Au festival d’Angoulême, la BD réunionnaise expose ses 175 ans d’histoire

L'exposition (dont voici l'affiche à gauche) présente la première BD attestée de l'île, "La Lanterne magique", dessinée par Adolphe Martial Potémont et imprimée par Antoine Roussin (extrait à droite de l'image).
À l’occasion du 50e anniversaire du festival de la BD d’Angoulême, l’Outre-mer est à l’honneur du 26 au 29 janvier au sein d’une exposition intitulée "175 ans de BD à La Réunion". Les premières planches attestées sur l’île remontent en effet à 1848.

Un dessin de trois esclaves assis sur le sol et enchaînés, et en dessous ce texte : "Les propriétaires de cette localité font le plus grand éloge de leurs noirs qui n’ont pas quitté leurs habitations." Cette illustration acerbe et satirique date de 1848 et fait partie d’un ensemble de planches qui est la première bande dessinée de La Réunion qui nous est parvenue.

Réalisée par Adolphe Martial Potémont et imprimée par Antoine Roussin, elle est publiée seulement une vingtaine d’années après la publication de brouillon et d’une bande dessinée créée par un Suisse, Rodolphe Töpffer.

"C’est assez incroyable, souligne Jean-Luc Schneider, fondateur de la maison d'édition réunionnaise Des Bulles dans l'Océan. À quelque 10.000 km de [la Suisse], un Réunionnais a eu quelques années après […] la même démarche sans concertation aucune, car à l’époque il n’y avait pas Internet, il n’y avait pas d’avion, pas de télévision."

"Notre territoire peut s’enorgueillir d’avoir une histoire au moins aussi riche que celle de la bande dessinée dans le temps et dans l’espace", assure-t-il.

Un regard critique et acerbe

C’est en partie pour cette raison que, avec l’association Cyclone BD dont il est le président, il a lancé il y a plusieurs années un projet pour mettre en avant le 9e art de l’Océan Indien. Un projet qui se concrétise aujourd’hui par l’exposition "175 ans de BD de La Réunion" présentée à l’occasion des 50 ans du festival international de la BD d’Angoulême.

Parmi les trois commissaires d’exposition, Christophe Cassiau-Haurie, conservateur général des bibliothèques et spécialiste reconnu en matière de bande dessinée d’Afrique, de l’Océan Indien et de l’Outre-mer français.

S’il est difficile de connaître exactement les raisons de l’émergence de ces histoires dessinées à La Réunion, il note deux aspects majeurs : "Un fort essor de l’imprimerie au milieu du XIXe siècle sur l’île" d’une part ; et avec l’abolition de l’esclavage décrétée en 1848 d’autre part, "il y avait beaucoup de matière à faire de l’humour, un regard critique et acerbe sur la situation".

On retrouve cette représentation satirique une quinzaine d’années après : "Roussin, qui avait imprimé Potémont, fait paraître une seconde BD qui s’intitule Voyage de M. Chose dans la mer des Indes. Ce sont les découvertes d’une sorte de colon qui s’appelait M. Chose qui partait découvrir le monde."

En 1862, l'imprimeur réunionnais Antoine Roussin publiera tout seul "Voyage de M. Chose dans la mer des Indes" dans la revue locale La Semaine.

La BD ultramarine méconnue 

Mais ces auteurs et imprimeurs n’ayant pas de relève, il faudra attendre un siècle et le développement de la presse et des revues jeunesse sur l’île pour assister à une nouvelle naissance de la BD dans les années 1960 et 1970 avec Gaspard, Guétali, La Buse

Ces planches exceptionnelles, anciennes et moins anciennes, sont présentées aux côtés d’œuvres très récentes. "Pour nous, c'est une façon de montrer la richesse et la diversité de notre territoire en matière de créativité et de bande dessinée", explique Jean-Luc Schneider.

"Malgré, depuis quelques années, l’émergence d’auteurs qui ont signé dans des grandes maisons d’édition […], il y a encore un déficit pour faire connaitre nos talents, on a un déficit de communication, regrette-t-il. On connaît très mal la BD ultramarine et surtout celle de l’Océan Indien et de La Réunion."

Un creuset de création

Parmi les 42 talents actuels réunis en dédicace à Angoulême, Natacha Eloy, autre commissaire de l’exposition et membre de la maison d’édition réunionnaise le Cri du Margouillat. Pour elle, "c’est un privilège et une grande chance" de faire partie cette année du festival, mais c’est aussi une manière de montrer que La Réunion est un creuset de création important.

"Il y a des grands auteurs, certains ont percé en métropole, il y a des maisons d’édition très présentes comme les Bulles dans l’Océan, le Cri du Margouillat, Epsilon et Orphie, liste-t-elle. Nous ne sommes pas perdus au fond de l’Océan Indien."

Couvertures des premiers numéros du fanzine réunionnais "Le Cri du Margouillat"

C’est d’ailleurs parce que le 9e art sur l’île est dynamique que cette mise à l’honneur cette année est quelque peu méritée pour Christophe Cassiau-Haurie.

"Le festival d’Angoulême, c’est la Mecque de la BD, rappelle-t-il. Chaque année, il y a des expos qui mettent en valeur différentes parties du territoire en Europe et dans le monde, et on a trouvé qu’avec environ 500 albums cumulés et près d'une centaine d’auteurs publiés sur place au cours des 30 ou 40 dernières années, il était temps pour le 50e anniversaire du festival de mettre un coup de projecteur sur La Réunion."

Un coup de projecteur qui se doublera peut-être d’un prix : Appollo, scénariste réunionnais, est nominé dans la sélection officielle pour T’Zée, une tragédie africaine (illustrations : Brüno, aux éd. Dagard).

 

Infos pratiques

  • Exposition "175 ans de BD à La Réunion"
  • Gratuite
  • Du 26 au 29 janvier 2023
  • Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême.