Armistice 1918 : Vesles-et-Caumont, la der des ders pour le Bataillon Mixte du Pacifique

le BMP à Nouméa
25 octobre et 11 novembre sont liés à Vesles-et-Caumont dans l’Aisne. 16 jours avant l’armistice de 1918, les hommes du Bataillon Mixte du Pacifique, prennent d'assaut le village. 48 meurent dans ce combat intense, prenant les Allemands à leur propre piège en traversant le marais.
 
Pourquoi ce petit village est devenu stratégique dans cette guerre de mouvement enclenchée par Foch ? Il s’agissait pour la dixième armée française du Général Mangin de contourner ou d’enfoncer les lignes allemandes autour de la ligne Hindenburg, mais ceux-ci avaient dressé des points très fortifiés comme c’était le cas entre Vesles-et-Caumont et Pierrepont. Et surtout le marais de la réserve naturelle proposait une défense infranchissable, comme un piège, du moins le pensaient-ils. Plusieurs fois la 72è Division d’Infanterie française avait échoué face aux Allemands du 138è Régiment d’Infanterie du Bade Wurtemberg. Le 22 octobre 1918, la 72è DI ne parvient pas à traverser la Souche et le 365è Régiment d’Infanterie est refoulé devant Pierrepont, il ne restait qu’une solution, percer plein centre, ce sera la mission du BMP *

 

Passer la rivière Souche de nuit

D’abord il faut passer, sur une zone de près de deux kilomètres. Classé réserve naturelle, le marais de Vesles et Caumont s’est reboisé depuis 1918. Mais le paysage actuel laisse penser ce que la traversée de nuit a pu être pour ces hommes. Franchir d’abord un obstacle naturel, pas simple. 
Le marais, par lequel ils sont passés...

" De tous temps les marais ont servi de barrières naturelles contre les invasions, c’est pour cela que les Allemands ont inondé le marais, de Sissonne à Vesles sur une ligne de vingt kilomètres. Ils ne s’attendaient pas à ce que des soldats soient capables de franchir cet obstacle naturel, avec tout leur barda. A l’époque, ils étaient à découvert, et le niveau d’eau était plus haut que maintenant",  témoigne Sébastien Lécuyer, conservateur de la réserve naturel du marais de Vesles-et-Caumont.

Le 24 octobre les salves d’artillerie pilonnent pour créer des brèches. Les hommes du BMP sous les ordres du commandant Gondy, ont pour mission de prendre Pierrepont et refouler l’ennemi, en passant d’abord par Vesles-et- Caumont, puis les positions des côtes 79 et 65 tenues par les grenadiers Allemands.
 

Près de 1000 hommes dans une tourbière où le sol est très peu stable, sans véritable azimut et de nuit c’était plutôt dangereux. Ils étaient de plus sans repères.

Sébastien Lécuyer, Conservateur réserve naturelle du marais de Vesles-et-Caumont

 

Les hommes du BMP vont donc progresser sur plus de 1500 mètres, pendant environ deux heures de traversée pour tout le Bataillon. Impressionnant car il n’y avait pas de pont, mais ils ont trouvé une solution incroyable et imparable.
 
Les tirailleurs kanak
 

Le pont humain

Dans la nuit du 25 octobre ces militaires passent d'abord le canal de la Souche puis la rivière du même nom en partant à trois heures du matin de la ferme de Savy, leur lieu de rassemblement." Ils étaient en permanence trempés, fatigués avec des tenues très légères avec leur sac Bergan sur le dos, et pourtant ils ont fait quelque chose d’extraordinaire qu’un appelle un pont humain. N’ayant pas de point de franchissement, ils ont mis d’abord dans l’eau les plus les plus costauds, pour la plupart les Polynésiens comme Raiarii Salmon. Ceux-ci avec leur corpulence posaient les fondations, et les autres ont pu passer sur les épaules. Les Tahitiens ont fait traverser tout le bataillon", rappelle l’adjudant-chef Manuka.

 

Un militaire avance aux ordres et ne fatigue ou pas, il doit accomplir la mission 

Adjudant-Chef Manuka, Xv du Pacifique

 
Les volontaires Polynésiens du BMP

Les derniers qui sont passés étaient tassés avec la vase, ils se sont faits aidés par leurs camarades pour rejoindre la berge. Sur ce que l'on sait près de 1000 hommes ont traversé le marais, sans subir de perte.
 

L’assaut du village

En pleine nuit, Kanak, Polynésiens et Caldoches arrivent donc aux abords du village sans que les Allemands s’en aperçoivent. A 5 h 50 l’assaut est donné, avec un barrage roulant de l’artillerie, avançant de cent mètres toutes les trois minutes pour permettre aux compagnies d'infanterie du BMP de progresser. Mais de nombreux obstacles restent à franchir. La mort fauche, à coup de balles de mitrailleuses MG 08-15, elle vient d'en haut, du clocher de l'église.

Le grand père de Paculi Sipa est le premier héros de la bataille. Il va neutraliser avec trois autres soldats la mitrailleuse positionnée dans le toit de l’église et dont les servants ont les troupes françaises en ligne de mire depuis un point haut. " Mon grand-père Youniane Sipa était un gars de la tribu de Netche, du district de Guahma, il n’était jamais venu en France, je pense qu’il était un peu casse-cou à cette époque-là, mais je ne sais pas si je ferais le même geste maintenant. Peut être que cette nuit-là, le bon Dieu était de son côté et que le Seigneur lui dit +Va prendre cette arme qui est en train de détruire tous tes amis et toute ta compagnie+ " raconte Patchouli, ému avec son  béret rouge d’ancien parachutiste vissé sur la tête.
Le Calédonien a effectué 6 missions au Liban. Lors de l'attentat du Drakkar à Beyrouth, où en 1983 un immeuble entier avait explosé tuant 58 soldats français (ses frères parachutistes du 1er RCP), Paculi était en poste à la résidence du général commandant la force multinationale, à quatre kilomètres de là. Il a vu la mort de près, mettant en cercueil un jeune militaire Polynésien, et s'occupant des autres victimes.
 

« J’ai été militaire pendant trente ans, ce que mon grand-père a fait est énorme pour ses camarades, pour sa compagnie, pour la France. Je suis fier de ce qu’il a fait, je l’aime mon papy. »

Paculi Sipa, ancien Adjudant-chef parachutiste du 12è RPCS



Mais paradoxe, il a dû attendre longtemps avant de connaitre l'exploit de son grand-père. "On n’en parlait pas trop car chez nous en Nouvelle-Calédonie dans les tribus, le palabre se fait d’âge égal, les vieux parlent avec les vieux, les enfants avec les enfants. On ne peut pas transiger cette règle. Je n’ai pas tout de suite entendu des informations sur son exploit, " poursuit Paculi.
 
Les ruines de l 'église après le combat

A 9 h le village est pris, mais les Allemands défendent leurs positions un peu plus hautes et arrosent de tirs nourris la place devant l’église, la grande rue et la rue du Petit-Caumont. Les troupes françaises sont juste dans l’axe des tirs allemands et de nombreux morts sont à déplorer. Alors plus de surprise, cette fois l’assaut est lancé au clairon par le Polynésien Jean René Tiare de Tautira. Le BMP enlève à la baïonnette la ferme du Petit-Caumont. 

Tandis que de l’autre côté, le caporal Charles Maraetefau Temauri à la tête de sa demi-section attaque et réduit un nid de mitrailleuse en position au sud-est de l’entrée du village. Il faudra plusieurs heures pour que les gars du BMP atteignent le ferme du Petit-Caumont, à quelques centaines de mètres de là, ils finissent la mission à la baïonnette. L’objectif est atteint, ils continuent jusqu’à la côte 89, les Allemands sont pris en tenaille. Les Français font 50 prisonniers et prennent trente mitrailleuses lourdes. Le BMP sera cité à l’ordre de la 10è armée, Mais il aura payé le prix fort, celui du sacrifice.
 
Le cimetière provisoire après la bataille

48 soldats sont tués lors de l’assaut. Sur le monument aux morts de la petite commune, il y a plus de noms d’hommes venant des iles du Pacifique, que d’hommes de Vesles-et-Caumont tués pendant le conflit. Le corps de Kalepo Wabete, le tirailleur kanak qui reposait à Guise, est retourné sur son île de Tiga en 2018, pour les 100 ans de l’armistice. Un évènement assez rare encore de nos jours. Beaucoup d’autres dorment d’un repos éternel sur la terre de France à Guise, Villers-Cotterêts ou Soupir.
A Guise, Manuka et Paculi viennent saluer leurs anciens qui reposent symboliquement dans le même carré avec d’autres hommes qui se sont battus les uns contre les autres, Français, Anglais, Allemands.
" Vesles-et-Caumont c’était finalement nécessaire pour chasser l’ennemi, les repousser au-delà de cette ligne rouge vers le nord de la France, personne ne voulait rien lâcher. 48 morts c’est énorme en l’espace de 24 heures," déclare Manuka très ému.
 

Même s'ils ne connaissaient pas le pays, c’était important pour eux de venir ici, quitte à aller jusqu’au sacrifice suprême. Ça avait un sens pour ces hommes

Adjudant-Chef Manuka, Xv du Pacifique

 

Avec le recul, Vesle-et-Caumont devient un sanctuaire, connu de tous désormais. Une petite commune de l’Aisne dont le nom est associé à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie et au Vanuatu. Le BMP sera dissout en 1919, plus de 300 hommes ne reviendront pas au pays. 
" Lorsque les plus jeunes viendront ici en Métropole, ils pourront faire un pèlerinage en mémoire de leurs anciens, de nos vieux qui ont donné leur sang pour la France et se sont portés volontaires pour défendre la mère patrie, le drapeau, la France " concluera le militaire Wallisien.
 
La plaque du monument aux morts de Vesles-et-Caumont avec les noms des 48 héros du BMP tombés le 25 octobre

 Chaque année à la fin octobre, au bas du village, lorsque de la souche et des marécages qui le bordent s’élève le brouillard des petits matins, les anciens évoquent le souvenir et l’écho assourdi des clairons du Bataillon du Pacifique. Ils sonnaient l’attaque sous le claquement des mitrailleuses mais aussi des chants nostalgiques des soldats du Pacifique qui les ont délivrés.


*Arrivés pour la plupart d’entre eux avec le Gange en 1916 dans le sud de la France, ces hommes forment un contingent composé de tirailleurs, de volontaires Kanak et de Polynésiens originaires des Établissements Français de l’Océanie, habitant ou non à Nouméa, d’où le nom de "mixte". Leur fanion est symbolisé par une rousette. Bataillon des Tirailleurs Kanak à l'origine, il deviendra le Bataillon Mixte du Pacifique, puis en avril 1917 devient le Bataillon de Marche du Pacifique.
Ces soldats combattront dans l'Aisne, en Champagne et dans l'Oise, certains même sur le front d'Orient. Engagés sur le Chemin des Dames en 1917, utilisés comme lanceurs de grenade ou brancardiers car ils n'ont peur de rien, 38 d'entre eux tomberont au champ d'honneur, notamment lors de la bataille de Cerny en Laonnois. Les hommes du BMP sont renvoyés au front en Juillet 1918. Engagés à Cuise-Lamotte puis près de Soissons, ils subissent de nouvelles pertes (21 tués). Mais Vesles-et-Caumont va rester leur fait d’arme héroïque de la première guerre Mondiale. 


Regardez le reportage d'Outre-mer la 1ère :