Disparue le 16 février 1985, la Martiniquaise Paulette Nardal est une journaliste, écrivaine, activiste, professeure d’anglais, marraine de la Négritude et même musicienne, qui est vue aujourd’hui comme une figure majeure de la cause des personnes noires en France et dans le monde.
Redécouverte dans les années 2000, elle est désormais réhabilitée comme une figure majeure de la pensée "noire" française, et comme une passeuse essentielle au sein de la diaspora afro-descendante.
Cependant, Paulette Nardal est encore très méconnue du grand public, contrairement à d’autres artistes de l’époque comme Joséphine Baker, dont la vie est continuellement documentée par de nouveaux livres ou saluée lors de célébrations publiques. À l’instar de l’histoire de Suzanne Roussi Césaire ou de Jane Léro, celle de Paulette Nardal tarde à être mise en lumière en France.
Lors de l’inauguration de la place Jane et Paulette Nardal, au mois d’août 2019, Anne Hidalgo avait annoncé vouloir soutenir l’entrée de la femme de lettres au Panthéon.
A l'occasion des 125 ans de sa naissance le 12 octobre 2021 de nombreux quotidiens nationaux lui ont consacré des articles et le moteur de recherche Google lui a consacré un doodle signé Jessica Coppet.
Aux origines : la famille Nardal
Née le 12 octobre 1896 en Martinique, Paulette Nardal est l’ainée d’une famille de sept sœurs. Issue d’un milieu bourgeois, elle est la fille de Paul Nardal, dont les parents avaient été esclaves et qui fut le premier Martiniquais noir ingénieur des ponts et chaussées, et de Louise Achille, institutrice et professeure de piano.
Elle est élevée dans l’admiration des grandes œuvres de la culture classique occidentale, mais également dans la fierté d’être noire, contre les stéréotypes de l’époque en Martinique. Dans les années 20, les inégalités sociales sont entretenues par de riches usiniers qui exploitent une partie de la population. C'est l'une des raisons qui pousse l'ainée des soeurs Nardal à quitter son île natale.
La vie parisienne
Après être devenue institutrice, elle part étudier à Paris. Elle est alors la première femme noire inscrite à La Sorbonne, où elle étudie l’anglais et consacre son mémoire de fin d’études à Harriet Beecher Stowe, abolitionniste convaincue et auteure de La case de l’Oncle Tom.
Cette jeune fille d'une vingtaine d'années arrive à Paris, et là elle découvre un univers qu'elle ne soupçonnait pas : l'univers des noirs. D'abord les francophones, des Haïtiens, des Guadeloupéens et puis surtout les noirs américains.
En arrivant dans ce Paris où René Maran est en 1921 le premier auteur noir à recevoir le prix Goncourt et où bientôt Joséphine Baker va électriser la capitale, elle se dit "heureuse et fière de voir comment les occidentaux, les Parisiens, les Français pouvaient vibrer devant ces productions noires".
Avec ses sœurs Jane et Anne, elle anime un salon littéraire au 7 rue Hébert à Clamart, dans le sud de Paris, pour promouvoir "l'internationalisme noir".
Elle s'arrangeait pour donner la parole aux uns et aux autres de manière à ce qu'il y ait un échange très normal entre tout le monde. C'était très sympathique et très volontaire. C'est pourquoi le salon des Nardal était très fréquenté et très demandé par le gens de couleurs.
Toute la diaspora afro-descendante passant par Paris s’y croise : des Français issus de Guadeloupe, Guyane et Martinique comme Félix Eboué, René Maran, René Ménil ou Louis-Thomas Achille (son cousin), des Africains issus des nouvelles colonies françaises comme Léopold Sédar Senghor, et des Africains-Américains comme Langston Hughes et Claude Mac Kay dont Paulette Nardal parle la langue et avec qui elle correspond.
A l'époque les gens étaient très portés par la poésie, ils vont déclamer leurs poèmes. Les filles Nardal sont toutes des musiciennes, elles ont des copains et copines qui le sont aussi. Elle a un piano...Donc on se met au piano… C'est une ambiance très intellectuelle et culturelle. Et voilà comment elle participe à cette vie intellectuelle tout en faisant découvrir à ces jeunes compatriotes le monde noir et l'Afrique.
En 1931, après avoir donné une dizaine de papiers au périodique parisien La Dépêche Africaine, l’organe du Comité de Défense des Intérêts de la Race Noire (CDIRN), elle crée avec le médecin d’origine haïtienne Léo Sajous "La Revue du monde noir", une revue bilingue français / anglais qui est le prolongement naturel de son salon, et qui ouvre ses colonnes à la Harlem Renaissance autant qu’aux premiers textes d’auteurs venus des colonies. En six numéros, la revue propose des poèmes, des revues de presse, des articles d’actualité et réflexions sur la place des Noirs dans le monde et dans la société coloniale, dont les textes de Paulette elle-même où elle évoque l’importance de redonner aux Noirs leur fierté ou l’expérience des femmes noires en métropole.
En 1935, elle se mobilise contre l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie.
Elle a fait des conférences de par le monde contre l'agression de l'Ethiopie. Elle s'est mobilisée pour l'Ethiopie sans doute parce que cela faisait partie de son cercle de pensée.
La même année, elle est la seule femme à signer un article dans L’Etudiant Noir, aux côtés des jeunes Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, alors en pleine invention du concept de Négritude.
Théoricienne pionnière d’une conscience noire française, elle sera pourtant effacée de l’histoire du mouvement, même si ses fondateurs lui rendirent quelques hommages discrets - Césaire en faisant apposer son nom sur une place de Fort-de-France, Senghor qui écrira "Elle nous conseillait dans notre combat pour la résurrection de la négritude".
Blessée pendant la deuxième guerre mondiale
Durant la 2ème guerre mondiale elle est gravement blessée en tentant de franchir l’Atlantique.
Lors d'un de ses voyages à la Martinique pour les vacances, le bateau "le Bretagne" qui l'a ramène en France est torpillé.
Elle sera gravement blessée, elle aura la rotule cassée. Elle va être sauvée de la noyade par un martiniquais, Monsieur Nicanor. Elle va rester sans soin très longtemps. Lorsqu'on va la prendre en charge, elle sera hospitalisée en Grande-Bretagne.
Elle garde d'importantes séquelles de cet épisode qui la laisse infirme. En 1944, elle part à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale travailler aux Nations unies, à New York où elle représente les Antilles, mais son handicap la contraint au retour, définitif cette fois, à la Martinique.
Retour sur l'île aux fleurs
Suite à l'ordonnance du 21 avril 1944 qui accorde le droit de vote aux femmes, Paulette Nardal s’engage en politique et créé le "Rassemblement Féminin" en 1945. Elle souhaite par cette initiative inciter les femmes martiniquaises à exercer ce nouveau droit et à aller voter le 20 avril 1945. Elle créé le journal "La femme dans la cité".
Engagements musicaux
Elle se consacre à la promotion de la musique, sur laquelle elle a toujours beaucoup écrit, dans la ligne de WEB DuBois, en animant une chorale et en popularisant l’art des Negro Spirituals en Martinique.
Lorsqu'elle est revenue à la Martinique, elle a réuni des jeunes de l'AGEC (L'Association de Gestion de l'Enseignement Catholique) et elle leur a apporté ce mode culturel que nous ne connaissions pas du tout : le negro spiritual.
Elle rédige aussi un historique de la tradition musicale des campagnes martiniquaises. Le Bèlè, le Ladjia doivent retrouver leur place dans la musique antillaise. Elle est la tante de la cantatrice Christiane Eda-Pierre.
Sans le dire à haute voix, sans le clamer à tout bout de champ, on sentait bien qu'elle disait à chacun d'entre nous : soyez fiers de ce que vous êtes, vous représentez quelque chose, vous n'avez pas de complexe à faire vis-à-vis d'une personne qui n'a pas la même couleur de peau que vous, mais elle disait de temps à autre une chose qui nous a tous marqué : Black is beautiful !
Elle disparaît à 89 ans, en 1985, après avoir traversé tout le siècle en femme libre et engagée.
Partons à la découverte de Paulette Nardal avec le magazine "Pays Martinique" réalisé par Jannick Dulio diffusé en 2009 :