémonie. Elle est émue de rencontrer Euzhan Palcy en chair et en os pour la première fois : "C’est une icône, une figure emblématique. Rue Cases-Nègres, on connaît toutes les répliques par cœur", assure-t-elle. Et d’ajouter : "Son discours m’a inspirée".
Celle qui a aussi été touchée par les mots d’Euzhan Palcy et qui tenait absolument à assister à cet hommage, c’est l’actrice guadeloupéenne Firmine Richard. "J’avoue que ça m’a fait monter les larmes, elle représente tellement pour nous, tellement pour la gent féminine, tellement pour les Noirs que je ne pouvais pas ne pas être là", confesse-t-elle, ravie que cette reconnaissance nationale soit rendue à la Martiniquaise : "On dit ‘mieux vaut tard que jamais’."
"Vous êtes entrée dans l’Histoire"
"Mieux vaut tard que trop tard, nuance de son côté le député martiniquais Jiovanny William, à l’initiative de cet hommage. C’est le début de la reconnaissance des grandes dames de notre histoire, et il faut arrêter d’honorer les gens lorsqu’ils ne sont plus là."
"Il faut passer par là, si on considère que c’est trop tard, on ne fera jamais rien, ajoute le parlementaire. Elle a été reconnue dans son pays la Martinique, aujourd’hui ça l’est au niveau national." Dans son discours, l'élu rappelle d’ailleurs qu’elle a été honorée entre autres en Afrique du Sud et en Grande-Bretagne.
"En tant que femme martiniquaise engagée, vous êtes entrée dans l’Histoire de France et des Outre-mer sans nous attendre et vous avez eu raison !", lance-t-il d’ailleurs à Euzhan Palcy après la remise de la médaille qui incarne selon lui "l’espoir redonné à des générations entières".
"Nos Outre-mer ne sont pas si reconnus que ça à travers le pays et à travers le monde, regrette-t-il. Cette reconnaissance est importante pour nous parce qu’elle permet au monde de voir que nous avons des fiertés : fiertés martiniquaises, fiertés des Outre-mer. Et c’est utile et important pour la jeunesse."
"Elle fait partie des mythes"
Si l’on comprend que pour Jiovanny William comme pour la présidente de l’Assemblée nationale, "c‘est une évidence" de rendre hommage à la Martiniquaise pour son "parcours exceptionnel", chacun insiste sur des aspects différents : à Jiovanny William, la question des racines ; à Yaël Braun-Pivet, celle de la place des femmes.
"La France a parfois la fâcheuse tendance à négliger ses talents et notamment lorsque ce sont des femmes", déclare-t-elle ainsi en préambule de son discours, avant de rappeler pourquoi Euzhan Palcy compte "parmi les pionnières du cinéma au féminin". Première artiste noire à recevoir un César, seule réalisatrice à avoir dirigé Marlon Brando, elle incarne pour la présidente de l’Assemblée nationale "l’excellence du cinéma français".
D’où cette médaille qui est, aux yeux de Yaël Braun-Pivet, "surtout une marque de reconnaissance de la représentation nationale" envers Euzhan Palcy, cette "inventeuse d’âmes". "C’est une femme au parcours absolument extraordinaire, très talentueuse, qui fait partie des mythes, ajoute-t-elle après la cérémonie. Sa réussite, elle ne la doit qu’à son intelligence et à son travail."
La présidente de l’Assemblée nationale se sent d’ailleurs proche d’une certaine façon de la cinéaste car celle-ci évolue "dans un monde plutôt d’hommes" avec ses films, tout comme elle évolue dans le milieu masculin qu’est la politique.
Euzhan Palcy ne se présente pourtant pas comme une militante féministe mais comme une passionnée de cinéma qui "crée pour la diversité et plus précisément la diversité en France", rappelle-t-elle avant de conclure sur un message d’amour : "Nous ne sommes que de fragiles passagers sur cette Terre. Donc vivons bien, essayons de travailler ensemble et de nous aimer."