Aux Antilles, la grève générale de 2009 a laissé un goût amer

Manifestation à Pointe-à-Pitre le 24 janvier 2009.
En janvier et février 2009, une grande grève générale contre la vie chère paralysait la Guadeloupe pendant 44 jours et la Martinique pendant 38 jours. Dix ans plus tard, les prix sont toujours plus élevés qu'en métropole et le mouvement a laissé un goût amer.
La grogne débute en Guadeloupe le 20 janvier 2009 à l'appel du LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon), collectif regroupant syndicats, partis politiques et associations identitaires. Des milliers de manifestants se rassemblent à Pointe-à-Pitre. En parallèle, une grève des stations-services provoque une pénurie de carburants. Écoles et magasins sont fermés. Le mouvement bascule dans la violence le 17 février, lorsqu'un syndicaliste du LKP est tué près d'un barrage. Des policiers et gendarmes sont blessés, des commerces pillés et incendiés dans un climat de tension maximale.
    
En Martinique, un mouvement similaire démarre le 5 février, également émaillé de violences. Le 19 février, le président de la République, Nicolas Sarkozy, annonce 850 millions d'euros pour les départements d'Outre-mer. Un protocole d'accord est signé le 4 mars en Guadeloupe. Il prévoit notamment une augmentation de 200 euros pour les bas salaires. En Martinique, le mouvement s'achève le 14 mars sur un accord instaurant une hausse des salaires de 200 euros pour 60% des salariés du privé.
Un pancarte adressée à Nicolas Sarkozy lors d'un manifestation le 12 février 2009 à Fort-de France en Martinique.
 

2019, la vie encore plus chère

Mais dix ans plus tard, il n'y a pas vraiment d'amélioration du coût de la vie. C'est même plutôt le contraire : une note de l'Insee de 2004 indiquait un niveau général des prix plus élevé de 8,3% dans les deux îles. Or "l'écart entre l'Hexagone et la Martinique a augmenté entre 2010 et 2015. On est passé de 9,7% à 12,3% sur l'ensemble des dépenses des ménages", explique à l'AFP Christophe Basso, chef du service territorial de l'Insee.

C'est surtout l'alimentaire qui pèse: à panier égal, sur une base de consommation de métropole, il est 38% plus cher en Martinique et 34% en Guadeloupe. Selon M. Basso, "les prix n'ont pas baissé et l'écart de prix encore moins" malgré le "bouclier qualité prix" (BQP) un dispositif instauré par l'ancien ministre des Outre-mer Victorin Lurel en 2012, mais qui porte sur une sélection restreinte de produits.
Manifestation à Jarry en Guadeloupe, à l'appel du LKP, le 10 février 2009.
 

"Trahison"

Pour Elie Domota, leader du LKP, l'accord du 4 mars a "permis de faire avancer les choses sur les salaires et les conditions de vies de beaucoup de gens". Mais il dénonce une "trahison": "Les prix des produits de première nécessité importés (...) auraient dû être encadrés (...) et suivis par une commission dont nous faisions partie", dit-il.
Elie Domota, leader du LKP, signe un accord de fin de conflit le 4 mars 2009.
    
Or, "c'est un 'bouclier qualité prix' qui a remplacé notre dispositif" en 2012. Mais "cela a été négocié avec les importateurs distributeurs sans le LKP, ni aucun syndicat". En Martinique, Daniel Gromat, secrétaire général de la CGTM SOEM (syndicat des agents territoriaux), estime que "2009 a servi à quelque chose" et inspiré les "gilets jaunes", même si ce mouvement n'a qu'un impact limité aux Antilles.
    
Il juge que le Revenu supplémentaire temporaire d'activité (200 euros sur les salaires inférieurs à 1,4 Smic), alors mis en place, "a été une bonne chose. On a négocié pour que ce soit appliqué dans les collectivités et certaines entreprises. Certaines l'ont inclus dans leurs accords de branches et le versent toujours".
 

"S'il faut recommencer, on recommencera"

Comme en Guadeloupe, Philippe Pierre-Charles, secrétaire général du syndicat CDMT, est critique sur la question des prix. "En 2009, le collectif avait obtenu d'être négociateur sur le prix du panier (des produits dont les tarifs avaient été baissés). De négociateurs, on est passés à vaguement consultés. Aujourd'hui, ça se négocie entre le préfet et les grandes surfaces", regrette-t-il.

De même, rappelle-t-il, "la priorité d'embauche aux Martiniquais à diplôme égal dans l'enseignement avait été actée. Mais les vieilles habitudes reviennent, il faut se battre régulièrement pour empêcher le départ d'enseignants martiniquais." "S'il faut recommencer, on recommencera", dit-il. "Les raisons de la mobilisation sont toujours là et peut-être plus qu'en 2009". Au final, "les éléments les plus durables sont idéologiques et politiques".