Le dialogue de sourds entre le ministère des Outre-mer, et plus largement le pouvoir exécutif central, et certains de nos élus, va-t-il durer encore longtemps ? Les exemples abondent de ces rendez-vous manqués, incompréhensions et malentendus.
Ceci n’est pas nouveau. Plusieurs de nos anciens chefs politiques ont souvent parlé dans le vide ou ont été astreints à une opposition solitaire. Roch Pidjot, député indépendantiste de Nouvelle-Calédonie (de 1964 à 1986), Justin Catayée, député autonomiste de Guyane (de 1958 à 1962), Henri Bangou, sénateur communiste de Guadeloupe (de 1986 à 1995), Paul Vergès, sénateur communiste de La Réunion (de 1996 à 2005), Aimé Césaire, député autonomiste de Martinique (1945 à 1993), ont connu ces moments.
Aujourd’hui, nul ne peut se plaindre de l’impossibilité de discuter avec le gouvernement. Toutefois, la doctrine de sa politique pour nos territoires périphériques demeure mal perçue. La dernière illustration de cette ambiguïté permanente est le bilan d’étape de l’application des décisions prises lors du comité interministériel de l’Outre-mer, le désormais célèbre CIOM, en juillet 2023.
Des mesures pratiques sans portée lointaine
Cette liste de 72 mesures rendues publiques par la Première ministre tient lieu de feuille de route au gouvernement d’Elisabeth Borne. La série de rencontres, les 23 et 24 novembre 2023 au ministère, a permis de mesurer le chemin restant à parcourir pour atteindre l’objectif poursuivi: l’amélioration concrète de la vie des citoyens des Outre-mer.
"Dix mesures sont déjà effectives et quinze sont en cours de finalisation concernant tous les domaines de la vie pratique des habitants, parmi les 72 mesures qui avaient été présentées", s'est félicité le ministre, Philippe Vigier.
Or, le compte n’y est pas, selon plusieurs élus invités à ces réunions. Les observations critiques de plusieurs présidents de collectivités et de parlementaires de Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélémy, Saint-Martin, Guadeloupe, Guyane et Martinique portent sur la faible portée des améliorations recherchées.
Une méthode contestée par plusieurs exécutifs
D’autres critiques portent sur la méthode choisie par le gouvernement. Le courrier du président du conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique, Serge Letchimy, a été signé par sept de ses homologues. Ils dénoncent "un leurre de débat et un procédé de discussion infantilisant". Le dirigeant martiniquais a choisi la politique de la chaise vide.
Le ministre a ironisé sur le fait qu’il était représenté par le directeur général des services de la collectivité.
En revanche, les autres présidents se sont rendus aux rencontres bilatérales. Certains ont tenu à exprimer au ministre leurs quatre vérités.
C’est le cas des élus guyanais - tous n’étant pas présents - qui confient avoir vécu « des échanges tendus et houleux » avec le ministre. Leurs sujets de préoccupation, l’autonomie et l’éradication de l’orpaillage illégal, n'étaient pas à l'ordre du jour.
Un rendez-vous raté ?
Les 72 mesures ne sont que des " réformettes" pour le député Jean-Victor Castor. Il est de ceux qui considèrent la feuille de route du CIOM comme un catalogue de mesures ponctuelles, certes concrètes et bienvenues, mais pas le plan attendu de modernisation du modèle économique et du cadre juridique en vigueur dans nos territoires.
Du reste, la Première ministre a expliqué à plusieurs reprises que ce document a pour objet de répondre aux préoccupations quotidiennes des habitants de nos pays. Pas moins, le gouvernement ne pouvant pas se résigner à laisser prospérer la pauvreté et le manque de perspectives dans nos pays.
Mais pas plus, le gouvernement n’ayant pas encore trouvé le moyen de donner à nos territoires une place et un rôle bien définis au sein de la république. D’où cette impression de dialogue de sourds entre le pouvoir central et certains de nos politiques. Jusqu’à quand ?
Les 10 mesures effectives présentées au bilan d’étape
- - Soutien à la création d’investissements destinés à stimuler la croissance des PME.
- - Mise en œuvre d’un programme "Accélérateurs petites entreprises" dans chaque bassin.
- - Accompagnement des plans de souveraineté alimentaire des territoires.
- - Donner aux agriculteurs les moyens de protection adaptés contre les organismes nuisibles.
- - Augmentation de l’aide à l’amélioration de logement de l’ANAH pour les propriétaires modestes.
- - Renforcement des leviers d’action pour l’aménagement urbain du Fonds régional d’aménagement foncier et urbain (FRAFU).
- - Réforme de la politique de continuité territoriale et de LADOM.
- - Augmentation des bourses étudiantes.
- - Mise en cohérence de l’appréciation du centre des intérêts matériels et moreaux des fonctionnaires de l’État.
- - Adapter le dispositif du Zéro artificialisation nette aux enjeux des Outre-mer.