Le 7 avril 1803, dans le froid du Fort-de-Joux, situé dans le Jura, un homme est mort. Il s'appelait Toussaint Louverture. Né esclave en 1743 dans une plantation de Saint-Domingue, ancienne colonie française, il est affranchi en 1776 et parvient à gravir les échelons de la société, jusqu'à devenir général d'une armée composée exclusivement d'esclaves libérés. Mais avec l'arrivée de Napoléon au pouvoir à la fin du XVIIIᵉ siècle, Toussaint Louverture se rebelle et lance une insurrection. Le Premier consul Bonaparte envoie l'armée pour le renverser. Il est arrêté puis déporté dans l'Hexagone, où il finit ses jours. Loin de son île. Loin de son combat pour la liberté.
220 ans plus tard, élus, artistes et ambassadeurs se sont retrouvés dans l'immense enceinte du Panthéon, à Paris, pour raviver sa mémoire. "Aujourd'hui, cette cérémonie est une forme de réparation pour la mémoire de Toussaint Louverture, qui a cru aux idéaux de la Révolution française, qui a cru au message de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, et auquel on a ôté la vie", raconte Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, à l'origine de cette commémoration.
Une figure révolutionnaire tombée dans l'oubli
Une poignée d'officiels, parmi lesquels Jean-Marc Ayrault, Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale, Isabelle Rome, ministre de l'Égalité et de la Diversité, Roger Karoutchi, vice-président du Sénat, Anne-Louise Mesadieu, conseillère régionale d'Île-de-France et Jean Josué Pierre Dahomey, ambassadeur d'Haïti en France, ont déposé une gerbe près de l'inscription en l'honneur du général Louverture, dans la crypte du Panthéon. "Toussaint Louverture, c'est à la fois le père et le repère des idéaux de la Révolution française et haïtienne", explique l'ambassadeur haïtien. "Mais en France, son histoire n'est pas très connue", regrette-t-il.
En marquant le 220ᵉ anniversaire de sa mort, la Fondation pour la mémoire de l'esclavage a voulu remettre les pendules de l'histoire à l'heure et rappeler le rôle qu'a joué Toussaint Louverture dans l'abolition de l'esclavage. C'était un "précurseur", disent tous les interlocuteurs rencontrés lors de la soirée. Et pourtant, nous l'avons oublié.
Venue à la place de la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse, Anne-Louise Mesadieu, originaire d'Haïti, se réjouit de voir autant de monde pour commémorer le héros de Saint-Domingue. "C'est important pour le peuple haïtien, pour le peuple français, mais aussi pour la transmission auprès des jeunes", dit-elle.
La révolution haïtienne n'est pas enseignée aux élèves
Ce vendredi soir, au Panthéon, la splendeur des lieux vient donner un côté très solennel aux discours prononcés en hommage au général haïtien. Vêtu d'un costume d'époque, le comédien Jimmy Jean-Louis, qui a incarné Toussaint Louverture dans le film éponyme sorti en 2012, met ses talents d'acteurs au service de l'animation de la cérémonie.
Sur l'estrade, l'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault a saisi l'occasion pour donner une tournure politique à son discours. S'adressant directement au ministre de l'Éducation assis juste en face de lui, il regrette que "la révolution haïtienne n'apparaisse pas dans les programmes scolaires". En 1804, une ancienne colonie devient la toute première République noire. "Et pourtant, on ne raconte pas", déplore l'ancien chef du gouvernement.
Devant l'assemblée, le ministre Pap Ndiaye le reconnaît : "L'histoire de la révolution haïtienne, si centrale de l'histoire des révolutions atlantiques et donc de l'histoire mondiale, doit être connue de toutes et tous", plaide-t-il. Et d'annoncer : "Le ministère de l'Éducation nationale doit travailler et y travaille en ce moment avec la Fondation pour la mémoire de l'esclavage."
Le destin tragique d'Haïti
Plus la cérémonie avance et plus les discours changent de temporalité. Des récits de liberté, de fraternité et d'égalité, on passe aux récits glaçants de l'Haïti d'aujourd'hui. Celle qui a été ravagée par un terrible séisme. Celle qui est gangrenée par les gangs. Celle qui sombre, dans l'indifférence. Pour le faire comprendre, Jimmy Jean-Louis laisse planer des silences pesants entre ses phrases. Si évoquer la mémoire de Toussaint Louverture ravit les cœurs, parler de la situation actuelle sur l'île assombrit les regards. "Aujourd'hui, des terroristes d'une férocité sans pareille prennent Haïti en otage", lâche le maître de cérémonie, la voix nouée.
Pierre Buteau, universitaire de renom et président de la Société haïtienne d'histoire peut témoigner du désarroi des Haïtiens, lui qui, en début d'année, a été kidnappé puis libéré après le paiement d'une rançon.
On a besoin de la figure de Toussaint Louverture pour faire face à la détresse d'aujourd'hui, pour affronter le tragique de la situation haïtienne.
Pierre Buteau, historien haïtien
Devant les élus et les représentants du gouvernement, l'acteur Jimmy Jean-Louis n'hésite pas à réclamer l'aide de l'État français. Une aide de "type plan Marshall", dit-il. Pour pacifier l'île, remettre les institutions sur pied et sauver l'économie. "Agissons tant qu'il est encore possible."
En creux, chacun comprend que l'ancienne puissance coloniale, la France, a un rôle moral à jouer dans la résolution de la crise haïtienne. D'autant que l'incurie financière dont souffre Haïti tient en partie de la dette réclamée par l'État français après l'indépendance de la colonie, comme le révélait le New York Times l'année dernière. "La dette, la rançon, que la France a obtenu en menaçant Haïti [après son indépendance], la France doit la rendre à ce pays qui en a bien besoin aujourd'hui", réclame Karfa Diallo, président-fondateur du réseau Mémoires et partages, présent à la cérémonie. Jean-Marc Ayrault est du même avis. Il appelle le président Emmanuel Macron à se saisir du dossier Haïti, afin d'aider cet état en détresse. "Rendre justice, réparer la mémoire, c'est aussi réparer le présent", conclut l'ancien Premier ministre.