Au Panthéon, une exposition pour propulser les figures méconnues de la lutte contre l'esclavage sur le devant de l'Histoire

Peintures-bannières de Raphaël Barontini représentant des figures de la lutte contre l'esclavage au Panthéon, à Paris.
Toussaint Louverture, Solitude, Louis Delgrès, Claire... Dans une exposition intitulée "We Could be Heroes", qui se tient au Panthéon du 19 octobre au 11 février, l'artiste italo-guadeloupéen Raphaël Barontini partage son regard contemporain sur l'histoire coloniale de la France. Par ses peintures, collages et textiles suspendus, il met en valeur le rôle de personnages incontournables, mais souvent oubliés, dans l'abolition de l'esclavage.

Toussaint Louverture, Sanité Bélair et Dutty Boukman font une haie d'honneur aux visiteurs du Panthéon, à Paris. En rentrant dans l'immense enceinte du mausolée dédié aux grandes figures de l'Histoire de France, une dizaine de portraits de personnages méconnus, voire complètement oubliés, de la lutte contre l'esclavage attire l'œil. Ces images, installées dans le cadre de l'exposition "We Could be Heroes", sont le fruit de l'imagination de Raphaël Barontini, un artiste italo-guadeloupéen au style original, compilant peinture, collage et sérigraphie sur tissus.

"Il a reçu carte blanche sur la modalité d'investir le Panthéon", explique Barbara Wolffer, l'administratrice du lieu où l'exposition doit se tenir du 19 octobre au 11 février 2024, et dont le vernissage doit se dérouler mercredi 18 octobre.

Artiste-plasticien engagé, Raphaël Barontini a voulu propulser sur le devant de la scène les figures qui ont contribué à l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, que ce soit à Haïti, en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion.

Les invisibles des livres d'Histoire

"Dans cette carte blanche du Panthéon, je n'avais pas envie de parler forcément des personnalités qui ont contribué à l'abolition de l'esclavage en métropole, explique-t-il. Mais plutôt de ceux qui n'avaient pas de représentation." Ceux que l'on voit passer dans les livres d'Histoire, sans vraiment savoir qui ils sont, ni ce qu'ils ont fait.

Raphaël Barontini devant des œuvres de son exposition "We could be heroes" au Panthéon, à Paris.

"Ces figures historiques, je me suis rendu compte qu'on n'avait pas vraiment de représentations, ni d'images d'elles. Et notamment de beaucoup de figures féminines", fait remarquer l'artiste âgé de 39 ans. En prenant les clés du Panthéon pour quelques mois, à coups de pinceaux, de collages, d'assemblages et de tissus colorés, il vise à corriger cette erreur de l'Histoire.

En plus des portraits prenant la forme de bannières, l'artiste-plasticien a imaginé deux grandes voiles représentant des moments de l'esclavage. Dans un des transepts du Panthéon, d'énormes tissus ont été suspendus par l'artiste. Sur 20 mètres de longueur et 5 de hauteur, on arrive à deviner une représentation imagée de la traversée de l'océan par les navires négriers de l'époque coloniale. À droite du patchwork, des masques africains sont posés sur le sable, tandis qu'un navire, aux rames apparentes, se dirige vers une terre sombre. Un bâtiment austère, sur la gauche, rappelle les maisons de maître des plantations. Autour, d'autres sérigraphies représentent des marrons ou un joueur de gwoka.

Le moment de la composition, c'est le moment où je vais associer un buste antique, un bout de masque d'Afrique de l'Ouest, un bout de photo ethnographique qui date de la période coloniale, un élément de dentelle d'une peinture française classique...

Raphaël Barontini, artiste à l'origine de l'exposition "We Could be Heroes"

Avec son interprétation contemporaine, Raphaël Barontini critique en substance la faible représentation dans la mémoire collective des esclaves et anciens esclaves qui ont lutté pour leur liberté. Au Panthéon, seuls Victor Schoelcher, Louis Delgrès et Toussaint Louverture sont portés au rang de héros historiques. Aux autres, invisibles, le plasticien a voulu donner directement la parole : "We Could be Heroes", "Nous pourrions être des héros".

"Ici, je donne à la fois une représentation à des figures historiques qu'on connaît, dont on a les noms, dont on a les biographies, mais qui, en même temps, subissent une sorte de non-figuration dans l'Histoire, et dans un monument comme celui-là", revendique l'artiste. 

Mettre en avant le passé colonial français

"C'est une nouvelle manière de découvrir le Panthéon avec (...) ces couches d'histoire habituelle, ces grands hommes, ces grandes femmes, et puis le regard de Raphaël Barontini sur la question de l'abolition de l'esclavage", applaudit Barbara Wolffer, l'administratrice du mausolée parisien. 

D'immenses textiles réalisés par Raphaël Barontini suspendus dans l'enceinte du Panthéon, à Paris.

Haut-lieu de l'Histoire, le Panthéon s'adonne à d'avantage mettre en avant la mémoire liée au passé colonial de la France. Au mois d'avril, une cérémonie en hommage à Toussaint Louverture, artisan de la révolution haïtienne, s'était tenue dans l'enceinte de ce lieu magistral. En plus de l'exposition "We Could be Heroes", le Panthéon accueillera par ailleurs, à partir du 9 novembre, une autre exposition, "Oser la liberté", organisée par la Fondation pour la mémoire de l'esclavage. L'occasion d'évoquer, d'une manière plus scientifique, historique, les grands noms de la lutte contre l'esclavage, indique Barbara Wolffer.